Sur les ondes de Radio Liban, dès 1975, Charif Akhawi a été le porte-drapeau de cette résilience du citoyen face à la fragmentation du pays. Son objectif principal était de sauver des vies, toutes les vies, au nom du droit fondamental à la vie, au moment où l'inhumanité, elle, par kidnappeurs et francs-tireurs interposés, cherchait à ôter le droit à la vie au nom d'une inculture mortifère de la différenciation identitaire.
Charif Akhawi était parti, avant la guerre, d'une idée simple, mais novatrice et ingénieuse : transformer son émission à la radio en service public à l'usage du citoyen, en créant, avec la complicité du président Sleimane Frangié, un vaste réseau d'informateurs sur les routes, pour dénouer des goulots d'étranglement routiers et régler le problème de la circulation. Aussi intervenait-il directement, sur les ondes, à la manière d'un agent de la circulation, tantôt pour demander, d'une manière bienveillante, à un automobiliste de cesser d'obstruer la voie publique, et tantôt pour conseiller aux citoyens d'éviter tel ou tel axe en raison du trafic - un peu à la manière du fameux « bison futé » français.
Devenu plus qu'un médiateur, un véritable serviteur au sein de l'espace public, Charif Akhawi était probablement loin de se douter que, la deuxième moitié des « seventies » pointant à l'horizon, il serait amené à devenir en quelque sorte l'ange gardien des Libanais.
Avec l'éruption de la violence et le morcellement du pays, la vie de Charif Akhawi bascule. De son bureau, près de l'Hôtel-Dieu, il refuse de se résigner face à la violence aux cent visages. Sa hantise devient progressivement de protéger les gens, de les guider pour trouver leur chemin dans les espaces urbains, devenus champs de la mort. Là où l'État a failli dans son devoir régalien d'assurer la sécurité des citoyens, son émission radio prendra le relais, même si cela a pour conséquence de le priver de rentrer chez lui auprès de sa famille, insécurité oblige : « selké wou emné » deviendra le meilleur allié de tous les Libanais. En pleine guerre, il déclare ainsi la guerre à la violence et prend parti pour la vie et la paix. C'est pourquoi il refuse le choix des armes par principe et rejette toutes les invitations qui lui sont faites de rejoindre tel ou tel camp ou faction. À tel point que son combat irrite au plus haut point les faiseurs de la guerre, ce qui lui vaudra de subir des pressions énormes, un enlèvement et une tentative d'attentat.
Journaliste contre la violence, Charif Akhawi le sera jusqu'au bout, si bien que lorsqu'il démissionne finalement, c'est pour se consacrer, après la résistance civique, à la résistance culturelle, à travers une maison de production de documentaires pour la radio qui existe toujours.
Vingt-trois ans après sa disparition, Charif Akhawi reste un modèle pour tous ceux qui refusent de démissionner face à la régression et la violence. De nos jours, il aurait été, à n'en pas douter, un pourfendeur farouche et intransigeant de ceux qui n'ont de cesse de cultiver, par l'usage propagandiste de la violence morale et symbolique, la haine dans les esprits et les cœurs, pour semer la discorde et susciter les divisions, détruire l'autonomie de l'individu et la personne humaine au nom de la sacro-sainte et parfaitement grégaire tyrannie du groupe, étouffer nos libertés, violer notre souveraineté, réprimer et formater notre mémoire, et ramener le Liban dans les ténèbres de la servitude. En ce sens, de là où il est, il peut être serein : sa voix reste toujours aussi présente et rassurante, et sa lutte, civile et non violente, pour le respect de l'homme et pour l'unité se poursuit jusqu'à la victoire. Immanquablement.
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