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Liban

Henri Eddé, l’idéaliste qui rêvait d’un nouveau Liban, n’est plus…

Grande figure de l’architecture et ancien ministre, Henri Eddé appartenait à ces rares personnes qui agissent selon leurs convictions.

Il est le seul Libanais à avoir occupé le poste de secrétaire général de l'Union internationale des architectes (UIA) et le seul ministre dans l'histoire du Liban à avoir été destitué de sa fonction parce qu'il avait opté pour le changement et qu'il avait décidé de placer l'intérêt public au-dessus de tous les intérêts personnels et catégoriels. Ancien ministre des Travaux publics et de l'Éducation sous le mandat du président Sleimane Frangié, ancien président de l'ordre des ingénieurs et architectes, et ancien président du Comité de l'habitat et de la planification des Nations unies, grande figure de l'architecture contemporaine, Henri Eddé est mort ce 1er février à l'âge de 86 ans. Il avait établi les études de reconstruction du centre-ville avant de renoncer à sa mission en raison de la « main basse » exercée sur ce projet par la société Solidere. Dans un livre intitulé Le Liban d'où je viens, paru en 1997 aux éditions Buchet/ Chastel, Henri Eddé dénonce, sans complaisance, ce « pouvoir acquis et conservé par l'argent », transmet des observations sur un pays où «la démocratie est bafouée », « la justice dévaluée » et « l'administration réduite à sa plus simple expression ».
Architecte-ingénieur diplômé en 1946 de l'ESIB, Henri Eddé a débuté sa carrière professionnelle en travaillant à Paris auprès de Marcel Lods, un des architectes « pionniers » des grands ensembles urbains. De retour à Beyrouth, il entame une collaboration avec Pierre el-Khoury dans le cadre de la réalisation d'une œuvre moderne détruite durant la guerre de 1975 : le centre commercial Byblos, quartier Saïfi. Auteur de plusieurs résidences privées (villas Henri Eddé, Pierre Hélou, Nicolas Trad, Wardé (Yarzé) et Naufal ( Baabdate), il s'associe à l'urbaniste français Ecochard pour dessiner en 1966 l'Hôpital du Sacré-Cœur à Hazmieh ... La même année, il conçoit le bâtiment de la Banque Beirut et Riyad ainsi que celui de la Banque de l'Industrie et de l'Habitat...
Sa définition de la beauté, de ce que sera la ville de demain, Henri Eddé l'apportera en matière d'urbanisme, dans le cadre de l'aménagement de Baalbeck dont il élabore le schéma directeur en 1964. Il propose ainsi de déplacer la ville moderne afin de libérer l'espace dans lequel sont confinés les vestiges archéologiques en la reconstruisant sur un nouveau périmètre, plus au nord, tout en ne conservant de l'ancienne cité que le quartier abritant les demeures datant du XIXe siècle. De même, il procède en collaboration avec Georges Doumani à l'étude du plan d'aménagement de la ville de Tripoli, mais le projet ne verra jamais le jour. En 1963, il est élu président de l'ordre des ingénieurs et architectes. Son mandat sera caractérisé par l'adoption d'un arrêté prévoyant le jugement par les tribunaux de l'exercice illégal de la profession et l'enregistrement obligatoire des contrats d'études auprès de l'ordre. À la même période, il devient membre du Conseil de la planification et du développement. C'est sous la direction technique et le contrôle de cette commission (qui regroupait Assem Salam, J. Najjar et G.Zoghbi), qu'Ecochard a planché sur le plan général d'aménagement de la ville de Beyrouth et sa banlieue.
 En 1969, il est élu secrétaire général de l'Union internationale des architectes.
De 1976 à 1992, des années placées sous le signe du feu, des pillages et des invasions, Henri Eddé intègre le bureau d'études Dar al-Handasah (Shair & Partners), et exerce son métier dans plusieurs pays du Proche-Orient et d'Afrique mais aussi à Beyrouth où il est chargé par la Direction générale de l'urbanisme d'établir un plan d'aménagement pour le littoral nord de la capitale. Il préconise notamment de ne pas empiéter sur les fonctions fondamentales du centre de Beyrouth, tout en proposant le développement de zones résidentielles, touristiques et industrielles, la réalisation d'une corniche le long de la côte ainsi que le réaménagement d'une portion de l'autoroute de Tripoli.... La reprise des bombardements arrêtera le chantier.
En 1991, l'architecte est sollicité pour la préparation du schéma directeur du nouveau centre-ville de la capitale. Il y suggère notamment le recours à une société foncière unique pour organiser le classement et la restauration des bâtiments patrimoniaux. Mais aussitôt qu'il décela la volonté des décideurs de détourner de leurs objectifs les textes et les plans et de les adopter à des intérêts particuliers, Henri Eddé renonce à sa mission. Dans son ouvrage Le Liban d'où je viens, il explique les pourquoi et comment du projet du centre-ville et consigne les motifs de sa démission...

Un politique qui voulait planifier, organiser et réformer
Cependant, l'histoire de Henri Eddé ne se résume pas à l'architecture et à l'urbanisme. Appelé par les présidents Sleimane Frangié et Saëb Salam à faire partie d'une équipe anticonformiste de jeunes, dans un gouvernement de jeunes, le nouveau ministre rêve d'envoyer valser les codes, les vieilles étiquettes et de créer un Liban nouveau. Il fait son entrée au gouvernement en tant que ministre des Travaux publics (1970) mais vite, l'idéaliste qui voulait planifier, organiser et réformer remarque qu'au pays des féodalités et des allégeances, il ne pouvait user de ses prérogatives de ministre. Il quitte alors le pouvoir consciemment, volontairement. Peu après il est rappelé et se voit attribuer le ministère de l'Éducation où il tente d'établir un plan global visant à faire de l'Université libanaise « une pierre angulaire de l'identité et de la vocation nationales ». Mais ce projet est vite compromis par des interventions intéressées provenant notamment des exploitants de « boutiques scolaires que je tenais à réformer », écrit-il dans Le Liban d'où je viens. Considérant que l'intérêt du pays passe avant tout autre considération, il décide de tenir une conférence de presse pour dénoncer les irrégularités. Sa détermination provoque des vagues... et entraîne sa révocation.
Henri Eddé est de ces rares personnes qui agissent toujours selon leurs convictions. Intransigeant, refusant de se renier au risque de se priver des honneurs et des privilèges du pouvoir, il est resté fidèle à lui-même et à ses opinions ... jusqu'à cet autre monde où il s'est envolé.
Il est le seul Libanais à avoir occupé le poste de secrétaire général de l'Union internationale des architectes (UIA) et le seul ministre dans l'histoire du Liban à avoir été destitué de sa fonction parce qu'il avait opté pour le changement et qu'il avait décidé de placer l'intérêt public au-dessus de...

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