Rechercher
Rechercher

Liban

Un colloque sur la femme et la religion à Paris à l’heure des grands débats

Christiane Kammermann: dénoncer la violence faite aux femmes. (Michel Sayegh)

Les questions sont brûlantes d'actualité : comment restreindre la pratique religieuse à la sphère privée et éviter que la liberté de religion ne trouble l'ordre public, surtout dans un pays comme la France où le principe de laïcité est le socle fondateur de la République ? Quel est le rôle de la femme dans l'éducation à la citoyenneté, comment peut-elle contribuer à moderniser les codes de la famille (mariage, successions...), en particulier dans les pays du sud de la Méditerranée ? Dans quelle mesure les femmes peuvent-elles être des agents de modernité au sein des communautés immigrées en France, comme au sein de leurs sociétés respectives dans leurs pays d'origine ?
Des interrogations essentielles auxquelles se sont appliqués à répondre les intervenants au colloque « Dialogue interreligieux et société, quel rôle pour la femme ? », organisé au Sénat par la dynamique présidente de l'ADICR (Association du dialogue interculturel et interreligieux), Samar Sassine, en partenariat avec le groupe interparlementaire d'amitié France-Liban, présidé par le sénateur Adrien Gouteyron.
Alors que « l'affaire des minarets » semble faire boule de neige en France, après la Suisse, et que le débat sur l'identité nationale bat son plein, sous l'impulsion du gouvernement français, ce colloque tombe à point. En effet, la transformation de la société européenne, en général, et française, en particulier, induite par la présence de plus en plus forte et active de communautés issues de l'immigration, qui revendiquent leur appartenance religieuse et l'affirmation de la place de l'islam dans la vie publique, cette transformation entraîne une nouvelle réflexion sur la laïcité en France et sur la place du religieux dans la sphère publique.
Après l'allocution d'ouverture de M. Gouteyron, qui a souligné combien il était nécessaire de multiplier ce genre d'échanges « si nous voulons créer un espace méditerranéen cohérent où la confiance et le dialogue remplacent la méfiance et la violence », trois tables rondes se sont tenues successivement, en présence notamment de l'ambassadrice du Liban auprès de l'Unesco, Mme Sylvie Fadlallah, et de l'ancien ministre Pierre Joxe.

Femmes et citoyenneté
Les travaux de la première session, animés par Nassif Hitti, ambassadeur de la Ligue arabe à Paris, se sont ouverts sur un message de soutien de Mme Irina Bokova, directrice générale de l'Unesco, lu par M. Hitti, dans lequel Mme Bokova annonçait que 2010 serait l'année internationale du rapprochement des cultures, dans le but de promouvoir la tolérance et la réconciliation. Elle devait mettre l'accent sur l'égalité des sexes, condition sine qua non pour le développement, et sur l'importance de lutter contre l'illettrisme qui affecte particulièrement les femmes à travers le monde.
La question de l'inégalité hommes-femmes devait d'ailleurs figurer pour une grande part dans les interventions des participants au panel, en particulier de Mme Mona Safadi, présidente de la Fondation Safadi, venue spécialement du Liban pour participer au colloque. Soulignant que le combat de la femme pour l'accès à une pleine citoyenneté est rendu difficile dans un système où les communautés religieuses ont une mainmise sur le statut personnel, et où la femme est encore victime de nombreuses inégalités (en matière successorale, dans la transmission de la nationalité de la mère aux enfants, les crimes d'honneur, etc), Mme Safadi devait rendre hommage au rôle des associations des droits de la femme au Liban, et mettre en relief quelques avancées récentes dans le redressement de certaines inégalités, comme la récente élection d'une femme à la tête de l'ordre des avocats.
À sa suite, Mr Alain Barreau, directeur du Bureau d'information de la France au Parlement européen, a déclaré que « la question de l'inégalité hommes-femmes n'est pas terminée en Europe même », malgré la stratégie des quotas et de la parité, et que la crise économique révèle davantage ces disparités, notamment en ce qui concerne l'emploi, les femmes étant davantage touchées que les hommes par le chômage. Il a souligné l'importance des échanges interparlementaires et intergouvernementaux pour faire avancer la cause de la femme et appliquer les directives européennes.
Enfin, Mme Élisabeth Tomé, répercutant le message de Xavier Darcos, ministre du Travail et de la Famille, devait annoncer qu'une Fondation des femmes pour la Méditerranée verra le jour en 2010, afin d'aider les femmes à mettre en œuvre et financer des projets et les inciter à jouer un plus grand rôle, car « l'ouverture aux femmes et leur participation en dit plus long sur l'évolution d'une société que bien des indicateurs économiques ».

Codes de la famille et laïcité
Animée par Nathalie Pilhes, responsable Femmes au sein de l'Union pour la Méditerranée à la présidence de la République, la deuxième table ronde regroupait la sénatrice Christiane Kammermann, représentant les Français établis hors de France, le professeur Salim Jahel (Paris II), Mme Aïcha Ansar-Rachidi, avocate, et Mme Asma Guénifi, militante associative, qui ont respectivement traité de la question délicate de l'évolution du droit de la famille en France, dans l'islam, au Maroc et en Algérie. Soulignant la mutation progressive du droit vers une plus grande égalité des femmes en France, Mme Kammermann a relevé que la politique du gouvernement a pour objectif de « faire coïncider égalité de droit et égalité réelle », la réalité étant bien souvent éloignée de la parité souhaitée, notamment en matière économique. Et de relever aussi la violence faite aux femmes dans les pays qui se distinguent par une société patriarcale déniant les droits des femmes.
Mme Kammermann, qui connaît bien le Liban, n'a pas manqué de saluer au passage « la grande originalité » du système libanais, où les groupes religieux forment l'État. « Le Liban est un creuset du dialogue interculturel et un symbole de participation », a-t-elle encore dit, tout en relevant le fait que « le confessionnalisme y reste une valeur refuge ». Et de conclure : « Je suis persuadée que quand le Liban sera laïc, il n'y aura plus de guerre. »

Pratique religieuse : sphère publique ou privée ?
Animée par Carole Dagher, journaliste et écrivain, la dernière séance fut consacrée à l'impact de la religion sur la société, au rapport entre identité religieuse et laïcité et à l'importance du dialogue interreligieux dans le développement de la tolérance et des droits de la femme.
Après un riche exposé historique sur les guerres de religion en Europe, Blandine Kriegel, philosophe et ancienne présidente du Haut Conseil à l'immigration, a estimé qu'il appartient à chaque société et à chaque peuple d'inventer son modèle d'évolution, et de redéfinir le rapport du religieux et du politique. Les femmes étant naturellement enclines à la tolérance, le lien entre le dialogue des religions et les droits de la femme sont manifestes.
Alain Wallon, au nom de Laurence de Richemont, représentante de la Commission européenne en France, a expliqué comment l'Union européenne a mis en place une commission chargée du dialogue avec les institutions religieuses, culturelles et scientifiques, afin de mieux prendre en compte la réalité de la diversité religieuse et culturelle européenne.
Malika Benarab Attou devait apporter un témoignage personnel sur son parcours d'Algérie où elle est née, à la France, où elle est devenue députée au Parlement européen, et Line Pierné a exposé les objectifs de la fondation Fédération femmes 3 000 qu'elle préside. Enfin Bariza Khiari, sénatrice de Paris, a élaboré sur la distinction sphère publique-sphère privée, estimant que « l'avenir de l'image de l'islam de France se joue dans le débat actuel ». Elle a notamment invité à concilier foi et raison, et estimé que « la loi doit protéger la foi aussi longtemps que la foi ne prétend pas dire la loi ». Ce qui, en définitive, revient à adhérer à une conception laïque de l'organisation de la société, car « la laïcité transcende nos appartenances religieuses ». « Mettons en avant ce qui rassemble les religions abrahamiques, non ce qui les divise », devait-elle conclure.
Le mot de la fin devait revenir à Jacques Attali, écrivain et économiste. Il a noté que « les débats sur la laïcité et le statut de la femme sont liés », et a relevé une tendance mondiale marquée par une régression identitaire religieuse et un repli sur la sphère privée pour se protéger contre les dangers du monde. Estimant que « la religion est l'ultime moyen des hommes pour tenter de récupérer un pouvoir perdu sur les femmes », il a souligné qu'il « appartient aux femmes d'affirmer que la laïcité est un instrument de leur liberté et de réinventer la religion autrement ». « La laïcité ne sera totale que lorsque le pouvoir féminin se sera exprimé dans la société », a-t-il affirmé.
Les applaudissements qui ont suivi indiquèrent qu'il avait résumé, en une phrase, les aspirations exprimées par les différentes intervenantes au colloque.
Un déjeuner donné par Mr Gouteyron devait enfin réunir les personnes présentes, ainsi que l'ambassadeur du Liban, M. Boutros Assaker, et le président de l'IMA (Institut du monde arabe), Dominique Baudis, dans les salons du Sénat.
Les questions sont brûlantes d'actualité : comment restreindre la pratique religieuse à la sphère privée et éviter que la liberté de religion ne trouble l'ordre public, surtout dans un pays comme la France où le principe de laïcité est le socle fondateur de la République ? Quel est le rôle de la femme dans...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut