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Liban - Feuille de route

Le Centre catholique d’information au service de la censure

« Le festival de rock organisé au Liban cette semaine pourrait constituer, par certains aspects, une occasion dangereuse de faire circuler la culture de la mort, le suicide, la drogue et l'hostilité. Nous appelons clairement tous les responsables et les pôles de décision à assumer leurs responsabilités dans cette affaire pour repousser le danger et éviter les retombées néfastes. » L'origine de ces propos est le Centre catholique d'information, dans un communiqué publié hier à l'issue d'une réunion, pour protester notamment contre le Festival de rock actuellement organisé au Forum de Beyrouth. En d'autres termes, le CCI appelle les autorités politiques à interdire le rock en faisant assumer à ce dernier les suicides, la « culture de la mort », la drogue et « l'hostilité ». Il s'agit, une fois de plus, d'un appel, au nom de la morale, à une forme de censure et à une action par des censeurs sous le label de l'Église...

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Il ne fait aucun doute que les membres du CCI sont des cinéphiles invétérés : l'un d'entre eux, leur « grand manitou », assiste d'ailleurs souvent, au QG de la Sûreté générale, au prévisionnage des films pour donner sa bénédiction morale à la projection des œuvres cinématographiques dans les salles de cinéma libanais. En d'autres termes, c'est un de nos nombreux gardiens du temple, ceux qui empêchent tous les jours notre âme d'être avilie par les nombreuses et farouches tentations de ce mal absolu qu'est la modernité, l'un des nobles porteurs des ciseaux de la censure dans notre beau pays du Cèdre. Un peu l'équivalent du Hezbollah - qui sort ses griffes pour préserver les Libanais des méfaits des « sionistes » (Gad el-Maleh ou Anne Frank) et des « ennemis de la nation iranienne sœur » (Marjane Satrapi et son Persépolis) -, mais sans idéologie aucune, lui. Simplement au nom de la foi. On doit donc au CCI une reconnaissance absolue, une gratitude infinie : à titre d'exemple, sa magnanimité nous a permis, tout récemment, de voir en salles le médiocre Angels and Demons de Ron Howard, adapté du best-seller de Dan Brown. On lui doit tout autant de nous avoir sauvés des flammes de l'enfer en interdisant la projection du non moins médiocre Da Vinci Code du même Dan Brown, ce navet imbécile - déjà interdit de circulation sous forme de livre - qui représente une si grande menace pour une Église vieille de trois millénaires...
Mais trêve de plaisanteries. Tout truffé de cinéphiles - mus par le devoir - qu'il soit, le CCI n'a probablement jamais entendu parler du film documentaire de Benjamin Christensen intitulé Häxan. Et pour cause : il s'agit d'une œuvre suédoise datant de 1922 et considérée comme l'une des réalisations les plus importantes de l'histoire du cinéma. Ah, 1922. Heureux temps où la modernité était encore bien loin, et où la Sûreté générale et ses différents amis n'étaient pas encore contraints de se sacrifier pour le bien moral du pays (ils n'existaient pas...). Le sujet du documentaire de Christensen : comment superstition et ignorance pouvaient conduire à l'hystérie des chasses aux sorcières et de l'Inquisition. Non, le CCI n'a probablement jamais entendu parler de Häxan... Sinon, il aurait pris la peine de se poser quelques questions avant de faire de la chasse aux sorcières primaire : il se serait par exemple demandé pourquoi les jeunes sont attirés par la musique rock, si cette musique peut les aider à surmonter certains problèmes, leur permettre de véhiculer leurs émotions, d'extirper leur haine, de s'en débarrasser à travers une sorte d'effet catharsis... sans être attirés dans ce qui conduit véritablement à la violence : le suivisme, la servitude, l'idéologie, les armes, etc. Il se serait demandé s'il existe vraiment un lien entre cette musique et le suicide, ou s'il devrait plutôt aller rechercher les causes de ce dernier dans le malaise socio-économique et politique qui ravage le pays, dans les problèmes de familles, dans l'éducation, etc. Concernant le lien entre le rock et la drogue, il se serait demandé par exemple si c'est le rock qui conduit à la drogue ou si tous les milieux peuvent y conduire, et si un individu formé à coups de censure et déresponsabilisé est plus à même de résister à la tentation des narcotiques... Quant à « l'agressivité » et « l'hostilité », il aurait analysé l'impact des discours politiciens sur le niveau de violence des jeunes, et le rôle de certaines politiques dans la promotion de la haine, du martyre et de la « culture de la mort ».

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Que la priorité du CCI - qui n'en est malheureusement plus à son coup d'essai en matière de promotion de la censure - soit de défendre les valeurs chrétiennes, de les diffuser et de les promouvoir est tout à fait louable. La question n'est pas à discuter, et toute atteinte aux sentiments religieux est toujours condamnable sur le plan de la morale. Il en va du respect de l'individu et de ses croyances. C'est un point fondamental garanti par la Déclaration universelle des droits de l'homme. Mais faut-il une fois de plus rappeler que ce sont aussi ces valeurs chrétiennes qui sont à la base de la philosophie du droit naturel, laquelle a évolué à son tour pour déboucher sur la Déclaration universelle des droits de l'homme ? Et que parmi ces droits figure aussi, il ne faut pas l'oublier, la liberté d'expression ; donc le rejet absolu de toute forme de censure, d'ailleurs toujours imbécile ?
La question qui se pose, à chaque fois, c'est de savoir si les personnes qui cherchent à s'imposer actuellement comme les gardiens de la foi chrétienne au Liban possèdent suffisamment de notions de sociologie et de psychologie, ou encore le minimum de bon sens vital, pour incarner l'autorité qu'ils souhaitent représenter ; s'ils vivent vraiment dans leur siècle... Sinon, comment expliquer qu'en voulant à chaque fois que leur liberté de pensée et de croyance soit respectée, elles aillent jusqu'à prôner les vertus de la répression, de la censure ? La répression et la censure engendrent l'ignorance, la peur, lesquelles conduisent immanquablement à la violence et au suivisme. Est-il besoin de le rappeler ? S'il s'agit réellement de promouvoir les valeurs chrétiennes - et il faut quand même respecter aussi, au Liban, la liberté de ceux qui ne veulent tout simplement croire en rien -, ne faut-il pas le faire en formant des individus conscients et ouverts, inébranlables dans leur foi et prêts à discuter rationnellement, à réagir en adultes ?

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Mais tout cela est révélateur d'un autre problème bien plus grave. Car derrière cette structure de pensée se cache le principe de réciprocité, l'exigence de mimer un autre modèle : celui de ceux qui arrivent, par la censure et la répression, à imposer leur loi, à se faire craindre et respecter, à assurer la cohésion de leur communauté ; et qu'importe s'ils se comportent mal pour arriver à leurs fins. L'essentiel étant de continuer à posséder les mêmes droits et les mêmes privilèges. Même si cela aboutit, au demeurant, à perdre son identité, sa mission, ses véritables valeurs, à idolâtrer l'obscure censure contre la liberté et à promouvoir la violence...
« Le festival de rock organisé au Liban cette semaine pourrait constituer, par certains aspects, une occasion dangereuse de faire circuler la culture de la mort, le suicide, la drogue et l'hostilité. Nous appelons clairement tous les responsables et les pôles de décision à assumer leurs responsabilités dans cette affaire pour repousser le danger...

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