Rechercher
Rechercher

Liban - Débat

Colloque à Paris sur les religions et les conflits, à l’initiative du Quai d’Orsay

Des universitaires, des chercheurs de renom et des diplomates se sont penchés, au cours d'un colloque organisé par le Quai d'Orsay, sur les liens possibles entre religion et conflit dans le monde. L'occasion pour Bernard Kouchner de présenter le « pôle religions » dont la direction a été confiée à Joseph Maïla.
Les conflits religieux existent-ils ? Comment la religion peut-elle être instrumentalisée par le politique ? Dans quelle mesure le religieux favorise-t-il la violence du politique ? Quelle est la place de la religion dans le conflit israélo-palestinien et, plus globalement, dans les conflits du Moyen-Orient ? Et dans la nouvelle vision politique américaine du monde, à « l'ère Obama » ? Quelle place accorde la France laïque républicaine à la dimension religieuse des conflits ?
Autant de questions-clés sur lesquelles se sont penchés des universitaires, chercheurs et diplomates de renom, au cours d'un colloque organisé par le ministère français des Affaires étrangères et le CNRS/CERI-Sciences Po, sur le thème : « Religions et conflits ». Une première dans la démarche diplomatique française, laquelle est « beaucoup plus tournée vers une appréhension politique des conflits », comme l'a souligné le ministre Bernard Kouchner, à l'ouverture des débats. En effet, « nous sommes mal à l'aise, nous les Français, singulièrement, avec le fait religieux en politique, du fait de notre conception laïque ». « Mais, a-t-il ajouté, ce serait une erreur de ne pas faire attention aux soubassements religieux des conflits. »
Aussi, la diplomatie française a-t-elle décidé de créer un « pôle religions » au sein de la direction de la Prospective, dans le cadre de la réforme du ministère des AE, a expliqué Kouchner, et ce pôle a été confié à l'ancien recteur de l'Institut catholique, le professeur d'origine libanaise Joseph Maïla. Ce pôle a pour mission d'étudier l'articulation du politique et du religieux dans les conflits et aurait compétence à « produire une pensée française en la matière et d'œuvrer dans le sens du dialogue », comme devait le préciser à son tour le Dr Maïla.
M. Kouchner a également évoqué la nécessité de proposer aux diplomates une formation et une spécialisation en médiation dans les conflits, et particulièrement les conflits communautaires. Cet enseignement sera dispensé par l'Institut diplomatique et consulaire, basé à La Courneuve, où, d'ailleurs, les archives des Affaires étrangères ont été transportées.
Cette réforme significative au sein du ministère des AE est rendue nécessaire par le nombre croissant de conflits à travers le monde ayant des connotations religieuses, parmi lesquels M. Kouchner a cité le Kosovo, le Sri Lanka, le Liban, l'Afghanistan, l'Irak, Israël-Palestine et la question des chrétiens d'Orient. Mais aussi la réforme vise à « s'adapter à la mondialisation », ce qui veut dire aussi, en termes diplomatiques, l'emprise croissante du facteur religieux dans la politique américaine.
Le nombre impressionnant et la qualité des personnes présentes au colloque, dans une salle pleine à craquer, l'attention soutenue qu'elles y ont portée durant une journée entière, indiquent l'intérêt du sujet, son actualité et sa résonance dans l'opinion publique.

Obama, la religion et l'élection présidentielle
Gaston Espinosa, professeur d'études religieuses au Claremont McKenna College en Californie, devait ouvrir le colloque par une conférence sur le rôle déterminant joué par la religion dans la campagne présidentielle de Barack Obama et dans sa vision des relations internationales, qui lui a valu l'attribution du prix Nobel de la paix.
M. Espinosa a insisté sur le fait qu'Obama, de conviction protestante libérale, a beaucoup utilisé les thèmes religieux dans sa campagne, misant en particulier sur un électorat relevant des églises évangéliques et qui représente la première force électorale du pays (environ 25 % du pouvoir de vote aux USA, contre 20 % pour les catholiques). Les questions qui ont su mobiliser son électorat et qui ont assuré sa victoire étaient d'inspiration religieuse, liées à la conversion personnelle et à la morale chrétienne prégnante dans les thèmes de la campagne électorale, comme la violence urbaine, la lutte contre le racisme et la pauvreté, la drogue, l'aide aux démunis, la justice sociale, la santé. Autant de thèmes porteurs auprès des minorités ethniques. « Notre loi est par définition inspirée par la morale chrétienne », devait notamment déclarer Obama. Avec une base électorale multiethnique et multireligieuse, Obama a ainsi réussi à fédérer autour de son programme les minorités ethniques et religieuses aux États-Unis, qu'elles soient latinos, afro-américaines ou musulmane. En reliant, de la sorte, foi, moralité et transformation sociale, Obama a clairement promu « un nouveau pluralisme démocratique » et a restitué le parti démocratique dans sa véritable trajectoire, en le dotant d'une « nouvelle vision religieuse démocratique et pluraliste ».
Et cette vision-là, qu'il a développée dans sa conférence au Caire, englobe des questions internationales cruciales comme la lutte contre la prolifération nucléaire, la promotion de la démocratie, le respect de la liberté religieuse, les droits des femmes, le développement économique, le processus de paix au Proche-Orient et la main ouverte à l'islam.

Les conflits religieux existent-ils ?
Un premier panel de quatre universitaires a ensuite abordé la question essentielle de la dimension religieuse des conflits Israël-Palestine, au Moyen-Orient, au Nigeria et en Irlande.
Henry Laurens, du Collège de France, a démontré, avec une remarquable précision, comment un conflit comme celui entre les Israéliens et les Palestiniens cristallise en lui les affects des trois religions monothéistes, car, au centre de ce conflit, il y a la dimension de la Terre sainte, terre matérielle, mais aussi terre religieuse, celle qui se définit par des archipels de lieux saints et qui, par définition, rend difficile l'acceptation de tout compromis. Les deux sacralités, politique et religieuse, sont mêlées, et une troisième sacralité, portée par l'histoire, s'y greffe : « Pour les Occidentaux, la question d'Israël renvoie à la Shoah et à la destruction des juifs, et pour le tiers-monde, la question israélo-palestinienne renvoie à la colonisation. » Pour que le sionisme réussisse, il fallait mobiliser les affects juifs, surtout après la Shoah. « Le sionisme a ainsi fait en quelques années la conquête du judaïsme », a résumé Laurens, en une formule percutante. En retour, les musulmans ont appelé à une « contre-croisade » afin de défendre la Terre sainte contre le sionisme. Le conflit a pris, dès les années trente, la dimension d'un affrontement entre deux religions, islam et judaïsme, qui se sont politisées.
Laurence Louër, chercheuse au CERI, a, pour sa part, relativisé l'identité religieuse des conflits au Moyen-Orient, en soulignant les causes endogènes et exogènes d'un conflit liées aux bouleversements sociaux et aux rapports géopolitiques et aux interventions des puissances européennes au sein de l'Empire ottoman. Elle a notamment mis l'accent sur « le phénomène de mobilité sociale accélérée de minorités religieuses jusque-là marginalisées », tel que les chiites, phénomène dû à l'émergence des États au début du XXe siècle. Un « processus de déségrégation » s'en suit et c'est ainsi que l'identité religieuse chiite s'est politisée à partir des années 50, dans plusieurs pays du Moyen-Orient. La chercheuse a estimé qu'« il ne faudrait pas surévaluer le conflit sunnite-chiite ; il n'est pas généralisé. Il existe une série de tensions dans certains pays comme l'Irak, le Liban, qui sont plutôt des crises politiques locales, mais leur conjonction peut laisser penser à un mouvement général. »
Le professeur britannique Murray Last a présenté un exposé impertinent sur le rôle du religieux au Nigeria, où « les conflits sont politiques », mais où « il y a plus de profit à les présenter comme étant religieux, afin de s'attirer le soutien financier de puissances étrangères ». Un conflit de pouvoir à l'échelle locale, doublé d'un conflit sur les ressources : le religieux en est réduit à servir de commerce lucratif aux ambitieux de tous poils. Distillé avec un typique humour anglais, le tableau brossé par Murray Last des conflits au Nigeria n'en est apparu que plus irréel.
Enfin, le conflit entre catholiques et protestants en Irlande a été présenté avec rigueur par Jennifer Heurley, de l'Université d'Aix-Marseille 1, qui a affirmé que « la question irlandaise est coloniale et s'est exprimée en termes religieux ».
Tout en mettant l'accent sur le rôle joué par l'Église, à travers ses réseaux d'aide sociale et ses écoles, à structurer et « ghettoiser » les catholiques irlandais du Nord, face à un État qui les considérait comme déloyaux, Heurley a souligné à quel point la religion est devenue « un processus d'identification identitaire et conditionne le vote ». « L'absence d'identité religieuse est considérée comme un manque d'appartenance politique », a-t-elle encore précisé, avant de rappeler que l'accord du vendredi saint (négocié par l'émissaire américain George Mitchell en 1998 pour mettre fin au conflit multiséculaire) tient toujours et a durablement généré la paix.

Violence et religion
Le deuxième panel, qui a développé le comportement des seigneurs de la guerre (Olivier Roy), des milices en Irak (Hosham Dawood) et d'el-Qaëda (Jean-Pierre Filiu), a été largement dominé par l'intervention magistrale de Jacques Semelin, du CNRS/Sciences Po, lequel a décortiqué, devant un auditoire concentré, le religieux comme catalyseur des violences de masse.
Faisant l'autopsie du processus de destruction de l'autre, Semelin a évoqué les étapes par lesquelles passe la représentation de l'autre, de l'ennemi, avant de déboucher sur le massacre. « Je définirai le massacre comme une opération mentale d'abord, a-t-il dit, l'autre est à stigmatiser, marginaliser, exploiter, puis détruire complètement. »
L'exemple du Kosovo a été amplement évoqué à maintes occasions au cours du colloque. Mais c'est le cas de beaucoup de conflits aussi.
Qui construit ces représentations destructrices de l'autre ? Ceux qui vont « préformer la potentialité de la violence et, donc, du massacre » pourraient être des écrivains, des universitaires, des artistes, des scientifiques et aussi des religieux. Mais les discours incendiaires ne conduisent pas nécessairement à l'incendie. Pour aller plus loin, il faut des organisations, des fonds, des leaders. Ainsi en a-t-il été du nazisme. Du communisme aussi. « La politique absorbe le religieux dans son fondement même, pour justifier son combat. » Quant au religieux, il peut favoriser la violence du politique quand il se tait. La responsabilité du religieux se pose notamment face à un État qui transgresse le contrat social de protection qui le lie à ses citoyens et qui devient meurtrier (Rwanda, Balkans...). Seul le religieux a le pouvoir de dire ce qui est injuste dans ce cas.
Quand un conflit revêt les habits religieux, il rend impossible le compromis politique ou diplomatique. « Les morts deviennent les otages existentiels des vivants, ils sont instrumentalisés. »
Ainsi, après un génocide ou un crime de masse, rien n'est plus comme avant et la négociation diplomatique devient un exercice difficile, à cause de la mémoire. Il existe aussi les « guerres de mémoire ».
Beaucoup de conflits à travers le monde ont ce profil. Parmi eux, le conflit israélo-palestinien.
Un dernier mot sur el-Qaëda, dont le chercheur et écrivain Jean-Pierre Filiu a brossé un historique, depuis sa fondation en 1988, au Pakistan, pour lutter contre l'occupation soviétique. Analysant sa stratégie, Filiu a estimé que ce mouvement est « une véritable machine de guerre contre l'islam » d'abord. Il a estimé qu'avec sa théologie bricolée, inventée, qui révèle des incompétences doctrinales patentes, le mouvement était condamné à être un mouvement éphémère à long terme.

Synthèse
Pierre Lévy, directeur de la Prospective au ministère des Affaires étrangères, devait clôturer le colloque par un mot de synthèse de ce colloque qui a permis de démontrer comment la religion peut servir d'identité de substitution à des identités politiques défaillantes. Il a rappelé que la France évite d'avoir une lecture religieuse du monde et qu'elle préfère une « approche décomplexée du fait religieux », tout en maintenant la « distinction fondamentale entre le champ politique, qui est celui des intérêts, de la négociation, du compromis, et le champ religieux, qui est le domaine de l'absolu, de l'irréconciliable, de l'irréductible ».
Lourde et délicate entreprise...
Les conflits religieux existent-ils ? Comment la religion peut-elle être instrumentalisée par le politique ? Dans quelle mesure le religieux favorise-t-il la violence du politique ? Quelle est la place de la religion dans le conflit israélo-palestinien et, plus globalement, dans les conflits du Moyen-Orient ? Et dans la nouvelle vision politique...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut