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Liban - Archéologie

Scandale à Jiyeh : sur la nécropole de Porphyreon se greffe une marina moderne

En date du 19 septembre 2008, « L'Orient-Le Jour » avait publié un article portant sur les fouilles de la ville antique de Porphyreon, à Jiyeh, menées en coordination avec la Direction générale des antiquités (DGA) par une équipe d'archéologues polonais de l'université de Varsovie. Après une visite sur le site, Fady Stephan, archéologue spécialiste des langues sémitique, araméenne, phénicienne et punique (EPHE et Paris III-Sorbonne), livre ci-dessous ses impressions.

Vu l'état de négligence du site, il est de notre devoir de fournir des informations à ce sujet. Roger Saïdah, initiateur des travaux sur ce site, avait entrepris les excavations à Porphyreon en 1975. Notre stage avec lui date de la fin de septembre de cette année-là, et s'est achevé au moment où les accrochages au Liban ont repris, de sorte que le chantier a dû être abandonné très longtemps.
Le site comportait deux parties : la ville des vivants, qui se nommait à l'origine Porphyréon, ce qui veut dire « productrice de pourpre », et la nécropole ou « ville des morts ». En se promenant sur les lieux Roger Saïdah m'avait confié qu'il comptait, dès qu'il aurait entièrement dégagé Porphyréon, s'attaquer à sa nécropole attenante. Il me dit avoir une chance rare : cette petite ville était à son sens comparable à Pompéi, car les maisons avec leurs murs recouverts de leur enduit y étaient intactes, ne devant leur sauvegarde qu'aux sables fins du rivage (...)
Ayant eu la chance de participer à la mise au jour de quelques chambres, j'aimerais souligner que contrairement à ce que les archéologues actuels affirment, dans le journal de bord que je tenais à ce moment-là, je relève le fait suivant : les ouvriers m'ont montré une très grande quantité de coquillages murex dont on tirait la pourpre qui était traitée sur les lieux. Cela prouvait bien que Prophyréon était consacrée à la pourpre presque autant qu'à la pêche (ce qu'indiquent les nombreux hameçons et ustensiles retrouvés aussi).

Où sont les fresques de Nabi Younis ?
Deuxièmement, les archéologues paraissent dire qu'ils ont dégagé eux-mêmes toute cette cité et sa cathédrale contiguë, située plus bas. Ayant revu cette ville, elle ne dépasse pas la zone entière délimitée par Roger Saïdah. Peut-être les
Polonais y ont-ils été en certains endroits plus en profondeur. Mais dans ce cas, comment expliquer que dans l'article de L'Orient-Le Jour, les remarquables fresques qui ornaient les murs des maisons et de l'église attenante ne sont jamais mentionnées ? Les nouveaux archéologues ne les connaissent pas ! Nous avions eu l'occasion d'admirer ces fresques qui relèvent de l'art paléochrétien le plus primitif. Nous serions même à Nabi Younis dans une zone privilégiée de naissance de l'art paléochrétien allant vers le byzantin. Ayant consulté une spécialiste de cette peinture, devant qui nous avons relevé les principales caractéristiques de cet art méconnu, elle nous a dit qu'elle n'en connaissait d'analogue que dans les catacombes de Rome !
En quoi consistait cette peinture ? Sur un fond blanc éclatant et indifférencié, des motifs se trouvaient peints en teintes pastel ; c'était de plus surtout la représentation qui justifie l'appellation moderne du site : çà et là, une baleine des dents de laquelle émergeaient encore les jambes schématiques et rouge-brique de Jonas ; diverses décorations végétales constituaient des guirlandes colorées et autres frises végétales. Ces pans de murs rectangulaires étaient exposés au soleil juste au-dessus du chantier en attendant qu'ils sèchent de l'humidité qui imbiba ce lieu marin durant des siècles ; et les ouvriers spécialisés venaient les recouvrir d'un enduit protecteur. Au bout de quelque temps, il fut hors de question de retourner sur le site, la guerre civile avait repris. Quant aux fresques, elles étaient bien censées avoir été, au moins en partie, transférées au Musée national de Beyrouth.
Qu'en est-il ? Et où sont-elles donc ? Pourquoi aucun des deux directeurs des Antiquités qui se sont succédé depuis l'émir Chéhab n'en a-t-il jamais révélé l'existence au public ? Pourquoi garder ce public dans l'ignorance ? Et sont-elles bien arrivées au dépôt du musée en leur temps ?
Quant à la cathédrale, impressionnante par ses dimensions (...), je signale, ayant été témoin des fouilles, qu'elle a été dégagée par Roger Saïdah en ce septembre 1975 ; c'est même de là que les plus belles mosaïques ont été transférées au palais de Beiteddine afin d'être protégées. Mais il faut savoir qu'en comparaison de ses exceptionnelles mosaïques, les fresques peintes de Nabi Younis sont des témoins rarissimes sur la naissance d'un art. Pour Malraux, « très peu de gens connaissent les soubresauts de la peinture byzantine », et il y aurait un devoir urgent à suivre pas à pas son évolution à travers les pays d'Orient (Malraux, Les Voix du silence).

Un bar au sein des caveaux antiques
Telle que nous l'avons vue récemment, la cathédrale est méconnaissable : on voit surtout le mur de son abside et quelques vagues pilastres demeurés sur place, alors que tout y était bien démarqué. Pas de trace non plus d'un gardien de chantier. Mais le scandale ne fait que commencer : à quelques centaines de mètres de distance, nous avons voulu revoir la nécropole que Saïdah se proposait de fouiller. Mais ce grand archéologue est décédé en 1977 sans avoir eu le temps de publier ses rapports de fouilles. Selon la conservatrice du Musée de Beyrouth, Suzy Hakimian, il n'y aurait qu'un unique article fait par lui pour « Connaissance des arts », ce qui était insuffisant. Arrivés sur le lieu de la nécropole, autrefois un grand monticule de rochers marins avec de nombreuses cavités tombales (une vraie ville des morts), nous avons vu à cet endroit la nouvelle « Jiyeh Marina Resort », la plus grande « marina » du Liban, empiétant totalement sur le domaine archéologique. Qui mieux est, l'écrasant sous ses dalles de béton.
Pour voir ce qui reste des caveaux de ce qui paraissait bien être une importante nécropole du temps où nous y avions accompagné Saïdah, nous avons dû descendre l'escalier de la « Marina » pour ne trouver de part et d'autre que deux cavités contenant des restes de sarcophages hellénistiques et de cippes funéraires. Mais à notre grande surprise, sur les murs écaillés étaient visibles des peintures tombales qui ont eu le temps de se dégrader depuis le moment de ma dernière visite qui remontait à trois mois, en compagnie d'un confrère archéologue.
Au-delà de la piscine, nous avons vu une autre partie de l'ensemble de la « ville des morts » déflorée : un bar a été aménagé à l'intérieur des caveaux, profanant les tombes.
Il y aurait encore beaucoup à dire, mais en regardant un des sarcophages doté de guirlandes avec une tête de lion en bas-relief, nous avons compris comment l'art paléochrétien des fresques précitées s'était sans doute inspiré librement et directement de cet art hellénistique qui lui était offert, et peut-être directement de ces sarcophages, là, au même endroit.
Quant aux peintures hellénistiques de ces plafonds des tombeaux, on n'y peut plus mener aucune recherche, puisque faute d'entretien et livrées comme elles sont aux loisirs balnéaires et au chlore de la « swimming-pool », elles ne restent plus que dans un état fantomatique, uniquement à deviner...

Vu l'état de négligence du site, il est de notre devoir de fournir des informations à ce sujet. Roger Saïdah, initiateur des travaux sur ce site, avait entrepris les excavations à Porphyreon en 1975. Notre stage avec lui date de la fin de septembre de cette année-là, et s'est achevé au moment où les accrochages au Liban ont repris, de...

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