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Législatives 2013 : les électeurs libanais ont la parole - Législatives 2013 : Les électeurs libanais ont la parole

« J’ai besoin d’un État fort », dit Ali, à Abbassiyeh

Deuxième étape de notre série en partenariat avec la Fondation Samir Kassir sur les attentes des électeurs libanais : la famille Dib, à Abbassiyeh, au Liban-Sud.

Malak Dib, Ali Ezzeddine, et Firas Dib chez eux à Abbassiyeh.

Dans les rues calmes de Abbassiyeh, à l’entrée de Tyr, les portraits de Nabih Berry, leader d’Amal, de Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah, et des martyrs de leurs partis respectifs rappellent un paysage fréquent au Liban-Sud. Ici, la quiétude apparente d’un dimanche matin dans un village ne peut pourtant faire oublier le fait que la région a maintes fois été victime de la colère israélienne.
À 29 ans, Firas Dib est marié depuis quatre mois. Dans sa maison neuve mais inachevée, au style moderne, pas de portraits d’hommes politiques, mais une grande table autour de laquelle il est assis en compagnie de sa femme Zeinab, sa sœur Malak et le fiancé de cette dernière, Ali, des oncles et des cousins. Si tous les membres de la famille affichent une mine sereine et un sourire affable, leur quotidien n’est pas pour autant toujours facile.
Malak n’a que 24 ans. Étudiante en sciences politiques et en littérature anglaise à l’Université libanaise, elle enseigne en parallèle l’anglais dans une école et donne des cours particuliers l’après-midi. Dans son village, comme beaucoup de jeunes de la région, elle a su tisser des liens étroits avec le contingent coréen de la Finul. «J’ai fait la connaissance de nombreux Coréens, raconte la jeune fille dont le visage est encadré d’un voile sombre, et j’apprends actuellement leur langue dans les locaux de la Finul les dimanches. J’ai déjà fait deux voyages en Corée, financés par la Finul.» Et d’ajouter en riant: «J’aurais aimé épouser un Coréen.»

Des subventions de l’Iran
Chaque mois, Malak encaisse un peu moins qu’un million de livres libanaises (666 dollars). Ne pouvant pas s’acheter une voiture, elle doit débourser chaque jour quelque 10000 LL (6,6 dollars) pour les transports publics, ce qui représente une somme conséquente à la fin du mois pour la jeune fille. Elle doit également payer des cours supplémentaires qu’elle suit pour s’assurer une éducation solide.
Son fiancé, Ali Ezzeddine (35 ans), est menuisier. Très tôt, il a laissé tomber l’école pour ouvrir sa propre menuiserie, à laquelle il consacre toute la journée. «La pression est grande, explique-t-il. Je dois parfois travailler les dimanches. Si je n’étais pas connu dans la région comme étant un fin menuisier, j’aurais sûrement fermé ce business il y a longtemps. La compétition est assez rude avec les grandes usines.» Aujourd’hui, quatre ouvriers assistent Ali au quotidien. Entre leurs salaires, les frais d’électricité, ceux du générateur, et d’autres dépenses, Ali doit débourser chaque année 5000 dollars au minimum. «Je n’ai pas de comptable et je n’ai toujours pas enregistré la menuiserie dans les registres de l’État. Cela me coûterait très cher et augmenterait mes frais quotidiens», confie-t-il.
Quand il n’utilise pas la Renault Rapid de la menuiserie, le jeune homme profite de la BMW de son frère émigré. Mais il en fait un usage modéré et limite ses allers-retours à Beyrouth, en raison de l’explosion des prix de l’essence. Actuellement, il construit sa propre maison pour y vivre avec Malak, deux étages bâtis au-dessus d’une pièce qui sert de demeure à ses parents. Ce projet, qui coûte environ 150000 dollars, consume la quasi-totalité de ses économies.
Firas, le frère de Malak, est sergent dans les Forces de sécurité intérieure, un métier dont il rêvait. Marié depuis seulement quatre mois, il passe quatre jours de la semaine à Sarafand, à une vingtaine de kilomètres de Abbassiyeh, où il est en poste. «Ce sont mes parents qui m’ont aidé à construire ma maison, dit-il. Le terrain leur appartenait. En 2003, mon père, plombier et âgé aujourd’hui de 61 ans, a émigré en Afrique pour soutenir financièrement la famille. Ici, impossible de mettre un sou de côté. J’arrive à peine à payer ma Kia Picanto.»
Au Liban-Sud, rebondit l’oncle de Firas, «les habitants vivent principalement des rapatriements de fonds des émigrés, de l’emploi dans les administrations publiques de l’État, et des subventions offertes par l’Iran».

 



Espérer un changement en 2013
À quelques mois de la date prévue pour les législatives, Malak, Ali et Firas ne demandent pas l’impossible aux politiciens libanais, tout juste que l’État leur assure les services de base: de l’électricité toute la journée, une bonne distribution de l’eau, des routes dignes de ce nom et qui résistent aux tempêtes, et l’accès à de meilleurs services médicaux. «L’hôpital gouvernemental de la région est un endroit où l’on est sûr de mourir», explique Ali, qui n’est pas couvert par la Sécurité sociale, contrairement à Malak et à Firas.
«Que la corruption gangrène moins la vie» est également un espoir qui fait l’unanimité dans la famille. Pour Firas, la corruption pourrait entraver sa carrière dans les FSI. Pour Malak, son rêve de devenir ambassadrice en souffrirait. Pour Ali, les formalités administratives seraient plus aisées sans «wasta» et autres pots-de-vin.
Malak aimerait aussi voir plus d’espaces publics dans sa région. «Ma vie sociale n’est pas très active, je ne fais que des visites chez les uns et les autres», explique-t-elle. La jeune femme espère aussi pouvoir rapidement commencer à économiser de l’argent. «Quand j’aurai des enfants, j’aimerais pouvoir les inscrire dans une école privée, pour qu’ils bénéficient d’une meilleure éducation», affirme-t-elle, avant d’ajouter: «Quand nous disons que nous nous sentons à l’aise (financièrement), cela veut simplement dire que nous n’avons pas besoin de mendier. Mais nous joignons à peine les deux bouts.»
Ali acquiesce, tout en laissant filtrer son pessimisme. «Le peuple libanais ne changera jamais, estime-t-il. Il continuera à suivre des partis politiques qui lui offriront des services à défaut d’un État fort. J’ai besoin d’un État qui puisse me protéger et qui me considère comme un être humain ayant une certaine valeur. Dans mon village, je peux mourir tué par les Israéliens à n’importe quel moment, sans que personne ne réagisse.»
Et de conclure, amer mais résolu: «Aux prochaines législatives, Malak et moi voterons blanc, comme d’habitude, car aucun parti politique ne nous représente vraiment.»

 

Retour sur la première étape de la série

Le rêve des Khoury de Ayto : permettre la vie au village

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