Coup de pompe

La pompe a le vent en poupe. Et pas uniquement sur les podiums ou aux pieds de nymphettes de séries télévisées, branchées sexe et mode. Non, ces derniers temps, la chaussure joue sur le fond et pas seulement sur la forme. Et ce notamment grâce à Mountazer al-Zaïdi, cet Irakien qui, d'un jet de savates, est devenu, pour beaucoup, un héros et un héraut.
Un héros, car il a osé, un jour de décembre 2008, balancer ses chaussures, un bon 43, à la face d'un George W. Bush sur le point d'expliquer, pour la énième fois, comment les États-Unis allaient gagner la guerre. Il fallait un certain courage ou une totale inconscience pour viser Bush car si, à l'époque, le Texan de la Maison-Blanche dirigeait la première puissance mondiale, l'ex-président était aussi et surtout le Copperfield de la lutte contre le terrorisme, l'homme qui faisait disparaître les suspects présumés innocents avant que ne soit apporté un début de preuve du contraire, le magicien de la sémantique qui parvenait à introduire une distinction entre torture et séjours répétés, contraints et prolongés dans une baignoire pleine d'eau, de la tête d'un homme ayant sûrement quelque chose à avouer puisqu'il s'appelle Khaled.
Un héraut car en faisant voler ses Baydan « modèle 271 » vers Bush, notre Hermès irakien - la divinité, pas le sac contrefait - s'est fait le messager de millions de personnes dans le Moyen-Orient et dans le monde.
En jetant ses savates, Mountazer s'est fendu d'un « C'est le baiser d'adieu, espèce de chien. » Mais sans la chaussure, ces mots seraient rapidement tombés dans les oubliettes de l'histoire. Le message ici, c'est la pompe. La chaussure arabe de surcroît, ce qui n'est pas peu dire étant donné la réputation d'insulte qui lui colle à la semelle dans cette partie du monde.
Mais rendons à César ce qui appartient à César. En octobre 1960, le bouillonnant secrétaire général du Parti communiste soviétique, Nikita Khrouchtchev, avait déjà saisi le potentiel revendicatif du mocassin. Ulcéré par les appels à l'indépendance des satellites de l'URSS émis par le représentant philippin à l'ONU, Monsieur K. avait frénétiquement frappé son pupitre onusien avec sa chaussure, en exigeant que ce « laquais de l'impérialisme américain » la boucle.
À l'opposé des Khrouchtchev et autre Mountazer, car l'Irakien a fait des émules à travers le monde, certains préfèrent, ou auraient préféré, avoir la pompe discrète. À l'instar de Richard Reid, l'homme qui avait voulu, en 2001, faire sauter un avion d'American Airlines avec un explosif caché dans la semelle de ses baskets. Une tentative d'attentat qui lui avait valu le sobriquet de « shoe bomber ». Le système de détonation de la chaussure plastiquée ayant eu des ratés, M. Reid s'était fait repérer et maîtriser par les passagers alors qu'il tentait d'allumer ses semelles avec des allumettes.
Il est une autre paire de chaussures qui a également failli péter à la figure de son propriétaire. Une paire de Berluti à 11 000 francs, soit plus de 1 700 euros, symbole du volet « Roland Dumas » de la tentaculaire affaire Elf. Une paire de chaussures dont on suspecta qu'outre le cuir pleine fleur, elle fleurait aussi la corruption et l'abus de bien social.
Là encore, il y avait eu précurseur en la matière. Dans l'Italie des années 50, c'est-à-dire avant l'ère berlusconienne du « télépopulisme » à ministres/pin-up, c'est avec des chaussures - la droite offerte avant le scrutin, et la gauche après - que le maire de Naples, le commandant Lauro, achetait les votes de ses électeurs.
Des électeurs qui, dans trop de pays, rêvent de politiciens droits dans leurs bottes devant le spectacle affligeant d'élus marchant à côté de leurs pompes.