Rechercher
Rechercher

Les réformes en Arabie saoudite, un chemin encore long et parsemé d’obstacles - Éclairage

Les réformes en Arabie saoudite, un chemin encore long et parsemé d’obstacles

Le débat sur les réformes, qui vient d'être relancé en Arabie saoudite, montre une certaine volonté manifestée par le roi Abdallah en faveur d'une libéralisation relative des lois ultraconservatrices. Interrogés par « L'Orient-Le Jour », des spécialistes du royaume wahhabite analysent l'importance de ce débat et les principaux défis auquels il est confronté.

Une photographie qui a fait beaucoup couler d’encre dans la presse saoudienne et étrangère. Le cliché montre le roi Abdallah posant avec une trentaine de Saoudiennes, dont plusieurs ont le visage découvert, en plein débat sur la mixité dans le royaume.

Le royaume wahhabite est, depuis quelques semaines, agité par une série de polémiques. Ce débat, lancé en septembre dernier, lorsque le roi Abdallah a inauguré la première université mixte, a accru les tensions entre religieux conservateurs et réformateurs. Il a été récemment alimenté par le limogeage puis le rétablissement du chef de la puissante police religieuse à La Mecque, cheikh Ahmad al-Ghamdi. Ce dernier s'est distingué en affirmant qu'il n'est pas utile de contraindre les fidèles à prier en groupe et que « rien dans l'islam n'interdit la mixité ». Quelques jours plus tard, les médias saoudiens publiaient une photo du souverain saoudien et du prince héritier Sultan ben Abdel Aziz posant avec une trentaine de Saoudiennes, dont plusieurs avaient le visage découvert.
Pour Gregory Gause, expert de l'Arabie saoudite et professeur de sciences politiques à l'Université du Vermont, aux États-Unis, le débat qui vient d'être relancé est « très important et nécessaire ». « Les autorités saoudiennes semblent prendre très au sérieux ce débat, estime le spécialiste. Mais, tient-il à préciser, il ne faut pas s'attendre à ce que les choses, en Arabie saoudite, changent rapidement. » Selon lui, même si le roi Abdallah semble sympathiser avec les réformateurs, le système politique du royaume, qui est fondé sur le wahhabisme, ne perçoit pas ces réformes d'un bon œil. « À mon avis, dit M. Gause dans une entrevue avec L'Orient-Le Jour, les conservateurs, qui considèrent cette affaire comme une forme d'"occidentalisation", ont plus de chances de mobiliser l'opinion publique saoudienne que les réformateurs contre le projet de réformes. C'est pour cela que le roi fait avancer les choses très lentement et avec pragmatisme. »
À son arrivée au pouvoir, en 2005, le roi Abdallah, souvent décrit comme partisan d'une politique relativement libérale, avait suscité une vague d'espoir chez les réformateurs saoudiens. Ces espoirs se sont toutefois atténués quand, en février 2007, la police saoudienne a effectué une série de raids à Djeddah et à Médine, arrêtant une dizaine de figures réformistes, dont plusieurs avocats, enseignants et médecins, ainsi qu'un ancien juge.
Deux ans plus tard, en février 2009, le souverain crée la surprise en relançant le processus de réformes par un remaniement profond touchant cinq domaines-clés : le religieux, le judiciaire, le militaire, l'économie et l'éducation. Quatre ministres sont ainsi remplacés, ainsi que les chefs de la Banque centrale, du Conseil de la choura, de la commission de la Vertu et de la Prévention du vice, et de la commission nationale pour les Droits de l'homme. Le roi Abdallah prend également l'initiative de nommer, pour la première fois dans l'histoire du pays, une femme - Noura Fayez - au poste de vice-ministre de l'Éducation.
« Le roi donne l'image d'un monarque bienveillant, bien plus souple que celle de son frère et prédécesseur, explique Barah Mikaïl, chercheur spécialisé sur le Moyen-Orient à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Mais dans le même temps, dit-il, il faut savoir que si le débat s'est un peu plus ouvert en Arabie saoudite ces dernières années, cela est dû à une conjoncture particulière, marquée par la globalisation et l'ouverture des Saoudiens au monde grâce aux chaînes satellitaires et à Internet. » En effet, selon une étude réalisée par le ministère saoudien de l'Économie, le nombre d'utilisateurs d'Internet a plus que doublé en cinq ans, entre 2004 et 2009.
« La technologie a permis aux Saoudiens de s'exprimer plus librement tout en échappant à la censure de l'État », indique pour sa part Ali al-Yami, fondateur du Centre pour la démocratie et les droits de l'homme en Arabie saoudite, qui est basé à Washington. « Le débat sur les réformes est un faux débat que le roi exploite pour gagner en popularité », affirme-t-il. Selon lui, « pratiquement rien n'a changé en Arabie saoudite depuis l'arrivée du roi Abdallah au pouvoir ». « Les choses se sont, au contraire, détériorées dans certains domaines, assure M. al-Yami. Les institutions religieuses sont toujours aussi puissantes et jouissent de pouvoirs encore plus étendus ; les responsables des médias sont nommés par la famille royale, le taux de chômage, plus particulièrement chez les femmes, a considérablement augmenté (il s'établit à 43 % chez les jeunes Saoudiens) ; la liberté religieuse est complètement inexistante ; l'infrastructure se trouve dans un état dérisoire, en dépit des énormes revenus de pétrole ; et le cursus scolaire du royaume est l'un des plus mauvais au monde. »
La question de la réforme du système éducatif saoudien fait l'objet depuis quelques mois d'un large débat dans le royaume et au sein même de la famille royale. Car, étant donné que le secteur de l'éducation est tenu par les religieux, plus de la moitié du curriculum scolaire ne porte que sur l'enseignement de l'islam et de la doctrine wahhabite. Par conséquent, le pays dépend largement des travailleurs étrangers qui dominent dans le secteur privé, alors que les Saoudiens, considérés comme manquant de compétences et de formation, sont employés principalement par le gouvernement. Dans une récente interview télévisée, le prince Mohammad Abdallah al-Fayçal a sévèrement critiqué le programme scolaire saoudien, le qualifiant d'« inacceptable », tout en affirmant qu'il « produit des terroristes ».
Selon les spécialistes, le principal moteur qui a déclenché le processus de réformes en Arabie saoudite serait l'inquiétude que suscite le terrorisme international chez les autorités, notamment après les attentats du 11-Septembre. Pour M. Gause, ce sont les attaques contre le World Trade Center et, plus directement, l'émergence d'el-Qaëda au sein du royaume « qui ont poussé les autorités à tenter de redéfinir le wahhabisme ». « Les autorités, estime-t-il, essaient aujourd'hui de transformer l'image de la "wahhabia", une interprétation puritaine de l'islam, en "wasatiya", une interprétation plus modérée de la religion. La famille royale, explique encore le spécialiste, a ainsi cherché à exercer un plus grand contrôle sur les activités et les discours religieux, tout en condamnant les actes terroristes et les qualifiant de "déviants". En 2009, le roi Abdallah a annoncé son intention de réformer la police religieuse. Il a consulté des défenseurs des droits de l'homme et a cherché à mieux former les membres de sa police et à punir les auteurs d'abus. Aujourd'hui, la commission n'agit plus qu'en collaboration avec les autorités et a cessé de faire appel aux volontaires responsables dans le passé des pires abus. »
« Les pressions internationales ont poussé les Saoudiens à se regarder dans le miroir et à remettre en question leur système, leurs valeurs, ainsi que leur relation avec l'étranger, souligne Ali al-Yami. Toutefois, note-t-il encore, les autorités n'ont pas su profiter de cette opportunité, étant donné qu'elles ne possèdent pas une vision claire pour le futur des réformes dans le pays. »  « En tant que pays qui a pour socle fondateur le wahhabisme, l'Arabie saoudite pourrait avoir bien du mal à réformer de fond en comble ses pratiques, explique de son côté Barah Mikaïl. D'autant plus que, pour la communauté internationale, la stabilité de la famille royale est bien plus fondamentale que la promotion d'un processus démocratique franc qui pourrait faire émerger des inconnues menaçantes. »
Le royaume wahhabite est, depuis quelques semaines, agité par une série de polémiques. Ce débat, lancé en septembre dernier, lorsque le roi Abdallah a inauguré la première université mixte, a accru les tensions entre religieux conservateurs et réformateurs. Il a été récemment alimenté par le limogeage puis...