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« Ahmadinejad cherche à gagner du temps pour en finir avec l’opposition iranienne » - Analyse

« Ahmadinejad cherche à gagner du temps pour en finir avec l’opposition iranienne »

Pour Azadeh Kian, spécialiste de l'Iran, les concessions faites par le président iranien sur le dossier du nucléaire sont une manœuvre politique.
Le 1er octobre courant, l'Iran renouait, à Genève, le dialogue gelé depuis plus d'un an avec les six grandes puissances (Chine, France, Russie, États-Unis, Grande-Bretagne et Allemagne) sur son programme nucléaire. À l'issue des négociations, il s'engageait à donner accès aux inspecteurs de l'AIEA au site d'enrichissement d'uranium de Qom, dont l'existence avait été révélée par Téhéran une semaine plus tôt. Les Iraniens lâchaient également du lest sur l'enrichissement d'uranium en indiquant être prêt, comme l'avait suggéré le président Ahmadinejad la veille de la réunion, à exporter 80 % de son uranium faiblement enrichi à l'étranger pour qu'il y soit traité. Paris et Moscou se sont montrés volontaires pour procéder à cet enrichissement. L'Iran dit avoir besoin d'uranium enrichi à 20 % pour alimenter une centrale de recherche à Téhéran qui produit des isotopes radioactifs à usage médical. L'enrichissement de l'uranium est un point ultrasensible du dossier du nucléaire iranien. À de multiples reprises, avant la réunion de Genève, les responsables iraniens avaient répété que la République islamique restait inflexible sur son « droit inaliénable » à enrichir de l'uranium.
À l'issue de la réunion de Genève, le président américain Barack Obama a déclaré que la réunion avait été « constructive », tout en appelant à ce que les paroles soient suivies d'actes. Quelques jours plus tard, Mahmoud Ahmadinejad parlait d'« un pas positif en avant ». De nombreux commentateurs évoquaient une avancée sur le dossier du nucléaire iranien.
« Le fait même que l'Iran accepte de négocier sur la question du nucléaire est un changement. Jusque-là, Ahmadinejad disait qu'il était prêt à négocier sur tout, sauf sur le nucléaire », souligne Azadeh Kian, professeur à l'université de Paris VII et chercheuse au CNRS. Elle qui relève que l'idée de faire enrichir l'uranium iranien à l'étranger avait déjà été avancée sous la présidence de Mohammad Khatami. « À l'époque, les conservateurs accusaient les autorités de vouloir céder aux pressions occidentales », note la chercheuse. « Aujourd'hui, en Iran, certains se demandent pourquoi les responsables au pouvoir acceptent aujourd'hui ce qu'ils refusaient hier avec, entre les deux prises de position, des années de sanctions », ajoute-t-elle.
Par ailleurs, pour Azadeh Kian, les concessions faites par le président iranien sont pour le moins contraintes, voire sont de fausses concessions.
« En ce qui concerne le site de Qom, les services de renseignements occidentaux étaient au courant de son existence. Et ils étaient sur le point de révéler son existence. L'Iran était contraint d'en parler avant, et a fait passer cette annonce comme une concession », explique Azadeh Kian.
Par ailleurs, peu avant l'ouverture de la session du G20 à Pittsburgh, fin septembre, Barack Obama, Nicolas Sarkozy et Gordon Brown avaient, dans une déclaration commune, accusé l'Iran de ne pas répondre à ses obligations et lui avaient lancé un avertissement très ferme.
Le rapprochement américano-russe, notamment après l'annonce à la mi-septembre par le président Obama d'une révision du projet de défense antimissile américain en Europe qui irritait Moscou au plus au point, a également contribué à mettre l'Iran sous pression. De nombreux analystes estiment en effet qu'en contrepartie de son recul sur le bouclier, Obama aurait pu demander à Moscou d'accroître la pression sur Téhéran. « Ahmadinejad s'était beaucoup rapproché des Russes et comptait sur leur soutien presque inconditionnel », rappelle Azadeh Kian. Or, fin septembre, en marge de l'Assemblée générale annuelle des Nations unies, le président russe, Dmitri Medvedev, reconnaissait devant Barack Obama que si « les sanctions débouchent rarement sur des résultats productifs, dans certains cas des sanctions sont inévitables ».
Enfin, le président iranien se trouve en situation de grande faiblesse en raison de facteurs internes. « la situation économique en Iran a certainement eu un impact fort sur la décision d'Ahmadinejad de lâcher du lest à Genève », souligne Mme Kian, qui indique que les sanctions contre l'Iran ont eu des conséquences particulièrement néfastes notamment sur les secteurs du gaz et du pétrole. « En raison des sanctions, les grandes compagnies internationales n'investissent pas dans ces secteurs, alors que, précisément, ceux-ci ont besoin de milliards de dollars d'investissement », note la chercheuse qui rappelle que l'hiver dernier, « 70 Iraniens sont morts de froid chez eux, par manque de chauffage ». « Par ailleurs, on note des problèmes dans les champs gaziers du sud du pays. Jeudi dernier, 6 000 personnes travaillant dans ces champs ont été licenciées », ajoute-t-elle.
Mahmoud Ahmadinejad doit également toujours faire face aux conséquences de sa réélection contestée, en juin dernier. Si les manifestations d'opposants sont plus rares aujourd'hui, la contestation n'est pas morte. « Toute une frange de la population iranienne est toujours mécontente. Et il ne s'agit pas seulement de jeunes. Parmi les manifestants, il y a aussi des mères, des pères, des vieux. Tous ces Iraniens se sentent trahis. Et ce sentiment ne va pas disparaître comme ça. C'est un sentiment que l'on avait déjà vu en 1979 (au moment de la révolution) », note Azadeh Kian.
Au niveau des figures politiques de l'opposition, Mir Hossein Moussavi, candidat conservateur modéré arrivé en seconde position de la présidentielle, a formé un mouvement politique, auquel se sont joints Mehdi Karoubi, ex-candidat réformateur au scrutin de juin dernier, et l'ancien président Mohammad Khatami. « En ce qui concerne Ali Akbar Hachemi Rafsandjani, il hésite à prendre directement parti pour l'opposition. Mais ses proches parlent et critiquent Ahmadinejad. Par ailleurs, Rafsandjani ne participe pas à la prière du vendredi à Téhéran », note Azadeh Kian. Autre coup dur pour Ahmadinejad, la perte du soutien du petit-fils de l'ayatollah khomeyni. « Hassan Khomeiny n'a pas assisté à l'investiture d'Ahmadinejad. Il refuse également de participer aux cérémonies officielles, » note la spécialiste, qui précise que de grands ayatollahs à Qom, Chiraz et Ispahan ont également lâché le président.
« Ahmadinejad ne peut pas se battre en même temps sur la scène locale et faire face à la communauté internationale sur le dossier du nucléaire, note Azadeh Kian. Ahmadinejad devait lâcher du lest quelque part. Il a choisi le dossier du nucléaire. »
Dans ce contexte, les concessions de Mahmoud Ahmadinejad ne sont probablement, selon la chercheuse, « qu'une manœuvre politique visant à gagner du temps. Pas pour faire une bombe atomique, mais plutôt pour en finir avec l'opposition iranienne ».
Azadeh Kian rappelle d'ailleurs que sur le front interne, Ahmadinejad renforce ses positions. « Au sein des pasdarans, il y a eu de nombreux limogeages, souligne-t-elle. Aujourd'hui, les pasdarans sont sous la coupe des fidèles d'Ahmadinejad. Même chose au sein des services de renseignements. »
Et la spécialiste d'avertir que si la communauté internationale, s'appuyant sur les concessions iraniennes faites à Genève, « relâche la pression sur le gouvernement iranien, si les Six lèvent les sanctions sur le pétrole, le gaz et l'industrie militaire, nous verrons Mahmoud Ahmadinejad se renforcer considérablement, ce qui lui permettra de réprimer totalement l'opposition. Et il faut avoir bien conscience que cet Ahmadinejad renforcé, malgré les concessions qu'il fait aujourd'hui, n'aura pas changé de nature », ajoute-t-elle. « Il faut éviter de tomber dans un piège dont l'opposition paiera le prix », insiste la spécialiste. « Ce qui ne veut pas dire qu'il faut prolonger les sanctions telles qu'elles sont aujourd'hui, car ces dernières ont eu un impact très néfaste sur la société civile iranienne, ajoute-t-elle. De nombreuses petites et moyennes entreprises ont été contraintes de mettre la clé sous la porte, ce qui s'est traduit par des licenciements importants. Si l'on parle de sanctions, il faut qu'elles soient vraiment ciblées. »
Le 1er octobre courant, l'Iran renouait, à Genève, le dialogue gelé depuis plus d'un an avec les six grandes puissances (Chine, France, Russie, États-Unis, Grande-Bretagne et Allemagne) sur son programme nucléaire. À l'issue des négociations, il s'engageait à donner accès aux inspecteurs de l'AIEA au site d'enrichissement d'uranium de...