Rechercher
Rechercher

Dossiers Moyen-Orient - Yémen

Sanaa n’exerce son pouvoir que sur un tiers du territoire national


Nouveaux affrontements entre forces sécuritaires et rébellion zaïdie au Nord ; affrontements meurtriers entre militants sudistes et forces de l'ordre ; opérations revendiquées par el-Qaëda contre les forces de sécurité et des installations pétrolières... Khaled Fattah, chercheur en sciences politiques à l'Université de Saint-Andrews, spécialiste de la construction de l'État yéménite en relation avec le tribalisme, décrypte les différentes crises qui agitent le Yémen et leurs conséquences sur l'unité de ce pays.

Q - Ces derniers mois, de nombreux rapports ont fait état d'attaques perpétrées par el-Qaëda contre les forces de sécurité yéménites ou des installations pétrolières. Quelle est la force d'el-Qaëda au Yémen?
R - « La décision d'el-Qaëda de faire du Yémen un abri pour ses membres n'est pas récente. En 1996, Oussama ben Laden avait fait la remarque suivante : « Nous avons le choix entre l'Afghanistan et le Yémen. La topographie du Yémen est montagneuse, son peuple est tribal et armé et nous permet de respirer un air propre non souillé par l'humiliation. » Depuis le lancement de la « guerre contre le terrorisme » dirigée par les États-Unis, et depuis la campagne saoudienne contre l'islamisme militant, le Yémen est devenu une base alternative pour el-Qaëda, en ce qu'il offre à ses membres un abri, un terrain d'entraînement et des armes, et qu'il facilite le déplacement des militants et la planification d'attaques. En comparaison avec tous les autres pays arabes, le contexte socio-économique, politique et topographique du Yémen offre un excellent environnement, à la fois protecteur et fertile, pour les militants islamistes.
À mon avis, l'annonce de janvier dernier au cours de laquelle el-Qaëda au Yémen a adopté le nom « el-Qaëda dans la péninsule Arabique » et a nommé deux Saoudiens libérés de Guantanamo aux postes de vice-commandants est un signe de la grande faiblesse d'el-Qaëda en Arabie saoudite, et pas nécessairement un signe de la force d'el-Qaëda au Yémen. Toutefois, certains rapports sécuritaires suggèrent que les militants d'el-Qaëda seraient en train de se délocaliser d'Arabie saoudite, d'Irak et d'Afghanistan vers le Yémen. Si cela est vrai, alors el-Qaëda Yémen pourrait devenir très prochainement la deuxième branche la plus forte d'el-Qaëda après la branche pakistanaise.
À l'échelle nationale, el-Qaëda au Yémen a quatre cibles principales : les installations pétrolières, les ambassades étrangères, les responsables étrangers et de la sécurité. En conséquence, les ambassades occidentales à Sanaa se sont bunkerisées, et certains ambassadeurs ont, en permanence, des gardes du corps, comme leurs collègues en Afghanistan ou en Irak. »

Q - Comment expliquez le regain d'attaques revendiquées par el-Qäeda ?
R - « Les récentes attaques perpétrées par el-Qaëda au Yémen sont attribuées au nouveau souffle instillé à el-Qaëda Yémen par le nouveau commandement d'al-Wuhayshi, un Yéménite qui a passé du temps en Afghanistan en tant que lieutenant de Ben Laden et a réussi à s'évader d'une prison ultrasécurisée en bordure de Sanaa en février 2006. Les experts en renseignements et en sécurité redoutent que la branche d'el-Qaëda dirigée par al-Wuhayshi dans la péninsule Arabique ne transforme le Yémen en aire de lancement pour une reprise des opérations d'el-Qaëda contre l'Arabie saoudite.
Étant donné l'extrême faiblesse du pouvoir central yéménite et le fait que les 1 500 kilomètres de frontière entre le Yémen et l'Arabie saoudite sont constitués de larges zones désertiques ainsi que de relief montagneux, el-Qaëda représente une menace sérieuse pour la stabilité du royaume saoudien. »

Q - Ces derniers mois, des affrontements meurtriers ont opposé des militants sudistes et les forces de sécurité. Pourquoi ce regain de tension sur ce dossier ?
R - « La tension est montée au Sud ces derniers mois pour trois raisons. La première raison est l'intense mobilisation organisée par l'élite sudiste vivant à l'étranger, plus particulièrement les Sudistes qui résident dans les pays arabes voisins et en Asie du Sud-Est. La deuxième raison est l'aggravation des difficultés économiques au Sud. Difficultés qui viennent soutenir l'argumentaire des leaders du mouvement sudiste qui expliquent que ces difficultés et les injustices en matière de développement du Sud sont les conséquences d'abus perpétrés par les Nordistes. Ces abus prennent, selon eux, la forme de ce qui est perçu comme l'afflux d'« intrus » tribaux du Nord, qui ont mis la main sur les ressources et les richesses du Sud. Enfin, la troisième raison est la réponse musclée du gouvernement de Sanaa aux protestations sudistes. Des dizaines de Sudistes ont été tués et des centaines arrêtés depuis le début des manifestations fin avril. »

Q - En ce qui concerne le front nord, comment expliquez-vous la reprise des affrontements entre la rébellion zaïdie menée par la tribu des houthis et les forces de sécurité ?
R - « Ces dernier jours, l'aviation et l'artillerie yéménites ont bombardé la province de Saada. Mercredi dernier, par exemple, une frappe aérienne a touché le marché de la ville de Haydan, dans la province de Saada, causant la mort de plusieurs civils. Cette nouvelle offensive a débuté après que les rebelles houthis eurent déclaré qu'ils avaient renforcé leur contrôle sur la région au détriment des forces gouvernementales. Confronté à de nombreux problèmes sur tous les fronts, dont une sévère crise de légitimité, le régime du président Saleh semble déterminé à montrer ses muscles en écrasant la rébellion zaïdie avec une main de fer. »

 

Q - Confronté à des conflits au Nord, au Sud et au problème d'el-Qaëda, dans quelle mesure le pouvoir central contrôle-t-il réellement le territoire yéménite ?
R - « En comparaison aux autres États arabes, le pouvoir central yéménite est le plus faible et le plus fragile de la région. Ce pouvoir ne s'exerce que sur moins de 35 % du territoire. D'où une inquiétude sérieuse sur la perspective d'une faillite totale de l'État yéménite qui entraînerait une « somalisation » ou une « afghanisation » du Yémen.
La faiblesse du pouvoir central yéménite est manifeste au niveau de l'absence de l'État de plusieurs zones du pays, de l'incapacité des institutions étatiques à lutter contre l'anarchie et le désordre social, de la médiocrité des services gouvernementaux de base et dans l'impact très limité des contrôles de l'État. J'ai déjà dit que le Yémen est devenu, aujourd'hui, l'un des meilleurs exemples d'entités politiques où l'État procède à une "autoannulation". »

Q - Le Yémen s'appuie sur une base très tribale. Quel est le pouvoir de l'État face aux tribus ? Et quel est le pouvoir des tribus face au pouvoir central ?
R - « En sus de l'influence saoudienne dans le renforcement des structures tribales au Yémen, le fait que depuis des décennies, l'État yéménite lui-même se comporte comme une tribu, et que depuis des siècles, les tribus yéménites se comportent comme un État complique les relations entre l'État et les tribus. À mon avis, l'absence d'équilibre des forces entre, d'une part, le système étatique qui a perdu sa capacité à contrôler et à réguler et qui, en conséquence, s'appuie sur des politiques clientélistes, et, d'autre part, une structure tribale qui a perdu ses valeurs centrales et traditionnelles et s'appuie sur les kalachnikovs, est le cœur du problème yéménite. L'État yéménite n'est pas dans une position lui permettant de supplanter le pouvoir des tribus, tout simplement parce que les agents modernisateurs, comme les institutions étatiques, l'armée et les partis politiques ont échoué à moderniser les tribus. Au Yémen, les tribus ont infiltré et "tribalisé" tous les agents modernisateurs. »

Q - L'unité du Yémen est-elle menacée ?
R - « Je ne pense pas. Les Nordistes gardent un contrôle total sur l'armée et les forces de sécurité, et le projet d'unification est soutenu par la majorité des Yéménites, y compris sudistes. Ce n'est pas vraiment l'unité qui est menacée, mais plutôt la totalité de la communauté politique du Yémen. L'on ne craint pas une nouvelle division du Yémen entre le Nord et le Sud, mais plutôt une fragmentation du Yémen en plusieurs poches de pouvoir au sein du Nord et du Sud. De telles poches seraient probablement dirigées par des islamistes, des leaders tribaux, des seigneurs de la guerre et des partisans du sectarisme. »

Nouveaux affrontements entre forces sécuritaires et rébellion zaïdie au Nord ; affrontements meurtriers entre militants sudistes et forces de l'ordre ; opérations revendiquées par el-Qaëda contre les forces de sécurité et des installations pétrolières... Khaled Fattah, chercheur en sciences politiques à...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut