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Dossiers Moyen-Orient - Analyse

Les défis de l’après-retrait américain d’Irak

Le 30 juin dernier, les troupes américaines se retiraient des centres urbains irakiens. Il s'agissait là de la première étape d'un désengagement total américain d'Irak prévu fin 2011. Barah Mikaïl et Myriam Benraad, deux spécialistes de la région, analysent la capacité des forces irakiennes à prendre le relais des forces américaines, les risques d'un regain des violences confessionnelles et l'impact du retrait à l'échelle régionale.

Le retrait des troupes américaines des grandes villes irakiennes coïncide avec le sixième anniversaire de l'intervention américaine en Irak. Six années d'occupation qui ont apporté, selon Barah Mikaïl, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), « tout sauf la stabilité et un avenir prometteur à ce pays ». L'intervention américaine en Irak est « un fiasco, tant pour les Irakiens que pour une bonne partie du Moyen-Orient, ainsi, bien entendu, que pour l'image et les intérêts des États-Unis et de leurs alliés occidentaux les plus étroits ».
Sur le plan économique, indique Barah Mikaïl, « les indices de la reconstruction sont loin d'être reluisants, les infrastructures sont, de manière générale, toujours aussi faillibles, les indicateurs microéconomiques comme macroéconomiques tablent constamment sur une amélioration à terme, mais sans pour autant qu'une dynamique prometteuse ne soit réellement enclenchée, et l'avenir du secteur énergétique n'est toujours pas clarifié ».
« Sur le plan politique, on est passé d'une dictature sanguinaire centralisatrice à une situation de tiraillement entre aspirations à la cohésion nationale et fortes tendances politico-confessionnelles centrifuges », souligne-t-il. Sur le plan sécuritaire, le chercheur note un « léger mieux », « mais sans pour autant qu'on puisse le céder à un clair sentiment de satisfaction ».
Le bilan dressé par Myriam Benraad, chercheuse au CERI/Science Po, n'est pas plus reluisant. Selon cette spécialiste de l'Irak, la première phase de l'occupation, entre 2003 et 2006, a été « désastreuse », aussi bien au niveau de la stratégie militaire qu'au niveau de la transition politique. « La politique de transition a été conduite selon des lignes communautaires, ce qui a mené à une division de la société irakienne », estime Myriam Benraad, qui note néanmoins que, dans la « deuxième phase » de l'occupation américaine, c'est-à-dire depuis 2006, « le leadership irakien a progressivement repris le dessus et s'est autonomisé ». Cette spécialiste de l'Irak souligne néanmoins que « la situation politique reste très instable, le paysage politique très fragmenté ».

Les forces de sécurité manquent d'esprit de corps
C'est dans ce contexte que les forces irakiennes ont pris le relais des forces américaines pour assurer la sécurité des centres urbains. Or, depuis quelques semaines, le niveau des violences a clairement augmenté. Ce qui pose la question de la capacité des forces irakiennes à remplir leur mission.
« Il y avait évidemment un côté prévisible à voir la date symbolique du 30 juin 2009 générer une telle spirale de violences ; plus que tout, les auteurs et responsables de ces attaques cherchent à montrer que les Américains ont échoué à garantir les intérêts de l'Irak, et c'est d'ailleurs là une conviction effectivement partagée par une majorité d'Irakiens », note Barah Mikaïl. Selon lui, les attentats ont également vocation « à insister sur des cordes sensibles, des lignes de front des perspectives irakiennes contemporaines ».
Pour le chercheur, il est difficile, dans ce contexte, de voir comment « les quelque 700 000 membres des forces de sécurité irakiennes pourraient réussir là où les Américains et leurs alliés ont connu eux-mêmes des limites ». Des forces moins bien formées et armées d'un point de vue militaire et stratégique, mais également, note Barah Mikaïl, « perméables à leur tour à des affiliations ethno-communautaires qui peuvent facilement transcender le sentiment d'affiliation nationale auquel elles sont censées répondre ».
« Les clivages communautaires et politiques se dupliquent au sein des forces sécuritaires, renchérit Myriam Benraad. L'armée, historiquement, était une institution profondément nationaliste. Aujourd'hui, elle est victime d'une absence d'esprit de corps. L'armée est complètement noyautée par des éléments proches de courants informels. L'on sait notamment que les milices chiites l'ont infiltrée. »
Ce qui manque à l'armée et aux forces de police irakiennes, ajoute Barah Mikaïl, « c'est de répondre à un gouvernement central qui ait valeur de représentant légitime et de détenteur fort des perspectives souveraines irakiennes. Or, on est loin du compte sur ce plan, et c'est pourquoi le rapport de forces semble être beaucoup plus favorable aux milices et tribus répondant à des intérêts, des affiliations et des particularismes d'ordre local ». Même constat pour Myriam Benraad, qui ne pense pas que l'armée irakienne pourrait maîtriser la situation si elle venait à s'aggraver.

Des lignes de tensions politiques et idéologiques
Lors de sa visite à Bagdad, début juillet, le vice-président américain, Joe Biden, a d'ailleurs évoqué la possibilité que l'Irak replonge dans des violences confessionnelles et ethniques. Pour Myriam Benraad, si une détérioration de la situation n'est pas à exclure, « elle ne se fera pas sur des lignes ethniques et confessionnelles, mais plutôt sur des lignes politiques et idéologiques ». Idéologique « car l'Irak comprend une frange progressiste qui s'oppose aux forces religieuses qui, elles, ont un agenda confessionnel ». Politique « car l'Irak d'après-guerre est dans une phase de concurrence politique acharnée qui ne cesse de s'exacerber à mesure qu'approche l'échéance du retrait américain ». « L'Irak est aujourd'hui engagé dans une lutte de pouvoir derrière laquelle se cache une lutte pour le partage des ressources », estime Myriam Benraad.
Barah Mikaïl dresse un constat similaire. « Les Irakiens sont généralement, et en dépit de certaines violences et apparences, beaucoup moins perméables aujourd'hui aux rivalités de type ethno-confessionnel », indique le chercheur. « J'ai plutôt l'impression que la confirmation des provincialismes ethno-communautaires, le développement de milices armées mises au service des principales communautés de l'Irak, et la capacité qu'ont maintenant beaucoup d'Irakiens à se projeter dans l'avenir sans devoir nécessairement s'embarrasser d'injonctions de la part du gouvernement central ont paradoxalement rasséréné beaucoup de personnes. Elles ont maintenant l'impression qu'elles ont des protecteurs présents au plus près de leurs besoins, qui savent intervenir en leur faveur quand la nécessité se présente », ajoute Barah Mikaïl, tout en notant que cela « ne resserre pas pour autant les idées d'identité et d'unité nationales irakiennes, bien au contraire ; mais on sent que l'hypothèse fédérale institutionnelle sous-tend ce sentiment général ». Et le chercheur d'estimer que « la confirmation d'une décentralisation institutionnelle poussée, doublée de la présence d'institutions centrales officielles quoique décontenancées, semble être la porte de sortie la plus favorable pour limiter la casse en Irak ».

Discrétion des gouvernements de la région
La première étape du retrait américain n'est, par ailleurs, pas une opération dont les conséquences se limitent au territoire irakien. La région suit également avec attention les implications de la politique américaine en Irak. « Il y a des craintes, notamment en Occident, que le retrait américain ne permette un renforcement de l'emprise de l'Iran, alors que ce dernier exerce déjà une force influence dans le sud de l'Irak et sur des milices chiites », note Myriam Benraad. Plus globalement, la question se pose de savoir, selon la chercheuse, « si l'Irak pourrait devenir le terrain de querelles régionales plus larges ».
Barah Mikaïl note toutefois que « les gouvernements de la région se sont montrés étonnamment mesurés, à la limite de la discrétion même, devant ce retrait américain et ses conséquences potentielles. Ce sont plutôt certains membres du gouvernement irakien, ainsi que le président américain lui-même, qui ont tenu à préciser qu'il fallait demeurer conscients de l'extrême fragilité qui allait s'imposer au contexte irakien dans les mois à venir ».
Cette retenue s'explique, selon le chercheur, par « la volonté qu'ont les gouvernements, ou plus précisément les gouvernants de la région, de ne pas exprimer des craintes qui pourraient être gênantes pour un Barack Obama aux bonnes volontés duquel ils sont prêts à croire ». Ce qui n'empêche pas, note M. Mikaïl, que « les obsessions qui prévalaient à l'époque de l'administration Bush continuent à prévaloir aujourd'hui chez les Arabes comme chez les Turcs et les Iraniens d'ailleurs. De leurs points de vue, l'Irak continue à flirter avec des risques de démembrement territorial basé sur de nouvelles frontières ethno-communautaires. Et derrière la potentielle émergence d'un Kurdistan, d'un "Chiistan" ou encore d'un "Sunnistan" irakiens autonomes voire indépendants, pointe selon eux un lourd risque de généralisation à terme de ce même phénomène sur leurs propres territoires. C'est pourquoi les gouvernements du Moyen-Orient, à quelques menues exceptions près, continuent à développer une forme de schizophrénie aujourd'hui : ils sont toujours contre l'occupation américaine de l'Irak, mais ils ne voient pas pour autant quelle alternative pourrait garantir leurs intérêts nationaux ».
À défaut, conclut le chercheur, « il n'est donc pas exagéré de penser que la présence d'États-Unis affaiblis en Irak comme en Afghanistan d'ailleurs, présidés par un Barack Obama qui n'a pas de relents belliqueux apparents, leur paraît être pour l'heure un scénario optimal, et globalement satisfaisant, à défaut de mieux s'entend ».
Le 30 juin dernier, les troupes américaines se retiraient des centres urbains irakiens. Il s'agissait là de la première étape d'un désengagement total américain d'Irak prévu fin 2011. Barah Mikaïl et Myriam Benraad, deux spécialistes de la région, analysent la capacité des forces irakiennes à prendre le relais des...

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