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Dossiers Moyen-Orient - Proche-Orient

Processus de paix : c’est du côté de Washington qu’il faut désormais regarder

Le 14 juin, dans son premier discours de politique étrangère depuis son élection, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu acceptait le principe d'un État palestinien. Une première pour ce leader du Likoud. Néanmoins, cette acceptation était immédiatement assortie de toute une série de conditions, dont la démilitarisation de cet État palestinien et la reconnaissance, par les Palestiniens d'Israël comme État juif. Pour Alain Dieckhoff*, spécialiste de la question israélienne et chercheur au CNRS/CERI à Paris, la balle est désormais dans le camp de Washington.
Q- Que représente l'acceptation, sous conditions, du principe d'un État palestinien par Benjamin Netanyahu ?
R- « C'est un grand pas pour Netanyahu, mais un tout petit pas pour la paix. Par rapport à l'idéologie de droite dont il est issu, c'est un pas en avant pour Netanyahu. Le Premier ministre s'était toujours bien gardé d'accepter ne serait-ce que la logique des deux États. Cela dit, replacée dans le contexte des avancées réalisées par ses prédécesseurs issus du même terreau idéologique, comme Ehud Olmert ou Ariel Sharon, c'est une avancée relative. Personnellement, ces déclarations peuvent lui coûter, mais finalement, Netanyahu prend acte d'une situation dont une partie de sa famille politique avait pris acte avant lui.
Par ailleurs, cette acceptation est un tout petit pas pour la paix. Le fait d'avoir posé des conditions préalables avant même de consentir à ouvrir des négociations en bonne et due forme rend assez irréaliste l'ouverture de pourparlers sérieux sur de telles bases. »

Q- Comment expliquez-vous cette insistance de la part des autorités sur la reconnaissance par les Palestiniens d'Israël en tant qu'État du peuple juif ?
R- « Netanyahu insiste effectivement sur ce point, mais il n'est pas le premier à le faire. La tendance avait commencé à apparaître au cours des dernières années.
Dans le fond, ce qui est demandé aux Palestiniens, ce n'est pas simplement de reconnaître Israël, comme l'OLP l'avait fait en 1993 dans le cadre de la reconnaissance mutuelle. Une reconnaissance dont les gouvernements de Yitzhak Rabin, d'Ehud Barak, mais aussi de Benjamin Netanyahu entre 1996 et 1999, s'étaient d'ailleurs contentés.
En exigeant des Palestiniens la reconnaissance d'Israël comme État juif, on leur demande de reconnaître non seulement l'État, mais également l'idéologie sur laquelle cet État est fondé, c'est-à-dire le sionisme. Il me paraît fortement improbable qu'une telle reconnaissance se réalise.
Ce type de reconnaissance n'est, en outre, généralement pas demandé dans le cadre des relations internationales. Les États se reconnaissent en tant que tels. Les États-Unis avaient reconnu l'Union soviétique en tant qu'État en 1933, mais pas en tant qu'État communiste. Le Pakistan, par exemple, est fondé sur une légitimité islamique. Mais les États reconnaissent l'État pakistanais indépendamment de son fondement propre. Les États n'ont pas à reconnaître la légitimité interne sur laquelle un État est fondé.
Et puis, que veut dire « État juif » ? Que met-on derrière ce terme ? Même en Israël, il est certain que tout le monde, notamment les religieux et les non-religieux, ne donnent pas le même sens à ce terme. C'est un débat sans fin. »

Q- Comment expliquer, dès lors, cette exigence du gouvernement Netanyahu ?
R- « On peut interpréter cette demande comme étant de nature tactique. Émettre une telle demande, c'est s'exposer inévitablement à ce qu'elle soit rejetée. Ainsi, on rend caduc tout espoir de négociations avant même qu'elles ne commencent. »

Q- Est-il possible d'imaginer que Netanyahu pose autant de conditions en prévision de futures négociations, qu'il place la barre très haut parce qu'il sait qu'il devra lâcher du lest ?
R- « Je ne pense pas que le discours de Netanyahu s'inscrive dans une perspective crédible de négociations. Je prends l'exemple de la démilitarisation. Beaucoup de négociateurs palestiniens de l'OLP ne sont pas opposés, sur le principe, à l'idée d'une certaine démilitarisation. Si un État palestinien est effectivement formé, les négociateurs sont conscients que, dans un premier temps du moins, cet État ne sera pas un État comme les autres. Qu'il y aura des limites sur le type d'armement utilisé, qu'il ne bénéficiera pas, par exemple, d'une aviation miliaire. Et ce n'est pas un obstacle majeur en soi. Dans le cadre des accords d'Oslo, les Palestiniens ont accepté de ne pas avoir d'armée en tant que telle, mais plutôt une force de police.
Néanmoins, il y a un problème à partir du moment où l'on pose la démilitarisation comme condition préalable. Autant elle peut être un objectif, autant elle ne saurait être une condition pour l'ouverture de négociations.
Le problème est que l'on a l'impression qu'Israël négocie avec lui-même. Or, c'est avec un partenaire qu'il faut négocier. Il faut être dans une logique de compromis, même si chacune des parties peut avoir, initialement, des objectifs en tête. »

Q- Lors de son discours, Netanyahu s'est refusé à tout gel de la colonisation, comme le réclame la communauté internationale, les États-Unis en tête, ainsi que la feuille de route. Comment analysez-vous cette position ?
R- « Affirmer, comme Netanyahu l'a fait, qu'il n'y aura pas de nouvelles implantations est une fausse concession, car depuis 15 ans, il n'y a pas eu de nouvelle implantation stricto sensu. Même sur les implantations sauvages, un point sur lequel Netanyahu aurait pu faire des concessions pas trop coûteuses, il n'a rien dit. Il n'y a donc aucune ambiguïté, Netanyahu a opposé, sur ce point, une fin de non-recevoir à Barack Obama. »

Q- Et pourtant, le président américain a déclaré que le discours de Netanyahu était « un important pas en avant »...
R- « Nous sommes là dans le jeu de la diplomatie. Les diplomates ont toujours tendance à voir le verre à moitié plein. Là, ils se concentrent sur l'acceptation par Netanyahu du principe des deux États. Cela dit, je pense qu'il va être très difficile de construire quelque chose à partir de ces positions. La partie est singulièrement compliquée. »

Q- Pensez-vous que le processus de paix est dans l'impasse ?
R- « Pas nécessairement. La philosophie de Netanyahu a été clairement exposée. Ce n'est donc pas du côté israélien qu'il faut attendre grand-chose. D'eux-mêmes, les Israéliens n'avanceront pas. En ce qui concerne les Palestiniens, on ne voit pas trop ce qu'ils peuvent faire, a fortiori dans leur situation de division. C'est donc du côté de Washington qu'il faut regarder. Je pense que les choses importantes vont se faire dans les semaines à venir (l'émissaire américain pour le Proche-Orient) George Mitchell a pour objectif de finaliser une sorte de programme de travail pour essayer d'avancer vers une reprise des négociations en bonne et due forme.
Les États-Unis ont déployé beaucoup d'énergie sur ce dossier depuis janvier. Leur crédibilité est en jeu, ils ne peuvent pas baisser les bras maintenant. La question est de savoir comment ils vont s'y prendre. »

Q- Précisément, comment les États-Unis peuvent-ils faire pression sur Israël ?
R- « Les États-Unis n'ont pas besoin d'exercer de pressions particulières sur Israël. Étant donné leur relation stratégique avec les États-Unis, les Israéliens ne peuvent pas se permettre de rester sur une position totalement opposée à celle de l'administration américaine. On peut imaginer que les États-Unis présentent un calendrier de négociation et amènent les parties autour d'une table. Il sera dès lors difficile pour Israël de refuser l'invitation. Pour mémoire, en 1991, le Premier ministre Yitzhak Shamir, représentant de la ligne dure israélienne, ne voulait pas aller à la conférence de paix de Madrid. Finalement, il est venu. La balle est donc aujourd'hui dans le camp des États-Unis. »

Q- Si Netanyahu est amené à lâcher du lest, il risque toutefois de se retrouver en porte-à-faux avec certains blocs, notamment le parti de Lieberman, de sa coalition. Ce qui pourrait mener à une nouvelle crise politique...
R- « Que Netanyahu perde sa majorité est un scénario possible. Et il est probable qu'il agite cette menace devant les États-Unis pour "prouver" que sa marge de manœuvre est limitée. Mais Washington peut lui rétorquer qu'il pourra toujours reformer une autre majorité, peut-être plus centriste. Un retour de Tzipi Livni n'est pas exclu. Netanyahu a une marge de manœuvre. »

* Alain Dieckhoff a assuré la direction de l'ouvrage intitulé L'État d'Israël, publié chez Fayard en 2008.
Q- Que représente l'acceptation, sous conditions, du principe d'un État palestinien par Benjamin Netanyahu ?R- « C'est un grand pas pour Netanyahu, mais un tout petit pas pour la paix. Par rapport à l'idéologie de droite dont il est issu, c'est un pas en avant pour Netanyahu. Le Premier ministre s'était toujours bien gardé d'accepter ne...

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