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Les nouvelles mesures du roi Abdallah augurent d’un aménagement du pacte de Nadjd - Arabie saoudite

Les nouvelles mesures du roi Abdallah augurent d’un aménagement du pacte de Nadjd

Pour Hamadi Redissi, professeur à la faculté de droit et de sciences politiques de Tunis, les dernières nominations entreprises par le souverain saoudien augurent d'un vrai désir de réformes.

Le 14 février 2009 marquera-t-il l'histoire de l'Arabie saoudite ? Ce jour-là, le roi Abdallah procédait à un large remaniement ministériel, marqué par l'entrée d'une femme au gouvernement et par des changements à la tête de la police religieuse, de la justice et de la Banque centrale. L'impact de ces mesures royales reste toutefois difficile à prédire. Alors que certains observateurs estiment que ces mutations sont un « changement majeur » au sein du royaume, d'autres estiment qu'il s'agit uniquement d'un geste symbolique, voire d'une simple redistribution de postes.
Hamadi Redissi, professeur à la faculté de droit et de sciences politiques de Tunis, pense pour sa part que les dernières nominations entreprises par le souverain saoudien augurent d'un vrai désir de réformes en Arabie.
« Tous les observateurs ont prêté au roi Abdallah des intentions réformistes depuis qu'il était héritier du trône. Les réformes ont tardé quand on pense qu'il est roi depuis 2005 », affirme-t-il, ajoutant qu'apparemment, elles ne pouvaient pas être entreprises sous « le dictat » américain. Selon M. Redissi, « le palais a bien négocié la date : le début du mandat d'Obama, et le jour anniversaire (le 14 février) de la rencontre entre Roosevelt et Abdel-Aziz, en 1945. Le message est on ne peut plus clair ». Il admet néanmoins que « les réformes sont nettement en deçà des demandes formulées par la vague des pétitions entre 2003 et 2004 (indépendance de la magistrature, Constitution et libertés politiques, pluralisme religieux) ».
Le roi Abdallah a d'abord nommé de nouveaux ministres à la Justice, l'Éducation, l'Information et la Santé. Il a également limogé le chef de la police religieuse, la redoutable Commission pour la propagation de la vertu et la prévention du vice, cheikh Ibrahim al-Gheith, fonction confiée à Abdel-Aziz al-Houmain.
C'est toutefois l'appareil judiciaire, considéré comme archaïque, qui était dans la ligne de mire du monarque saoudien, notamment les responsables religieux conservateurs ayant la haute main sur le pouvoir judiciaire. Parmi les changements importants, figure ainsi le départ de cheikh Saleh al-Louhaidan, le puissant chef du Conseil supérieur de la magistrature, accusé par des militants saoudiens de bloquer les réformes depuis des années. Cheikh Louhaidan occupait ce poste depuis plus de quatre décennies. Saleh ben Houmaid va le remplacer, alors que cheikh Ibrahim al-Houkail a été nommé président de la Cour suprême.
Les changements à la tête des institutions religieuses et juridiques ont fait l'objet de plusieurs interprétations. Certains considèrent ces changements comme une tentative sérieuse de mater les radicaux religieux, alors que d'autres estiment qu'ils font partie tout simplement d'une guerre de clans rivaux au sein de la famille royale (divisions familiales, pro ou antiréformistes, pro ou antioccidentaux), visant à consolider l'influence du souverain en écartant certains responsables.
Hamadi Redissi semble écarter la seconde option. Selon lui, « la moindre des ouvertures dans une société fermée passe pour une révolution ». Le politologue tunisien explique en outre que « les Saoud sont opaques. On parle de trois à cinq cercles (selon Madawi Rachid, King's College London), mais une chose est sûre qui fait la différence avec le XIXe siècle quand les dissensions internes ont ruiné le deuxième État (de 1824 à 1885), la cohésion au sein de la famille royale prime désormais, surtout qu'il y a suffisamment d'argent pour tout le monde ! »
Mais ce sont surtout les relations entre la famille des Saoud et les religieux wahhabites qui sont en jeux. « Historiquement, le pacte oral entre ben Saoud et ben Abdell-Wahhab à Dir'iyya en 1744-1745, tel qu'il est consigné par les historiens du XIX e siècle (ben Ghannam et ben Bishr) repose sur le partage entre le pouvoir temporel remis aux mains des Saoud et le spirituel réservé à la famille ben Abdel-Wahhab », explique Hamadi Redissi, auteur de Le pacte de Nadjd*. « Le temps aidant, le pouvoir politique a fini par domestiquer le religieux. Mais comme les Saoud ne peuvent se passer d'une légitimité religieuse, le clergé a une certaine liberté de manœuvre : à l'intérieur, le conservatisme moral, et à l'extérieur, l'agitation idéologique », ajoute-t-il. Mais, selon M. Redissi, « c'est un pacte limité comme le montre à l'extérieur le 11-Septembre et à l'intérieur le limogeage de Saleh al-Louhaidan qui a outrepassé les limites du pacte : le contrôle des mœurs contre l'obéissance ».
Le monarque saoudien a, par ailleurs, nommé 79 nouveaux membres au conseil consultatif du Majlis ach-choura, sur un total de 150, selon le quotidien arabe al-Hayat, et restructuré le Comité des grands ulémas, la plus haute autorité religieuse, dont l'interprétation de la charia influence la vie quotidienne des Saoudiens. Pour la première fois, ce comité comprend ainsi des représentants des quatre doctrines de l'islam sunnite, alors qu'il était jusqu'ici exclusivement formé de membres se réclamant de la doctrine hanbalite, une branche fondamentaliste dont est issu le wahhabisme.
Tous ces changements n'affectent en aucun cas la solidité des relations entre la famille royale et les religieux wahhabites malgré les menaces terroristes contre le pouvoir en place et les pressions occidentales après le 11-Septembre.
« Encore une fois, les Saoud n'ont pas d'alternative à un clergé jouissant d'un prestige historique indéniable et fort heureusement obéissant. Cependant, depuis 2001, le pouvoir a élargi sa base en comptant sur trois islams : le wahhabisme, l'islam wassati (modéré) des reconvertis du terrorisme comme Saffar al-Hawali, Nasser al-Fahd, Ahmad al-Khalidi... et l'islam libéral. L'ouverture récente du Conseil des grands ulémas (créé en 1971 dans le cadre de la bureaucratisation du personnel religieux) à d'autres écoles religieuses sunnites montre également que les Saoud veulent rompre le « tête-à-tête » du pacte de Nadjd », explique Hamadi Redissi.
La société saoudienne, qui semble être sous l'emprise du pouvoir religieux wahhabite, reste en général très conservatrice. Les élections municipales qui ont eu lieu dernièrement ont nettement montré la victoire des islamistes, alors que l'opposition réformatrice est quasiment nulle. Les autorités saoudiennes ont savamment décapité tout mouvement réformateur naissant, surtout que, socialement, il reste cantonné actuellement à une élite intellectuelle dépourvue d'un large appui social. Jusqu'à présent, seuls les groupuscules radicaux terroristes, et non les réformateurs, représentent un danger pour la famille régnante.
« Je crois que la contestation religieuse terroriste déclenchée en 2003 a pratiquement été maîtrisée. L'islamisme s'est reconverti au politique. Si une contestation devait avoir lieu, elle serait d'origine tribale et régionale. L'Arabie n'est pas encore un État, et déjà elle est fédérale », estime pour sa part M. Redissi.
Il faut enfin noter que les remaniements qui ont eu lieu n'ont pas touché les ministères de souveraineté (Défense, Intérieur, Affaires étrangères) qui demeurent entre les mains de princes de la famille royale. Toutefois, Mohammad al-Zulfa, membre du Majlis ach-choura, a dit s'attendre à davantage de changements « dans les six mois ».
Y aura-t-il un jour un divorce entre le wahhabisme et les Saoud ? « Un divorce total, peut-être pas, estime le politologue tunisien. Il ne faut pas oublier que le charisme historique des Saoud tient à l'alliance. C'est comme si, au Liban, le pacte de 1926 devait être abrogé ! Il peut y avoir un aménagement du pacte de Najd par la diversification des alliances (avec l'islam modéré) et le pluralisme religieux (ouverture à l'islam cosmopolite du Hijaz, et aux trois autres rites sunnites et au chiisme). C'est en route, je crois. »


* « Le pacte de Nadjd, ou comment l'islam sectaire est devenu l'islam » - Hamadi Redissi - éditions du Seuil, 2007.

Le 14 février 2009 marquera-t-il l'histoire de l'Arabie saoudite ? Ce jour-là, le roi Abdallah procédait à un large remaniement ministériel, marqué par l'entrée d'une femme au gouvernement et par des changements à la tête de la police religieuse, de la justice et de la Banque centrale. L'impact de ces mesures royales reste...