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Trente ans après la révolution, l’Iran se pose en puissance régionale - Analyse

Trente ans après la révolution, l’Iran se pose en puissance régionale

En dépit des nombreux défis internes et régionaux, la République islamique a, trente ans après son instauration, réussi à s'imposer comme un puissant acteur au Moyen-Orient. Les relations avec les USA, une élection présidentielle en juin... Multiples sont les nouveaux enjeux qui se profilent aujourd'hui pour l'Iran.

Le 1er février 1979, l'avion transportant l'ayatollah Rouhollah Khomeiny atterrit à Téhéran. Le retour triomphal de l'ayatollah survient après quinze longues années d'exil entre l'Irak et la France. Le chah Mohammad Reza Pahlavi, lui, a fui le pays deux semaines plus tôt, chassé par le « pouvoir de la rue ». Victorieuse, la révolution islamique est officiellement instaurée le 11 février de cette même année. Ce développement - quasi inattendu, à l'époque - a été qualifié comme l'un des événements-clés de l'histoire du XXe siècle au Moyen-Orient.
Aujourd'hui, la République islamique d'Iran fête ses trente ans d'existence. Trente ans durant lesquels le pays a dû affronter, non sans difficulté, une multitude de menaces, dont une guerre de huit ans avec l'Irak, un embargo américain et une série de sanctions internationales en raison de son programme nucléaire controversé.
En dépit de tous ces défis, la République islamique a néanmoins réussi à s'imposer comme un acteur-clé au Moyen-Orient. De l'Afghanistan à l'Irak en passant par les territoires palestiniens, le Liban, le Bahreïn et même le Koweït, l'influence politique de l'Iran n'est pas négligeable. Et dans certains cas, comme avec le Hezbollah au Liban, l'Armée du mahdi en Irak, et le Hamas dans la bande de Gaza, Téhéran est soupçonné d'offrir beaucoup plus qu'un soutien « moral ». Les capitales occidentales, Washington en tête, accusent l'Iran de financer et d'armer ces mouvements islamistes ouvertement hostiles envers Israël et les États-Unis.

Une influence idéologique
« Plusieurs facteurs internes et externes ont contribué à la montée en puissance de l'Iran dans la région », explique Talal Atrissi, chercheur et spécialiste du Moyen-Orient. « L'Iran, quatrième exportateur mondial de pétrole, est avant tout un pays riche, poursuit-il. De plus, il bénéficie d'un très large soutien populaire aussi bien national que régional, surtout en comparaison avec d'autres pays arabes comme l'Égypte ou l'Arabie saoudite où les dirigeants sont très contestés ». Le chercheur libanais explique cette popularité croissante par le soutien de la République islamique aux Palestiniens et son hostilité envers Israël et les États-Unis. « Mais, tient-il toutefois à souligner, l'élément-clé qui a propulsé l'Iran sur la scène régionale a sans aucun doute été la chute de Saddam Hussein. » En effet, avec l'effondrement de l'armée irakienne en 2003, l'Iran se retrouve sans véritable rival militaire régional, ce qui a eu pour effet d'affaiblir les gouvernements arabes avoisinants. Ces derniers, essentiellement sunnites, ont commencé à craindre une « exportation de la Révolution chiite » vers leur territoire. De fait, peu de temps après son arrivée au pouvoir, l'ayatollah Khomeiny avait lancé une campagne pour « exporter » la révolution dans les pays musulmans environnants. Et samedi, le président Mahmoud Ahmadinejad qui s'est recueilli sur la tombe du fondateur de la République islamique, a affirmé que la révolution « n'est pas limitée aux frontières iraniennes ». « Les craintes des pays arabes sont valides, certes, mais ils sont un peu exagérés », juge Ali Akbar Mahdi, sociologue iranien. « Une révolution ne peut être exportée car elle est le résultat d'une configuration interne », souligne ce professeur à l'Université Wesleyan d'Ohio, aux États-Unis. Pour sa part, le professeur Atrissi estime que les propos de Khomeiny sur l'exportation de la révolution n'étaient que des déclarations inflammatoires survenues au lendemain de son retour d'exil. « Même si l'Iran avait l'intention d'exporter sa révolution dans le reste de la région, la guerre qui a duré huit ans avec l'Irak l'a certainement dissuadé de poursuivre ce projet, dit-il. Après la guerre, les Iraniens ont compris les dangers que représenterait pour leurs intérêts l'éclatement d'un conflit confessionnel entre sunnites et chiites dans la région. »

Un « vent de changement »
Par ailleurs, le régime iranien semble aujourd'hui préoccupé par d'autres enjeux majeurs qui, selon M. Atrissi, sont « susceptibles d'influencer l'avenir de la République islamique ». Avec le départ de George W. Bush de la Maison-Blanche et la victoire de Barack Obama, un « vent de changement » semble souffler sur la région. Et l'an 2009 pourrait marquer l'ouverture d'une page nouvelle dans les relations irano-américaines, rompues depuis près de trente ans. Depuis son investiture, le nouveau président américain a multiplié les appels en faveur de l'ouverture de « discussions directes » avec le régime iranien à condition que ce dernier « desserre le poing ». Réagissant à cette déclaration, le président Ahmadinejad a affirmé qu'il accueillerait favorablement l'offre d'Obama si elle contenait des « changements réels », tout en lui demandant de présenter des « excuses » pour les « crimes » commis par les États-Unis contre l'Iran depuis 60 ans.
«Le régime iranien se sent dans une position embarrassante», juge Azadeh Kian, professeur de sciences politiques à l'Université Paris VII. «Contrairement à Bush, Obama jouit d'une très forte popularité à l'échelle mondiale. Les Iraniens savent qu'ils doivent faire des concessions très lourdes pour la normalisation des relations avec les États-Unis, comme suspendre l'enrichissement de l'uranium et arrêter de soutenir des groupes comme le Hezbollah et le Hamas », ajoute la sociologue iranienne. « En contrepartie, souligne-t-elle, Téhéran cherchera des garanties de la part de Washington pour "sanctuariser" son territoire et, notamment, sa sécurité nationale. » En effet, les autorités iraniennes accusent régulièrement les États-Unis de chercher à renverser le régime islamique. Par conséquent, elles ont accentué depuis plus d'un an leur répression à l'encontre d'Iraniens accusés de contribuer à ces efforts.

Une reconnaissance US
Pour M. Atrissi, les Iraniens sont, au contraire, dans une position de force face à Obama. « Le régime iranien sait que Washington n'a pas les moyens de se lancer dans une nouvelle guerre, surtout avec l'arrivée d'Obama au pouvoir », dit-il. «La réaction d'Ahmadinejad à l'offre de son homologue américain a d'ailleurs été très claire: les Iraniens ne sont pas pressés d'ouvrir des discussions directes avec les États-Unis », remarque M. Atrissi. Le chercheur libanais, qui vient de publier un nouveau livre intitulé La géostratégie du plateau iranien, estime par ailleurs que Téhéran ne se sentira pas obligé de faire des concessions au-delà de l'Irak et de l'Afghanistan. « L'Iran cherche une reconnaissance de son rôle de puissance régionale de la part des États-Unis», souligne encore M. Atrissi.
Pour sa part, M. Mahdi rappelle que l'embargo américain imposé sur l'Iran a gravement nuit à la population. « Les gens sont fatigués et souffrent de la situation économique, dit-il. Je crois qu'une normalisation des relations entre les États-Unis et l'Iran, bien qu'elle ne soit pas pour demain, est avantageuse pour les deux pays. »
Entre-temps, Téhéran et Washington se surveillent. Les Iraniens attendent des gestes concrets de la part des Américains qui, de leur côté, vont suivre avec beaucoup d'intérêt l'élection présidentielle iranienne du 12 juin.

Une présidentielle incertaine
Précisément, le «vent de changement» qui a porté Obama à la tête des États-Unis va-t-il se faire sentir en Iran? Quelle chance ont les réformistes face à Ahmadinejad qui sera candidat à un deuxième mandat? Azadeh Kian se montre optimiste. «Les réformistes s'activent en Iran. Les choses bougent», dit-elle. La sociologue féministe estime que l'effet Obama se fera sentir jusque dans les urnes. «La présidentielle de 2005 a enregistré un taux d'abstention record, près de 40%, rappelle Mme Kian. Le tiers, au moins, des abstentionnistes font partie de la classe moyenne urbaine éduquée qui avait voté pour Khatami par le passé.» Selon elle, Obama a redonné l'espoir à ces proréformistes qui iront voter à nouveau pour barrer le chemin à Ahmadinejad.
Ali Akbar Mahdi, lui, reste sceptique. «Je doute fort que l'effet Obama n'affecte la présidentielle de juin. C'est un problème interne à l'Iran», affirme-t-il. Interrogé sur le candidat réformiste qui, selon lui, aurait le plus de chances de réussite face à Ahmadinejad, le professeur iranien avance le nom de Mehdi Karoubi, ex-président du Parlement et seul candidat déclaré à l'élection. Selon lui, les deux autres candidats potentiels, Mohammad Khatami, ex-président, et Mir Hossein Mousavi, ex-Premier ministre, auront du mal à gagner le soutien de l'ayatollah Ali Khamenei, l'actuel guide suprême de la République islamique. Même constat chez Talal Atrissi qui ne croit pas à une victoire écrasante des réformateurs, surtout si les conservateurs décident de s'unir autour de l'actuel président. «S'il y a réellement une chance de dialogue avec les États-Unis, les conservateurs feront leur possible pour que ce soit eux qui entament ces discussions très cruciales pour la République islamique », explique-t-il.
Mais les trois experts s'accordent pour dire qu'il est difficile de prédire les résultats d'une élection en Iran. «Tout est possible», lance M. Mahdi. «C'est un pays plein de surprises», renchérit M. Atrissi. «En dépit de tout le mal que l'on puisse dire de l'Iran, il reste un pays démocratique, ajoute-t-il. La preuve, d'ailleurs, en est que les élections ne sont pas programmées comme en Syrie, par exemple, où le président est élu à 99,9 % ». Mais qu'en est-il de la répression, surtout à l'approche du scrutin, et de la présélection des candidats par le Conseil des gardiens de la révolution ? Hier encore, les autorités ont interdit la principale organisation étudiante proche des réformateurs, le Bureau de la consolidation de l'unité. « Oui, il existe des lignes rouges en Iran, répond M. Atrissi. Mais le régime commence à s'ouvrir très lentement. Il faut savoir que l'Iran veille avec ténacité à la conservation de son image culturelle et idéologique. Après tout, il est le seul modèle d'une République islamique chiite au monde, et ça, c'est ce qu'il y a de plus important pour l'Iran. »
Le 1er février 1979, l'avion transportant l'ayatollah Rouhollah Khomeiny atterrit à Téhéran. Le retour triomphal de l'ayatollah survient après quinze longues années d'exil entre l'Irak et la France. Le chah Mohammad Reza Pahlavi, lui, a fui le pays deux semaines plus tôt, chassé par le « pouvoir de la rue ». Victorieuse, la...