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Redéfinir la pertinence entre les donateurs occidentaux et les révolutions

L’année iranienne d’Obama

Anne-Marie Slaughter, ancienne directrice de la planification au département d’État américain (2009-2011), est professeure de sciences politiques et d’affaires internationales à l’université Princeton.

À l’heure où le président américain Barack Obama entame son second mandat, il devra consacrer une grande part de son temps à remettre en ordre les finances américaines. Mais les questions de politique étrangère occupent aussi une place très importante, et en dépit du conflit syrien et du risque d’une propagation de la guerre dans la région africaine du Sahel, le consensus à Washington est que 2013 sera une « année décisive » concernant l’Iran. Obama a débuté son premier mandat en proposant de réengager le dialogue avec la République islamique ; on se souvient de sa déclaration à l’occasion de son premier discours inaugural en 2009 : « Notre main vous est tendue si vous êtes prêts à desserrer les poings. » Il a répété cet engagement, mais par circonvolutions, dans son second discours inaugural : « Nous aurons le courage de tenter de résoudre les différends qui nous opposent aux autres nations de manière pacifique – non parce que nous n’avons pas conscience des dangers qui nous menacent, mais parce que le dialogue est plus fort que la suspicion et la peur. »
Comme l’a récemment souligné l’intellectuel et activiste Hussein Ibish, Obama s’est entouré d’un cabinet qui lui laissera un maximum de marge de négociation avec l’Iran. En particulier, la nomination de vétérans de guerre aux postes de secrétaire d’État et secrétaire à la Défense lui assure un précieux soutien pour un accord qui impliquerait inévitablement de lever les sanctions contre l’Iran et presque certainement de reconnaître son droit à l’uranium enrichi à un faible degré de concentration. Cela devrait permettre de convaincre les dirigeants iraniens de la détermination américaine à parvenir à cet accord, mais aussi que quoi que puissent proposer les États-Unis, ce sera probablement leur meilleure offre. L’administration Obama est parvenue à constituer une extraordinaire coalition de pays pour imposer les sanctions économiques qui ont un effet évident sur le prix et l’approvisionnement des biens en Iran et sur les possibilités, y compris pour les puissantes institutions comme les gardes de la révolution, de faire des affaires. Mais les coalitions ne sont pas éternelles, et le fardeau des sanctions est souvent une arme à double tranchant, frappant autant les acheteurs que les vendeurs. Des pays comme la Corée du Sud et le Japon, par exemple, n’ont interrompu leurs importations de pétrole iranien qu’avec réticence ; et il est rare que des pays comme la Chine ou la Russie jouent vraiment franc jeu en matière de sanctions.
En outre, Obama ne peut indéfiniment brandir comme une menace que « toutes les options sont sur la table » sans finir par se décrédibiliser aux yeux des Iraniens et des autres pays du Moyen-Orient. Ainsi que le précise la spécialiste de politique étrangère Suzanne Maloney, de l’Institution Brookings, les pays de la région et au-delà sont déjà atterrés par l’absence de leadership américain concernant la Syrie. Si les États-Unis sont prêts à redonner une réelle chance à la négociation (une offre crédible et une volonté affirmée de dialogue), qu’ils sont rabroués, et qu’ils ne réagissent pas, ils pourront alors réellement se considérer comme un tigre de papier. À ce stade, il est probable que la coalition prosanctions se désintégrera tout comme la confiance dans le leadership américain.
Les États-Unis se sont donc mis dans une impasse. L’ancien conseiller américain à la Sécurité nationale Zbigniew Brzezinski s’est récemment déclaré fortement opposé à une action militaire, prônant plutôt une stratégie qui maintiendrait les sanctions et prolongerait la dissuasion. Tout comme la politique américaine envers le bloc soviétique pendant la période de la guerre froide, « une menace militaire iranienne contre Israël ou contre tout autre ami des Américains au Moyen-Orient serait considérée comme directement dirigée contre les États-Unis et précipiterait immanquablement une réponse américaine proportionnelle ».
Je peux tout à fait comprendre la logique de Brzezinski. Mais Obama s’est engagé et a engagé ses alliés bien trop loin dans la voie actuelle. En outre, et surtout, Brzezinski oublie que la sécurité d’Israël ou la stabilité de la région ne sont pas les seules raisons qui expliquent la détermination d’Obama à empêcher l’Iran d’acquérir l’arme nucléaire. Obama s’est engagé à maintes reprises à faire basculer le monde vers le « zéro global » – un monde sans armes nucléaires. Il est convaincu (tout comme les anciens secrétaires d’État Henry Kissinger et George Shultz, l’ancien secrétaire à la Défense William Perry, et l’ancien sénateur Sam Nunn) qu’à moins de trouver un moyen de vivre dans un monde sans arme nucléaire, nous nous retrouverons dans un système international dans lequel 30 à 50 États la posséderaient, augmentant le risque d’un tir accidentel ou délibéré à un niveau inacceptable. Convaincre les grandes puissances d’éliminer leur arsenal nucléaire pourrait sembler aussi politiquement irréaliste que de faire passer une loi sur le contrôle des armes au Congrès américain, mais sur cette question aussi, Obama a clairement fait savoir qu’il était disposé à essayer.
Quel que soit le degré de logique ou d’attrait d’une politique d’endiguement, la détermination d’Obama à laisser en héritage une dénucléarisation globale implique qu’il ne permettra à aucun autre pays d’acquérir l’arme nucléaire tant qu’il sera aux fonctions, contrairement à ses prédécesseurs qui l’ont autorisé pour l’Inde, la Corée du Sud, et le Pakistan. Les enjeux sont donc considérables, tant pour les États-Unis que pour l’Iran. D’autres pays feraient bien de ne pas sous-estimer la détermination d’Obama ; les gouvernements qui entretiennent des relations avec l’Iran devraient insister sur la nécessité de négocier un accord. Et les pays comme la Turquie et le Brésil (et peut-être aussi l’Inde et l’Égypte) pourraient jouer un rôle utile en concevant un moyen pour que les Iraniens ne perdent pas la face en acceptant les exigences de la communauté internationale, ainsi que des alternatives à long terme pour l’enrichissement du combustible dans le respect du principe de réduction de la menace nucléaire globale. Les alliés de l’Amérique, en retour, doivent tous être préparés à accepter les principes généraux de cet accord et celui d’une frappe militaire.
L’art politique ne consiste pas à choisir entre la guerre et la diplomatie comme s’il s’agissait de deux alternatives mutuellement exclusives, mais de comprendre comment elles s’accordent. Dans le cas de la Syrie, l’Occident en a appelé à maintes reprises à la diplomatie, tout en éliminant toute idée d’action militaire, sans résultat probant comme l’on pouvait s’en douter. Les États-Unis ne commettront pas cette erreur avec l’Iran.

Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats
© Project Syndicate, 2013
À l’heure où le président américain Barack Obama entame son second mandat, il devra consacrer une grande part de son temps à remettre en ordre les finances américaines. Mais les questions de politique étrangère occupent aussi une place très importante, et en dépit du conflit syrien et du risque d’une propagation de la guerre dans la région africaine du Sahel, le consensus à...