Rechercher
Rechercher

Don d’organes : une belle « aventure » libanaise menacée...

L’idée du don d’organes commence à faire son chemin

Le Dr Antoine Stephan : « Le problème majeur est de faire adopter par le ministère de la Santé une stratégie qui va nous aider à poursuivre notre travail. »

Le Dr Antoine Stephan, président du Comité national pour le don et la greffe des organes et des tissus (NOOTDT), dresse à L’Orient-Le Jour un bilan des avancées notées au niveau du don d’organes au Liban et des défis qui restent encore à relever.

Comment évaluez-vous la situation au Liban ?
L’intérêt pour le don d’organes existe et la nécessité pour le don d’organes est actuellement comprise. Certes, nous n’avons pas encore résolu tous les problèmes, mais nous avons pu faire jaillir à la surface cette prise de conscience de la nécessité du don d’organes. Maintenant que tout le monde admet qu’il existe un problème qu’il faudrait résoudre, il devient plus facile de travailler sur la solution.

Comment évaluez-vous les trois dernières années de collaboration avec les experts espagnols ?
Il y a une nette amélioration au niveau de la sensibilisation au don d’organes. Évidemment, il faudrait compter encore plusieurs années pour pouvoir changer toute une culture. Le fait que le don d’organes a été adopté dans le curriculum de toutes les universités de médecine et de sciences infirmières au Liban va aboutir à une nouvelle génération convaincue de l’importance de cet acte. Le fait que le ministère de l’Éducation ait accepté de faire introduire un cours sur le don d’organes dans le programme des écoles secondaires va également aider à la sensibilisation.
Je pense qu’au-delà des chiffres, c’est l’intérêt qu’on a pu soulever pour le don d’organes et les modifications que nous avons pu introduire à la loi qui sont très importants. Bien entendu, il reste un long travail à faire. Néanmoins, nous avons progressé. Aujourd’hui, tout le monde est convaincu de la nécessité d’un système unifié pour l’ensemble du pays et les efforts seront déployés de manière à le renforcer. Le travail effectué au cours de ces trois dernières années doit continuer. De même, l’infrastructure mise en place doit être définitivement établie pour permettre à la personne qui prendra la relève de mener à bien ce projet.

Quels sont encore les défis à relever ?
Ils sont nombreux, mais le problème majeur reste celui de faire adopter par le ministère de la Santé une stratégie qui va nous aider à poursuivre notre travail. Il est vraiment honteux de constater que nous allons avoir un problème à financer notre propre projet, parce que le gouvernement espagnol, sur lequel nous étions presque entièrement dépendant financièrement au cours des trois dernières années, a arrêté son aide. Je ne comprends pas pourquoi le gouvernement espagnol est plus motivé que le gouvernement libanais à promouvoir un projet qui est en fin de compte vital pour l’ensemble du pays. Ce qui est toutefois encourageant, c’est de constater que certains bailleurs de fonds sont motivés. Leur contribution va aider à couvrir une partie de l’aide que l’Espagne fournissait.
Sur le plan social, il est encore difficile de parler du don d’organes après la mort, bien qu’il s’agisse d’un service nécessaire pour l’ensemble de la société. Néanmoins, je pense que la population devient de plus en plus sensibilisée. En effet, dans un passé proche, lorsque nous abordions le sujet avec les familles, nous étions confrontés à une agressivité. Aujourd’hui, même si les familles refusent, elles le font d’un ton presque apologétique. Nous constatons un changement dans l’attitude générale de la population.

Rencontrez-vous toujours des difficultés au niveau de la religion ?
Tous les chefs religieux des différentes communautés sont favorables au don d’organes. Il existe une petite difficulté concernant la définition de la mort cérébrale. En discutant du problème, je pense que nous finirons par le surmonter. Si nous faisons confiance à un professionnel pour nous traiter, il n’y a pas de raisons de ne pas lui faire confiance pour diagnostiquer la mort. Ce n’est plus une question de religion, mais de diagnostic de la mort, et cela est purement scientifique. Il est très important, bien entendu, que nous soyons sûrs que la mort est survenue avant de parler du don d’organes. C’est la raison pour laquelle, avec la Société libanaise de neurologie, nous avons veillé à mettre suffisamment de critères et de garde-fous pour être sûrs du diagnostic de la mort cérébrale et que le cas qui se présente est irréversible. C’est à ce moment-là uniquement que la question du don d’organes peut être abordée avec la famille.
Bien entendu, la mort cérébrale est un nouveau concept, d’autant que nous avons toujours parlé d’arrêt cardiaque. Il est difficile de convaincre tout le monde du jour au lendemain de cette forme de mort, mais si nous arrivons à penser rationnellement, il n’y a aucune raison de refuser la mort cérébrale.

Existe-t-il un problème intercommunautaire ?
Dans quelques cas, nous avons eu affaire à des gens qui ont refusé de donner les organes du membre de leur famille décédé à un patient appartenant à une autre communauté. Bien entendu, nous refusons cela. Le don est anonyme et gratuit. Pour nous, le patient est le même, quelles que soient sa communauté et son appartenance politique, d’où notre refus d’un don conditionné.
Actuellement, le taux de refus le plus élevé est observé au sein des communautés musulmanes. À mon avis, il s’agirait d’un problème de communication, qui n’est pas uniforme, et d’une mauvaise conception du don d’organes. En Iran, à titre d’exemple, il y a 7 donneurs par million d’habitants. Au Liban, nous sommes toujours à 2,5 donneurs par million d’habitants.

Où réside donc le problème ?
C’est un problème commun aux communautés chrétienne et musulmane. Certains dignitaires religieux dans les régions ne sont pas au courant des grandes décisions et répondent aux questions en se basant sur leur sentiment propre plutôt que sur l’enseignement de la religion. Récemment, nous avons perdu un donneur dans un hôpital tenu par des religieuses à cause de l’opinion d’un curé qui ne représente pas d’ailleurs l’opinion de sa communauté. Il avait dit à la famille que le don d’organes était contre la religion, alors que c’est totalement faux. La famille, qui était d’abord consentante, a changé d’avis en l’écoutant.

Le refus exprimé par les familles est-il toujours d’ordre religieux ou existe-t-il d’autres causes ?
Il y a le refus culturel qui est probablement lié au manque de confiance. Si les parents ne sont pas persuadés de la mort cérébrale et du fait qu’elle est irréversible, ils ne vont pas accepter. Et c’est le rôle du médecin. Il doit avoir une bonne relation avec la famille et lui prouver qu’il a fait de son mieux pour sauver son malade. La famille doit aussi être convaincue qu’il n’y a pas de commerce derrière cette demande d’organes. Malheureusement, lorsque nous ne parlons que de trafic, la première chose qui vient à l’esprit des familles, c’est l’argent. Or le don d’organes est gratuit.

Comment envisagez-vous les prochains mois ?
Il n’y a pas de doute que nous vivons d’espoir.

Quelle est votre vision d’une stratégie nationale qui aiderait à faire avancer les choses ?
Il faudrait améliorer sensiblement le budget pour pouvoir recruter le personnel nécessaire, sinon nous ne pourrons pas continuer. Il n’est pas normal de continuer à faire travailler à plein temps des gens supposés être engagés à mi-temps et leur payer des salaires de quelqu’un qui travaille à temps partiel. Il faut pouvoir monter une équipe de personnes motivées, qui soient bien rémunérées et qui ont le temps nécessaire pour s’occuper du don d’organes. Une fois que cela est établi, nous pourrons mieux fonctionner et espérer enfin avoir un système durable.
Le Dr Antoine Stephan, président du Comité national pour le don et la greffe des organes et des tissus (NOOTDT), dresse à L’Orient-Le Jour un bilan des avancées notées au niveau du don d’organes au Liban et des défis qui restent encore à relever.Comment évaluez-vous la situation au Liban ?L’intérêt pour le don d’organes existe et la nécessité pour le don d’organes est...