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Il n’y a pas une opposition, mais « des oppositions » à Poutine - Russie

Il n’y a pas une opposition, mais « des oppositions » à Poutine

Vladimir Poutine, candidat à la présidentielle, fait face depuis quelques mois à une vague de mécontentement sans précédent. Les protestations massives ont été déclenchées par la falsification des élections législatives du 4 décembre dernier. Tatiana Kastouéva-Jean de l’IFRI revient notamment sur l’origine de ce mouvement, préférant parler des « oppositions » russes.

Une manifestation anti-Poutine à Saint-Pétersbourg. Olga Maltseva/AFP

Dernière ligne droite pour la présidentielle russe. Selon des sondages, Vladimir Poutine devrait remporter au premier tour le scrutin de dimanche prochain, après avoir été forcé de laisser le Kremlin en 2008 à Dmitri Medvedev pour des raisons constitutionnelles.
Depuis quelques semaines, sa campagne électorale bat son plein, et dans ses différents discours, M. Poutine promet un réarmement sans précédent de son pays, un « bond en avant » du complexe militaro-industriel qu’il entend placer, comme en URSS, au centre du développement. Il promet également des hausses de salaires de 200 % pour les professeurs et les médecins, une hausse importante des bourses d’études et des retraites d’ici à la fin de son mandat (en 2018), une baisse de l’immobilier et la lutte contre l’alcoolisme. Des promesses préélectorales qui s’élèvent à 127 milliards d’euros, selon une étude de la Serbank. Sans compter que sur la scène internationale, Vladimir Poutine donne son soutien à des États dits « paria » (Iran, Syrie) et prend souvent des positions qui pourraient l’isoler.
Pour montrer leur soutien au candidat Poutine, quelque 130 000 personnes (selon la police) se sont rassemblées dans le stade olympique Loujniki de Moscou jeudi dernier. Cette manifestation a été largement considérée comme une réponse des autorités aux rassemblements d’opposition qui ont lieu régulièrement à Moscou depuis décembre et les législatives controversées remportées par le parti au pouvoir. Le régime russe a à plusieurs reprises accusé les organisateurs de la contestation d’être à la solde des Occidentaux, martelant que l’élection de M. Poutine le 4 mars était la seule garantie de stabilité pour la Russie. L’opposition et des médias indépendants ont accusé les autorités de rémunérer des participants ou de faire pression sur les employés du secteur public pour qu’ils manifestent. Ces accusations ont été rejetées par le pouvoir. « Nous ne forçons personne, mais nous invitons tout le monde », a expliqué le cinéaste et député Stanislav Govoroukhine, qui dirige la campagne électorale de M. Poutine.
Tatiana Kastouéva-Jean, spécialiste de la Russie à l’Institut français des relations internationales (IFRI), explique, entre autres, qui est l’opposition anti-Poutine.

Q. L’opposition russe étant généralement muette, quel a été le déclencheur des énormes manifestations anti-Poutine ? Quelles sont les principales revendications de cette opposition aujourd’hui ?
R. L’opposition russe n’a pas été muette, mais peu nombreuse, d’autant qu’elle s’est exprimée sur le Web, dans les réseaux sociaux. Les meetings n’ont jamais réuni jusqu’à décembre dernier plus de 300 personnes. Les plus actifs étaient les communistes. Certains autres opposants (Boris Nemtzov, Vladimir Milov...) ont signé des rapports publiés qui dénoncent la politique de Poutine et le bilan de ses années au pouvoir.
Les protestations massives ont été déclenchées par la falsification des élections législatives le 4 décembre dernier. Mais certains facteurs qui y ont contribué datent d’avant. Le 24 septembre en particulier, l’annonce de la permutation entre Poutine et Medvedev au poste présidentiel a été très mal prise, comme une négligence ouverte des électeurs et citoyens. Le système politique verrouillé par Poutine touche à ses limites : les gens voyagent, il y a une liberté sur Internet, à Moscou et dans les capitales, ils ont un niveau de vie correct. Les gens ne voient plus pourquoi tolérer un système politique de type autocratie modéré dans lequel leurs voix pèsent peu.
Aujourd’hui, il faudrait parler des « oppositions » anti-Poutine au pluriel, plutôt que de l’opposition russe. Elle est loin d’être unie, homogène. Elle comprend des partis politiques présents à la Douma (quelques députés de la Russie juste sont très actifs dans l’organisation du mouvement de protestation), les partis inscrits, mais pas représentés à la Douma (comme Yabloko dont le leader Yavlinski n’a pas pu enregistrer sa candidature aux présidentielles), les partis non enregistrés (dont Dmitri Medvedev a rencontré les leaders au début de la semaine dernière), plus des nationalistes, des blogueurs, des musiciens et des écrivains (dont certains se sont regroupés récemment dans la Ligue des électeurs). L’opposition n’a aucun programme positif commun, deux seules exigences unissent tout le monde : « élections honnêtes » et « la Russie sans Poutine ».

Selon les derniers sondages, Vladimir Poutine est quasiment assuré de remporter la présidentielle au premier tour. Qu’est-ce qui fait sa popularité ?
En effet, selon un sondage WCIOM du début de la semaine dernière, il est à presque 60 % d’intensions de vote, et selon un autre sondage, dit indépendant, il est à 48 %. Il est donc le favori incontestable de l’élection présidentielle. Cette popularité s’appuie sur plusieurs facteurs, d’abord économiques. Il faut rappeler qu’en 1998, la Russie a fait défaut, tandis qu’aujourd’hui, elle a les troisièmes réserves de change mondiales et se propose presque pour refinancer certains pays européens empêtrés dans la crise. Certes, elle a pu le faire grâce aux prix élevés du pétrole. Les années de croissance économique ont contribué à l’amélioration des revenus de la population. Vladimir Poutine a toujours accordé une grande importance aux allocations sociales, salaires et retraites, qui ont régulièrement été indexés. Dans un des articles préélectoraux publiés depuis le début de l’année, il affirme : « La Russie est un État social. Notre niveau de garanties sociales est plus élevé que dans les pays avec les niveaux de productivité et de revenu par habitant comparables. Depuis quelques années, les dépenses sociales représentent plus de la moitié des dépenses budgétaires globales. Rien que depuis 4 ans, elles ont été multipliées par 1,5, soit sont passées de 21 % à 27 % du PIB. »
Pendant la crise économique et financière, l’État a investi moins dans le secteur réel que dans le social. Le financement de plusieurs secteurs a été augmenté, comme l’éducation, la santé publique (la natalité par exemple). La stabilité macroéconomique s’est accompagnée de stabilité politique. En résumé, la Russie n’a jamais été aussi prospère et stable politiquement dans son histoire que sous Poutine. Il joue habilement de ce constat, le rappelle sans cesse dans tous ces discours, l’inscrit au bilan de ses présidences précédentes.
Il ne faut pas oublier non plus la lutte contre les oligarques, peu appréciés par le peuple russe.

Les différents discours et comportements de Vladimir Poutine ces derniers mois (veto sur la Syrie, promesse d’armement...) laissent penser qu’il cherche un retour à l’ère soviétique. Cela est-il plausible, ou ce ne sont que des considérations électorales ?
Une phrase de Vladimir Poutine est connue : « Celui qui ne regrette pas la disparition de l’URSS n’a pas de cœur ; celui qui veut la faire renaître n’a pas de tête. » Je ne pense pas qu’un retour à l’ère soviétique soit possible, ni que ce soit le souhait de M. Poutine. Cependant, il s’est souvent appuyé sur la symbolique, la rhétorique (« forteresse assiégée », par exemple) et les méthodes de l’époque soviétique qui lui sont bien connues et familières : du retour de l’hymne soviétique comme l’hymne national de la nouvelle Russie (avec de nouvelles paroles) jusqu’aux méthodes de propagande qui font « décalées » dans le paysage moderne. Mais il a aussi puisé dans l’héritage tsariste ; il affirme ainsi que ses modèles sont Pierre le Grand et Pierre Stolypine, il se tourne en outre vers l’Église pour chercher des appuis supplémentaires pour sa légitimité.
Par ailleurs, la promesse d’armement doit être inscrite dans le contexte électoral. Il s’agit d’un candidat en plein campagne. Ce type de discours l’aide à ressouder son électorat. M. Poutine a publié six articles préélectoraux depuis le début de l’année dans différents médias russes. Chacun traite d’un thème et s’adresse à un pan de lectorat précis. Le dernier, sur la sécurité nationale, dans lequel il parle du réarmement, s’adresse clairement à l’armée, aux militaires, aux structures de forces et aux travailleurs des industries du complexe militaro-industriel qui sont valorisés dans cet article et à qui des promesses de financements importants sont faites. Deux autres facteurs influencent en outre cette décision : l’attachement à la souveraineté nationale qui passe aussi par la production nationale de principaux armements pour éviter la dépendance à des puissances étrangères, et le raisonnement économique (dans l’article, Vladimir Poutine explique qu’il compte sur les industries de défense pour service de locomotive pour les industries civiles en matière d’innovation). Il y a aussi des contradictions dans cet article : ainsi M. Poutine mise sur les nouveaux armements de pointe produits par les industries de défense nationales, tout en expliquant que ces industries ont pris le retard de quelques cycles de modernisation depuis 30 ans et que les achats ponctuels du matériel de pointe à l’étranger ne sont pas exclus, loin de là. Enfin, si l’on additionne toutes les promesses de financements faites dans les six articles pour les différents secteurs et catégories, il est peu probable que toutes puissent être tenues.
En ce qui concerne la Syrie, la position russe n’est pas une surprise. On retrouve les constantes de la politique étrangère russe sous Poutine : non-ingérence dans les affaires d’un État souverain, protection des intérêts économiques (y compris les ventes d’armes) et la volonté de Moscou de faire entendre sa voix sur les grands dossiers internationaux.

Avec ses prises de position à contre-courant, l’homme fort de la Russie n’a-t-il pas peur de l’isolement ?
La Russie n’a jamais eu peur de l’isolement et cultive plutôt le complexe de « forteresse assiégée ». Cela ne veut pas dire qu’elle ne cherche pas les alliances et les accords (elle a souvent la Chine à ses côtés au Conseil de sécurité de l’ONU), mais leur absence ne l’a jamais empêchée de prendre les décisions qu’elle estime nécessaires pour ses intérêts nationaux.
Dernière ligne droite pour la présidentielle russe. Selon des sondages, Vladimir Poutine devrait remporter au premier tour le scrutin de dimanche prochain, après avoir été forcé de laisser le Kremlin en 2008 à Dmitri Medvedev pour des raisons constitutionnelles.Depuis quelques semaines, sa campagne électorale bat son plein, et dans ses différents discours, M. Poutine promet un...