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Culture - Danse

Le langage du corps entre stridence moderne et aspirations « soufistes »

« Dakaëk » (Minutes) est le titre du spectacle donné sur les planches du théâtre Babel (Centre Marignan) par la compagnie syrienne de danse Sima, venue en droite ligne de Damas. Douze jeunes danseurs et danseuses pour une performance exceptionnelle, faite de rigueur, d’originalité et d’audace.

Une danse qui réunit énergie, vitalité, vitesse, phrasé, défi à la gravité, contrôle, musicalité... Photo Marwan Assaf

Alliance corsée d’une stridence moderne et du soufisme des derviches tourneurs. Des «minutes» de pur bonheur, aussi bien visuel qu’auditif.
Si sur les routes et les artères de Beyrouth les plaques d’immatriculation des voitures marquées des noms de Deraa, Homs ou des rives du Barada pullulent et ne surprennent plus personne, le théâtre, lui, vient de subir un véritable assaut de charme. Et de nous surprendre. Bien agréablement. De la part d’un groupe de jeunes Syriens qui offrent la beauté du ballet moderne non comme une molle gerbe de fleurs, mais comme une tonique et ébouriffante expression de la vie.
Entre conflits, amours et patriotisme, points névralgiques s’articulant autour de ce spectacle cousu de fil blanc, les pas, les bonds, les déhanchements, les tressautements, les culbutes et les pirouettes des danseurs et danseuses affichent, avec une grâce infinie, un goût sans frein pour le bonheur.
Un bonheur sous ombrelle d’une existence pleine. Une existence où harmonie du couple et sécurité d’une terre natale se partagent la paix du cœur. Sans oublier, dans ce parcours tissé de gestes à la fois vifs et ronds, un sens majeur de l’élévation, par le biais du mouvement giratoire des derviches tourneurs. Qui est en fait non seulement un besoin d’éloignement de la violence, mais un éloquent et vibrant appel à Dieu et aux biens qu’il dispense. La paix du corps et de l’âme en premier lieu.
Sous la férule du chorégraphe Alaa Kremid, formé dans les classes de l’Institut supérieur des arts dramatiques de Damas (mais il n’en a pas moins frayé avec des « workshops » en Allemagne et au Danemark), le spectacle est une habile conciliation entre audace d’une expression corporelle moderne, libre et libérée, et la refonte et la résurrection, à travers ondulation et tournoiement, des valeurs traditionnelles orientales.
Avec des images aux pertinences sensuelles évidentes mais aussi une quête pour une spiritualité qui remonte ouvertement au soufisme, de par la musique aux rythmes marqués, les chants, intenses et scandés, ainsi que les costumes. Un excellent travail fait de simplicité et d’harmonie de couleurs et d’étoffe d’Ahmad Mansour.
Des jupes amples sur des torses masculins nus et des bustes de femmes moulées dans du lycra noir, permettant ainsi aux artistes de virevolter en toute légèreté, comme des toupies vivantes, avec un index levé vers le firmament...
Des cadences aux décibels déments où les basses battent des mesures infernales d’un hip-hop de tous les horizons, une aria avec voix de soprane de l’époque baroque, une partita de Bach mais aussi et surtout des mélopées arabes. C’est ce fond sonore métissé qui stimule et porte danseurs et danseuses. Comme si tous étaient en transe.
Ils ponctuent leur prestation en envoyant, en cris guerriers échappés à des cages thoraciques tendues, des saluts pacifiques au public ; ils forment une chaîne humaine à même les feux de la rampe comme une vague démontée, à travers corps imbriqués comme un interminable lombric, avec têtes appuyées sur les genoux les uns des autres... Les jeunes filles, guère dodues ou grasses mais à la peau laiteuse et blanche comme du coton, font brusquement leur sylphide en pointes sur chaussons satinés noirs... Tandis que les garçons, aux muscles lisses et aux aisselles rasées, barbus, les cheveux à la Catulle ou en chignon, « pin » en or blanc luisant à l’oreille, jettent des bras nus de moussaillons en détresse ou ramassent les filets de pêche...
C’est ce bouquet d’images insolites et pourtant si cohérentes qui domine ces « minutes » furtives où le corps s’exprime avec passion, agilité, souplesse et grâce, tous atouts de la jeunesse.
Heureux mariage de genre qui laisse cependant à l’Orient toute sa force, sa magie, sa séduction, sa lumière, son mystère et sa richesse. Tout en l’amalgamant à la déroute d’un univers à la dérive et à l’aspect syncopé, agressif et «speedé» de la vie contemporaine.
Pour l’ouverture, sur une scène nue où sont posées de simples chaises noires, émergent une demi-douzaine de jeunes gens et jeunes filles en costumes noirs, chemises blanches et cravates. Ces messieurs-dames sont assoiffés de régir le monde... Des premiers conflits pour le pouvoir (et la chaise est le symbole même du pouvoir) aux premières approches des êtres par les biais des sentiments, de l’amour et de la tendresse, avant de se fondre dans les limites de la terre-patrie, l’enjeu est surtout de révéler la part inaliénable d’une danse. C’est-à-dire une essence supérieure. À travers l’immatérialité d’un esprit transcendant qui mène tout vivant à se fondre dans le
cosmos...
Voilà une danse qui réunit énergie, vitalité, vitesse, phrasé, défi à la gravité, contrôle, musicalité surtout, par un montage étourdissant ; et qui se décante de tout le « superflu » : décors, costumes.
Avec tant de leste jeté et tant de panache, en s’écartant délibérément de tout ce qui est spectaculaire, comment dès lors ne pas parler de pur bonheur ?
Ici, sans conteste, c’est la danse et elle seule qui est la vedette du spectacle.
Alliance corsée d’une stridence moderne et du soufisme des derviches tourneurs. Des «minutes» de pur bonheur, aussi bien visuel qu’auditif.Si sur les routes et les artères de Beyrouth les plaques d’immatriculation des voitures marquées des noms de Deraa, Homs ou des rives du Barada pullulent et ne surprennent plus personne, le théâtre, lui, vient de subir un véritable assaut de...

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