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Culture - Festival d’Abou Dhabi

Nobuyuki Tsujii, un non-voyant au jeu miraculeux

La soirée d'ouverture qui, d'emblée, a placé cet événement sous le label du centenaire de Chopin a été suivie par le concert du japonais, non-voyant, Nobuyuki Tsujii.

Nobuyuki Tsujii, un pianiste émergeant dans une ville émergente. (DR)

Devant ses touches d'ivoire, ce jeune virtuose a fait la joie des festivaliers.
Après une soirée réservée à la retransmission en direct, dans une petite salle au Palais des Émirats, sur grand écran, avec un public très «happy few» selon la formule élitiste de Stendhal, du Hamlet d'Ambroise Thomas, donnée au Metropolitan Opera à New York (avec une distribution prestigieuse incluant Simon Keenlyside en prince d'Elseneur et Marlis Petersen en Ophélie, lumineuse de beauté et de nuances vocales), place à la poésie, la nostalgie, la tourmente et le génie de Chopin dont on célèbre mondialement le bicentenaire.
Sous les applaudissements nourris d'un auditoire nombreux, de toute évidence féru de l'œuvre du pèlerin polonais, voilà que s'avance, accompagné par un guide, sur l'avant-scène de l'auditorium du Palais des Émirats, le lauréat en 2009 du concours Van Cliburn.
Les cheveux d'ébène drus et lisses sur le front, petite silhouette dans un smoking noir, le pianiste se tient droit, en dodelinant de la tête, devant le clavier. Un clavier qui semble, pour lui, un grand livre ouvert dont il a toujours parcouru, avec aisance, plaisir, parfaite connaissance, discernement, une respectueuse familiarité et liberté, les pages.
À deux ans, le jeune virtuose, aujourd'hui âgé de vingt-deux ans, avait ébloui sa famille en jouant Jingle Bells sur une bricole d'enfant. Mais la légende de ce champion des touches d'ivoire ne s'arrête pas là car, à dix ans, on le retrouve avec l'Orchestre d'Osaka. Et à douze ans, pas plus haut que trois pommes, c'est déjà la vie de concertiste.
Pour ce soir, consacré au compositeur des Polonaises (mais elles ne résonneront pas sous ses doigts dans ce menu), Nobuyuki Tsujii a fait appel non seulement aux rêveries du prince du clavier, mais aussi à l'esprit de ceux qui ont insufflé un sang nouveau au répertoire pianistique, c'est-à-dire ses pairs et amis, Robert Schumann et surtout Frantz Liszt.
Trois stars du piano, de la période romantique, à qui Nobuyuki Tsujii prête son talent, son jeu miraculeux fait d'intuition et de lumière intérieures, et surtout sa technicité à couper le souffle, même dans les croisements de mains les plus adroits, les chromatismes ou les rubato les plus périlleux.
De la diaphane Ballade op 23 n°1 à la Barcarolle op 60 au doux balancement d'une gondole vénitienne, en passant par une Fantaisie op 49 d'une intensité angoissante et des Nocturnes op 27 nos1 et 2 aux accents légers et sereins comme des lucioles dans le velours de la nuit, Chopin est abordé en ces lieux avec fougue et
véhémence.
Les Papillons op 2 de Schumann ont lâché leurs notes virevoltantes sous les ailes repliées de l'épervier royal frappant le blason qui orne le milieu du rideau de la scène. Notes vives et translucides, évoquant des images colorées sur des cadences et des rythmes emportés. Tout en laissant à l'imaginaire de vastes espaces pour s'y lover.
Et voilà Liszt et son cortège de phrases incendiaires. La marche s'ouvre avec Un Sospiro, brillante étude pour interprètes surdoués. Le Rigoletto de Verdi, plus théâtral que jamais, est sur les touches noires et blanches une étourdissante mélodie où le clavier mettrait le dam à tout orchestre. Pour conclure, la célébrissime Rhapsodie Hongroise n°2, mille fois ressassée et qu'on retrouve ici avec une étonnante fraîcheur native.
Une trombe d'applaudissements et standing ovation pour un pianiste émergeant dans une ville émergente. Nobuyuki Tsujii est un étonnant passeur dont la musique est pure lumière. Encore deux bis, tous les deux dans le halo de Chopin, et l'enchantement, le saisissement et l'émotion, comme un parfum tenace, flottent au-delà de l'enceinte de la salle qui se vide avec des murmures d'admiration.
Devant ses touches d'ivoire, ce jeune virtuose a fait la joie des festivaliers.Après une soirée réservée à la retransmission en direct, dans une petite salle au Palais des Émirats, sur grand écran, avec un public très «happy few» selon la formule élitiste de Stendhal, du Hamlet d'Ambroise Thomas, donnée au...

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