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Économie

Guerre et paix des monnaies

Otaviano Canuto est vice-président de la commission pour la réduction de la pauvreté et pour la gestion économique à la Banque mondiale.

Une grande part du battage médiatique autour du sommet du G-20 des ministres des Finances et des dirigeants des banques centrales, le mois dernier à Moscou, concernait la « guerre des monnaies », à propos de laquelle les autorités de certains pays en voie de développement ont accusé celles des pays développés de mener des politiques monétaires non conventionnelles. Mais une autre question cruciale, à savoir celle du financement des placements à long terme, a été en grande partie négligée, bien que le dénouement touchant la politique monétaire non conventionnelle attende un regain d’intérêt ou la création de nouveaux actifs à long terme et de capitaux empruntés à l’économie mondiale.
La faillite de Lehman Brothers en 2008 a fait grimper les primes de risque et a déclenché la panique sur les marchés financiers, ce qui a affaibli les placements aux États-Unis et ailleurs, et a menacé de provoquer un resserrement du crédit. Afin d’éviter la vente au rabais des placements (ce qui aurait pu conduire au démantèlement désordonné des bilans du secteur privé, et aurait pu déclencher une nouvelle « crise de 1929 » voire même ruiner la zone euro), les banques centrales des pays développés ont commencé à acheter des actifs à risques et à augmenter les prêts aux institutions financières, en élargissant de ce fait la masse monétaire. Alors que les craintes d’effondrement se sont dissipées, ces politiques ont été maintenues ou étendues, lorsque les décideurs ont invoqué la fragilité de la reprise économique en cours et l’absence d’autres leviers politiques aussi forts, comme la politique fiscale ou les réformes structurelles, qui auraient pu remplacer à temps la politique monétaire.
Mais plusieurs années de politique monétaire très permissive dans les pays développés ont conduit au débordement significatif de liquidités à l’étranger, mettant toujours plus de pression sur les taux d’intérêt des monnaies des pays en voie de développement. Alors que les pays en voie de développement parviennent difficilement à décourager les apports de capitaux massifs ou à en atténuer les effets (à cause de contraintes économiques, comme une inflation élevée, ou de leur politique nationale) la métaphore de la « guerre des monnaies », inventée en 2010 par le ministre des Finances du Brésil Guido Mantega, a rencontré un large écho.
En outre, seule une petite partie des liquidités créées par les mesures monétaires non conventionnelles ont été canalisées vers les ménages, et vers les petites et moyennes entreprises qui génèrent la plupart des nouveaux emplois. Au lieu de cela, les entités financières touchées par la crise mondiale les ont utilisées pour soutenir leurs efforts de désendettement et pour reconstituer leur capital, tandis que les grandes entreprises ont constitué d’importantes réserves en espèces pour procéder au refinancement de leur dette dans des conditions favorables. En conséquence, la croissance économique et la création d’emplois manquent toujours de vitalité, avec une disponibilité de financement encore très limitée des investissements à long terme d’avoirs de production, essentiels à une croissance durable.
Certains croient que l’élimination des risques macrofinanciers extrêmes, le renforcement progressif de la reprise économique mondiale et l’augmentation des prix des actifs existants finiront par convaincre les accapareurs de trésorerie d’augmenter leur exposition à de nouvelles entreprises dans les économies avancées. Mais un tel optimisme n’est pas très opportun. En fait, lors du récent sommet du G-20, la Banque mondiale a présenté un rapport de coordination sur le financement à long terme pour la croissance et le développement. Le rapport, fondé sur l’analyse de plusieurs organisations internationales, met en évidence plusieurs préoccupations.
Pour commencer, le repli actuel des banques sur le financement des investissements à long terme va probablement persister. Après tout, la plupart des banques des pays développés, surtout en Europe, qui ont dominé ces investissements (par exemple, le financement des projets d’infrastructure à grande échelle), sont en train d’opérer un long processus de désendettement et de reconstruire leurs réserves de fonds propres. Jusqu’à présent, les autres banques n’ont pas été en mesure de combler l’écart.
De plus, l’effet de réformes réglementaires souscrites au niveau international, dont la plupart n’ont pas encore été mises en œuvre, visera l’augmentation des besoins en capitaux des banques, tout en réduisant l’ampleur des risques de transformation d’échéances qu’elles pourront faire supporter à leurs bilans. La « nouvelle normalité » qui en résulte va probablement produire des prêts bancaires à long terme plus rares et plus coûteux.
Le rapport de la Banque mondiale souligne également qu’à la suite du repli bancaire, les investisseurs institutionnels avec des dettes à long terme (telles que les fonds de pension, les assurances et les fonds souverains) pourront être appelés à jouer un rôle plus important dans le financement à long terme des actifs. Mais pour faciliter ce changement, il faudra développer des mécanismes de financement appropriés. Il faudra acquérir une expertise en placement et en gestion des risques. Il faudra aussi améliorer les cadres réglementaires. Des données adéquates et des repères d’investissement seront nécessaires. Ces investisseurs doivent se concentrer sur les petites et moyennes entreprises, souvent négligées par les banques.
Enfin les marchés obligataires en monnaie locale (et, plus généralement, les marchés de capitaux nationaux) dans les économies émergentes doivent être davantage explorés, dans le but d’allonger le régime des flux financiers. Les marchés en monnaie locale de la dette publique ont assez bien fonctionné pendant la crise, alors que les marchés obligataires en monnaie locale des entreprises ont joué un rôle plus modeste de mécanisme de financement à plus long terme. Cela donne à penser que des réformes internes visant à réduire les frais d’émission, à améliorer l’obligation d’information, à améliorer les cadres juridiques des créanciers, et à lutter contre d’autres facteurs inhibiteurs, pourraient générer de forts rendements.
L’anxiété relative aux politiques monétaires non conventionnelles et à la « guerre des monnaies » ne doit pas continuer à dominer les débats politiques mondiaux, surtout suite au serment prononcé le mois dernier par les dirigeants du G20 à ne pas s’engager dans des dévaluations compétitives. Au lieu de cela, les dirigeants mondiaux devraient s’employer à augmenter les liquidités générées par les mesures non conventionnelles, afin de les utiliser pour soutenir les investissements à long terme des avoirs de production. Une telle approche est la seule façon d’asseoir la relance de l’économie mondiale sur une base durable.

Traduit de l’anglais par Stéphan Garnier.
© Project Syndicate, 2013.
Une grande part du battage médiatique autour du sommet du G-20 des ministres des Finances et des dirigeants des banques centrales, le mois dernier à Moscou, concernait la « guerre des monnaies », à propos de laquelle les autorités de certains pays en voie de développement ont accusé celles des pays développés de mener des politiques monétaires non conventionnelles. Mais une autre...

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