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À La Une - Liban - Social

Jeunes diplômés et marché libanais de l’emploi : « Je t’aime, moi non plus »

Ils sont des milliers, chaque année, à obtenir des diplômes universitaires qu’ils n’arrivent pas à « rentabiliser ». Le marché du travail au Liban est-il vraiment incapable d’absorber tous les jeunes diplômés ?

Le marché du travail au Liban est-il vraiment incapable d’absorber tous les jeunes diplômés ?  Photo Marc Mansour

« La taille et la structure de l’économie libanaise ont, de tout temps, été trop étroites par rapport aux aspirations des jeunes diplômés », explique Nassib Ghobril, économiste en chef à la Byblos Bank. Selon lui, les universités libanaises, publiques et privées produisent tous les ans un nombre de diplômés que le marché local est incapable d’absorber.
Même constat du côté du Lebanese Center for Policy Studies (LCPS) qui a publié une étude en novembre dernier sur les relations entre le secteur privé et les compétences requises des jeunes diplômés sur le marché de l’emploi. « La demande du secteur privé est peu axée sur les compétences et elle s’enferme de plus en plus dans un cercle vicieux, bloqué, qui allie salaires bas et faible productivité », souligne le rapport.


Les raisons de ce constat sont nombreuses : parmi elles sont citées l’incertitude macroéconomique, la corruption, la faiblesse des politiques publiques ou la déficience des infrastructures, « qui engendrent d’énormes coûts pour les entreprises, contraintes alors à faire des économies sur les salaires, aux dépens parfois de la productivité ». Et Nassib Ghobril de confirmer : « L’économie libanaise est basée sur la confiance du consommateur, de l’investisseur local, de l’investisseur expatrié et de l’investisseur étranger. Tant qu’il n’y aura pas de stabilité politique, il sera très difficile de s’extraire de cette stagnation et d’avancer. »


La conséquence directe de cette situation est tristement connue : le Liban affiche le taux d’émigration le plus élevé de la région chez les jeunes diplômés (plus de 8 %, selon un rapport de la Banque mondiale publié en 2011). Ceux qui ne partent pas accumulent souvent des emplois précaires ou pas adaptés à leur formation.
Une étude effectuée par l’Organisation internationale du travail (OIT) et citée par le Lebanon This Week de la Byblos Bank révèle que le taux de chômage chez les jeunes Libanais a été de 23,2 % en 2010, le neuvième plus élevé parmi les pays arabes. Par ailleurs, selon le LCPS, plus le niveau d’étude est avancé et plus le taux de chômage est élevé.

La faute à qui ?
Pour l’économiste Nassib Ghobril, le problème n’est cependant pas uniquement lié à la structure du marché de l’emploi, mais à une « attitude négative », comme il l’appelle, des jeunes fraîchement diplômés. « Ils n’ont aucune conscience de la réalité du marché du travail ou ne veulent pas s’y adapter », indique-t-il. « Les étudiants libanais, avant même d’avoir terminé leur diplôme, sont déjà devant les portes des ambassades pour demander un visa pour l’étranger ; ils sont programmés pour se dire qu’il n’y aura de toute façon pas de place pour eux dans ce pays », regrette M. Ghobril. Selon lui, aujourd’hui beaucoup d’entreprises cherchent à embaucher des jeunes qualifiés, « mais elles se heurtent systématiquement à des candidats qui ne savent pas faire un CV, préparer un entretien, qui n’ont aucune expérience et qui prétendent à un salaire qui ne leur correspond pas ». « Il faut qu’ils aient des expectatives réalistes car ailleurs ce n’est pas un eldorado ; aux États-Unis et en Europe, la crise est toujours là, et dans les pays du Golfe, les salaires sont peut-être plus élevés, mais le coût de la vie est également à prendre en compte et les jeunes salariés ne peuvent presque plus épargner », explique M. Ghobril.


« La faute est également à chercher du côté du système universitaire », poursuit l’économiste. Selon lui, il existe un grand décalage entre les formations qu’offrent les universités aux étudiants et les besoins réels du marché libanais. Et l’étude du LCPS de le confirmer : « Ce que recherchent en premier lieu les entreprises ne sont pas forcément des connaissances théoriques, mais plutôt un sens aigu du leadership et de l’analyse et des connaissances approfondies du web. »

Comment l’État peut-il réguler ce décalage ?
Pour Nassib Ghobril, « il serait naïf de penser qu’en mettant en place des réformes, tous les diplômés pourront trouver leur place sur le marché local du travail, mais il est possible d’améliorer la situation ». « En assurant tout d’abord une meilleure protection de la propriété intellectuelle, l’État pourrait attirer les industries créatives, de nombreux investissements directs étrangers et créer ainsi des opportunités de travail de qualité. » Il donne l’exemple de la Jordanie, « qui possède beaucoup moins de ressources humaines qu’au Liban et qui a réussi à devenir une plate-forme pour les sociétés étrangères en termes d’industries créatives ». « Le Liban gagnerait 320 millions de dollars par an en produit intérieur s’il existait une gestion transparente de la propriété intellectuelle », explique M. Ghobril. Selon lui, ce chiffre pourrait doubler avec une gestion plus efficace et à l’échelle des pays développés.


Des mesures concrètes sont cependant en train de voir le jour, grâce à un partenariat entre les secteurs privé et public. Le 28 novembre dernier, le Conseil des ministres approuvait un projet élaboré par la Banque mondiale (BM) qui sera géré par le Bureau national pour l’emploi et supervisé par le ministère du Travail. « Le programme “New entrants to work” (ou NEW) offre aux candidats sélectionnés une formation complète autour du marché du travail, des conseils pour bien préparer son CV, les entretiens et surtout un stage payé de six mois dans une entreprise privée », explique la coordinatrice du projet à la BM, Haneen el-Sayyed. Les organisations non gouvernementales (ONG), elles, auront la charge d’assurer les formations et de placer les jeunes dans les entreprises.


Ce projet pilote a reçu un don de 1,8 million de dollars de la part de la BM et l’État libanais y a investi six millions de dollars de son côté. « L’appel à candidature sera lancé dans un mois et demi environ et 1 600 jeunes retenus participeront à des formations professionnelles. Parmi eux, 800 auront la chance d’être embauchés dans des entreprises privées pendant six mois, avec un salaire et l’inscription à la Sécurité sociale », poursuit Mme el-Sayyed. Selon elle, la BM n’a eu aucun mal à convaincre le secteur privé de l’intérêt de ce projet, « surtout que l’État va prendre à sa charge les coûts de l’inscription à la Caisse nationale de Sécurité sociale ». Une initiative ambitieuse, à suivre de près dans les prochains mois.

 

 

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