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À La Une - En dents de scie

Nora Helmer n’a pas joué à la poupée

Avant, les poupées étaient presque difformes à force d’être asexuées. Les petites filles s’ennuyaient : elles se rêvaient déjà babygirls fatales, miniclones des Liz Taylor, des Jane Mansfield, des Claudia Cardinale, des Anouk Aimée, des Lauren Bacall, affolantes, affolant les garçons de l’école, nécessairement plus âgés. La machine à fantasmes, surtout à l’adolescence, doit carburer plus que jamais : elles voulaient (s’)habiller, (se) déshabiller, (se) maquiller, (se) coiffer ; elles détestaient presque cette doll miroir, lassante, figée et bécasse, has been à peine sortie de l’emballage ; elles ne supportaient plus ces potiches étalées dans des pubs pastel, ces desperate housewives polies jusqu’à l’os, frustrées jusqu’à la moelle, déambulant, parfaites vitrines, sur autant de Revolutionary Road mortifères. Ces petites filles haïssaient leurs seins qui ne grandissaient pas, leurs jambes trop grasses, leurs cheveux trop sages, leurs mains menottées. Il fallait une révolution copernicienne : Ruth Handler l’a initiée, inséminée, nourrie, et Barbie est née. La femme anamorphosait son image. La femme imposait ses contours. Timide. Un peu trop gentille. Mais fière. Exhibitionniste. Confiante. Le cordon ombilical avec les petites filles fonctionnait merveilleusement : elles et leurs Barbie vivaient en parfaite symbiose : je te pare comme j’aimerai être parée, I love you, you pay my rent. Jusqu’à ce que la vie les rattrape. Jusqu’à ce qu’elles prennent conscience que le combat de leur (si jeune) vie ne peut pas, ne doit pas se limiter à la seule urgence de ressembler à cette poupée qui est leur. Leur meilleure amie, leur fille, leur clone ? Les yeux d’Hegel auraient brillé : le rapport maîtresse-esclave s’inversait. La revanche du plastique finissait par devenir meurtrière : anorexie, boulimie, Barbie décapitées, placardisées, répudiées ; angoisses centuplées : je n’y arriverai jamais. Intifada. Mais le syndrome de Stockholm restait le plus fort : les petites filles, désormais ados rebelles, les reprenaient, les customisaient, les réinterprétaient. Pour leurs Barbie, il leur faudrait du rock, du trash, il leur faudrait des fêlures, des failles, il leur faudrait des couleurs, il leur faudrait des grosses, il leur faudrait des marquées par la vie, il leur faudrait des butches, lesbiennes convaincues avec leur femme, il leur faudrait des mammas siciliennes en devenir, il leur faudrait des Marie Curie, des Angela Merkel, des Beth Ditto, des Anne Sinclair, des Haifa Wehbé, des nerds, des easy riders, des banales, des divas déchues, des Malala, des banquières, des caissières de supermarché, des avocates, des secrétaires... Il leur faudrait toutes les Barbie du monde. Mais Mattel n’a toujours pas compris. Cinquante-quatre ans plus tard. Pas compris qu’il devrait (contribuer à) initier une deuxième révolution, un Printemps de la poupée, en espérant un jour l’avènement de cet indispensable Printemps de la femme dans le monde en général, certes, mais surtout dans les pays arabo-musulmans. Sûrement. Urgemment. Et quel autre aire de lancement idéale que ce Liban-Babel où les femmes, toutes les femmes, Libanaises de toutes les communautés, de toutes les classes socioculturelles et de tous les horizons ont déjà prouvé, mille et une fois, l’intelligence de leur synergie, l’intelligence de leur solidarité, l’intelligence de leur (comm)union ? D’autant qu’il n’y a pas de hasard : Barbie est née le 8 mars 1959. Douze ans plus tard, l’ONU décrétait ce 8 mars-là (qui n’a finalement pas que du mauvais...) Journée internationale de la femme. Voilà.

 

Voir aussi notre dossier Spécial Journée de la femme

Avant, les poupées étaient presque difformes à force d’être asexuées. Les petites filles s’ennuyaient : elles se rêvaient déjà babygirls fatales, miniclones des Liz Taylor, des Jane Mansfield, des Claudia Cardinale, des Anouk Aimée, des Lauren Bacall, affolantes, affolant les garçons de l’école, nécessairement plus âgés. La machine à fantasmes, surtout à l’adolescence,...

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