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À La Une - Grille des salaires

Liban : La colère gronde... L'Etat prend son temps

Plusieurs milliers de fonctionnaires et d’enseignants des deux secteurs public et privé, dont notamment des grands établissements privés du Grand-Beyrouth, ont répondu à l’appel du Comité de coordination syndicale qui a organisé hier une manifestation de masse devant le Grand Sérail.

« Affamer le peuple ! Atermoiements ! Se moquer de l’intelligence des gens », peut-on lire sur cette banderole, lors de la manifestation hier dans le centre-ville.  Photo Marwan Assaf

Neuvième jour de grève à l’appel du Comité de coordination syndicale (CCS), mais une journée pas comme les autres. Une journée marquée par une marche pacifique à laquelle ont participé plusieurs milliers de personnes d’horizons divers.
En effet, le comité avait lancé un appel à tous les enseignants des écoles privées et publiques pour une participation massive à la manifestation d’hier. Dès mardi soir, les professeurs des écoles privées, surtout, où la pression des parents et des administrations est très forte, se sont mobilisés afin d’encourager leurs collègues qui hésitaient encore à prendre part à l’action syndicale à franchir le pas et à se joindre au mouvement prévu hier. De fait, plusieurs écoles privées ont été forcées de renvoyer leurs élèves faute de professeurs.


Le Collège Notre-Dame de Jamhour, notamment, avait ouvert ses portes tôt hier matin comme à l’accoutumée, mais les enseignants ont refusé de dispenser les cours. Peu avant 10 heures, ils se sont rassemblés pour embarquer à bord d’un grand pullman afin de rejoindre la manifestation qui devait partir à 11h du secteur de Barbir, pour se diriger vers le Grand Sérail, dans le centre de Beyrouth. Dès le début de la matinée, et dans une atmosphère enthousiaste et fiévreuse, les enseignants se préparaient à la grande manifestation en concevant des banderoles sur lesquelles on pouvait lire, à l’intention du Premier ministre : « Dommage que Mikati n’ait rien appris de ses enseignants », « Mikati enlève tes boules Quies ». D’autres messages, aussi, plus généraux : « Le respect des droits des profs est un dû, pas une faveur », « Jusqu’à quand le mensonge, le pillage et le vol ? ».


Outre Jamhour, les enseignants de plusieurs écoles privées, dont certaines n’ont pas l’habitude de suivre le mouvement de grève, n’ont pas assuré les cours hier. C’était le cas, plus particulièrement, du Mont La Salle, du Collège Notre-Dame de Nazareth, de Champville, du Lycée dont les enseignants, ou du moins une partie d’entre eux, ont participé à la manifestation.

 

(Pour mémoire : Grève des enseignants : Au Liban, les parents d'élèves entre compréhension et frustration)

Des quatre coins du Liban
C’est donc dans cette atmosphère de mobilisation que des centaines de bus se sont dirigés vers Beyrouth dès le début de la matinée, venant des quatre coins du Liban : de Denniyé, de Tripoli, de Baalbeck, de Zahlé, du Chouf, de Nabatiyé, du Kesrouan et évidemment de Beyrouth... Presque toutes les écoles privées parallèlement aux écoles publiques et aux écoles techniques ont répondu ainsi présent à l’appel à la mobilisation généralisée. Même le Palais de justice s’est associé au mouvement, les juges s’étant solidarisés avec le Comité de coordination syndicale alors que les fonctionnaires se contentaient de gérer les tâches administratives.


De même, les fonctionnaires des ministères des Télécoms et des Finances (qui, normalement, selon la loi, n’ont pas le droit de participer à des grèves) se sont joints par la suite aux manifestants après avoir préparé au préalable des banderoles réclamant leurs droits. Une « nouveauté » a marqué la journée d’hier : la présence des élèves des classes secondaires du secteur public, venus pour se solidariser avec leurs professeurs.
Dans le même temps, des manifestations et des rassemblements étaient également signalés dans diverses régions périphériques.

Poursuivre l’escalade
À 11 heures précises, les grévistes qui s’étaient regroupés par milliers place Barbir entament, toutes catégories confondues, leur marche vers le Grand Sérail sous un soleil de plomb. Pour certains d’entre eux, c’est le neuvième jour de sit-in, mais ce n’est pas l’enthousiasme ni la volonté qui manquent. Les enseignants font connaissance et s’encouragent mutuellement en soulignant la nécessité de poursuivre l’escalade jusqu’à l’obtention de leurs droits.
D’autres groupes d’enseignants et de retraités sont déjà présents depuis dix heures aux portes du Grand Sérail, brandissant pancartes et drapeaux libanais sous le regard des gendarmes, des soldats et même des membres des forces spéciales, spécialement déployés pour l’occasion. Des fils barbelés séparent les grévistes, apparemment inoffensifs, des accès au Grand Sérail. De même que les ruelles menant à la place de l’Étoile sont fermées aux piétons.
Pour tous les participants à cette journée l’objectif n’a pas changé : faire pression sur le gouvernement de Nagib Mikati pour qu’il transmette au Parlement la nouvelle grille des salaires dans la fonction publique et chez les enseignants du secteur privé. Le cabinet refuse de transférer cette grille, adoptée en Conseil des ministres en septembre dernier, tant qu’il n’aura pas défini les moyens de la financer.

Une foule « unie pour la dignité et l’unité nationale »
Face à la foule compacte, le président du syndicat des enseignants des écoles privées, Nehmé Mahfoud, appelle Nagib Mikati à convoquer le Conseil des ministres pour une réunion extraordinaire « demain ou après-demain au plus tard » afin de transférer, en vue de son adoption, la nouvelle grille des salaires au Parlement. « Si la grille n’est pas avalisée, nous resterons dans la rue », affirme M. Mahfoud.


Prenant la parole à son tour, Hanna Gharib, président du Comité de coordination syndicale (CCS), salue la foule venue de tout le Liban, une foule « unie pour la dignité et l’unité nationale ». « Qu’ils écoutent bien cette foule qui descend dans la rue depuis neuf jours, déclare le leader syndical. Que le gouvernement écoute notre message car cette mobilisation n’est que le début de la révolte des affamés », lance-t-il aux manifestants.
S’adressant aux directeurs des établissements scolaires et aux parents d’élèves, il ajoute : « Préparez-vous à une bataille cruciale si la grille n’est pas transférée au Parlement cette semaine. En plus des enseignants, ce seront les élèves de tout le Liban, ainsi que les étudiants de l’Université libanaise et des autres universités qui descendront dans la rue. »


« Ne touchez pas aux droits des enseignants », poursuit-il, mettant en garde contre toute modification de la grille des salaires, telle qu’approuvée par le gouvernement. « Nous l’avons dit et nous le répétons : si la grille n’est pas adoptée, préparez-vous à une grève générale et globale dans tout le Liban, et pas seulement dans le secteur éducatif. Tout le peuple libanais sera invité à être solidaire du CCS face aux voleurs et aux corrompus », souligne encore Hanna Gharib.
S’adressant à Nagib Mikati, M. Gharib ajoute : « Nous sommes mobilisés pacifiquement et démocratiquement loin des divisions politiques. Rejoignez le peuple libanais. Vous êtes le Premier ministre du Liban, écoutez ce que le Liban a à dire. »

Sourde oreille
 Mais du côté du gouvernement, les responsables continuent de faire la sourde oreille et, surtout, de prendre tout leur temps pour envisager des solutions. Hier matin, le ministre de l’Économie, Nicolas Nahas, a ainsi critiqué le mouvement de grève. « Il n’est pas normal que le gouvernement adopte des mesures qui risquent de mettre l’économie libanaise en péril », a-t-il dit à la Voix du Liban (93.3 FM).


Au début de la séance du Conseil des ministres qui s’est tenue en début d’après-midi au Grand Sérail, le chef du gouvernement a invité les syndicalistes à « la patience », les appelant à ne pas recourir à l’escalade qui, selon lui, « ne mènera nulle part ».
« Personne ne s’oppose à la nouvelle grille des salaires, nous sommes en phase finale de l’évaluation des sources de son financement, a déclaré M. Mikati. Nous avons eu une série de réunions avec le Comité de coordination syndicale et nous lui avons expliqué la situation. Mais le comité a opté pour l’escalade dans la rue afin d’enregistrer un exploit médiatique immédiat », a affirmé le Premier ministre.


Quant au ministre des Finances, Mohammad Safadi, il avait déjà déclaré que « la situation économique ne permet pas » l’adoption de l’échelle des salaires. « Nous devons avant tout mettre en œuvre des réformes, car on ne peut pas avaliser la grille de telle sorte que le salaire minimum dans le public soit plus élevé que celui du secteur privé », a-t-il affirmé.
Il reste que les manifestants ne sont pas près de baisser les bras ni de se laisser abattre par les discours des ministres concernés. Ainsi, plusieurs établissements scolaires et des administrations publiques ont décidé de poursuivre la grève jusqu’à nouvel ordre et un bon nombre d’enseignants ont averti leur direction qu’ils ne seront pas présents aujourd’hui pour dispenser des cours. C’est donc avec une lueur d’espoir que les grévistes se sont dispersés à la fin de la journée en se lançant des « à demain » et en s’organisant pour la journée d’aujourd’hui.

 

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