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À La Une - Droits de l’homme

II- La peine de mort au Liban : des familles de victimes et un condamné témoignent

Le débat sur la peine de mort n’en finit pas de diviser l’opinion, les responsables et les experts au Liban (voir « L’Orient-Le Jour » du 25 février). Dans cette seconde partie de notre dossier, nous exposons les témoignages et points de vue des parents des victimes, d’un condamné à mort, et des autorités religieuses.

La jeune Myriam Achkar qui avait été tuée à Sahel Alma.

Généralement, la peine de mort est abolie à une époque où la criminalité est en baisse et, le plus souvent, dans un contexte marqué par une amélioration des conditions politiques, économiques et sociales dans un pays.


N’est-il pas irréaliste de lancer un mouvement contre la peine de mort au Liban, dans un pays où des individus sont tués presque tous les jours ? Un pays qui subit l’insécurité, la violence et l’impunité depuis belle lurette ? Que dire aux parents des victimes qui réclament « une justice juste » ? Que dire à la mère de Myriam Achkar, jeune fille de 28 ans, sauvagement assassinée par un ouvrier syrien qui avait tenté de la violer sur les marches d’un couvent où il travaillait comme gardien ? Ou encore au père de Roland Chbeir, un jeune homme de 22 ans retrouvé mort dans le coffre de sa voiture et tué de deux balles de fusil de chasse dans le dos ? Que répondre à la famille du commandant Bechaalany tué à Ersal ? Que le meilleur châtiment serait de « faire mourir sans souffrir, ou de faire souffrir sans mourir » ? Valse de questions au rythme desquelles les parents des victimes répondent en chœur : Que justice soit faite !


Pour Nabil Chbeir, le père de Roland, « la mort du coupable est une exigence de justice ». « Il est des crimes trop odieux pour que leurs auteurs puissent les expier autrement qu’au prix de leur vie, souligne-t-il. La mort et la souffrance des victimes, cet immense malheur, nécessitent une autre souffrance. Sinon, l’indignation et la colère suscitées dans la société par le crime ne se calmeront pas. Justice ne serait pas faite si à la mort de la victime ne répondait pas en écho la mort du coupable. Pour le meurtre de mon fils, je réclame une sanction dissuasive, qui diminuerait le risque de récidive criminelle, une juste rétribution : la peine de mort pour l’assassin de Roland (arrêté le 28 octobre 2012), un camarade qui avait assisté à ses funérailles, et l’avait pleuré en public. »


Nabil Chbeir propose aux Libanais un référendum sur la peine de mort avant de lancer : « Que la justice des hommes s’accomplisse sur terre ; celle de Dieu se fera dans l’au-delà. » Face à cette déclaration, force est de constater que la loi du Talion demeure parfois, aux yeux de certains, une loi nécessaire et unique pour la justice humaine. « L’élimination du meurtrier ne répare pas son crime, ne ressuscite pas notre fille », lance dans un poignant sanglot Vola Achkar, mère de la jeune Myriam, assassinée à Sahel Alma par l’ouvrier syrien. Arrêté, le meurtrier a été condamné par la cour d’assises pour meurtre avec préméditation et tentative de viol. Vola Achkar, chrétienne fervente, se dit « loin d’être aveuglée par l’idée de vengeance », mais « trouve insupportable l’impunité du crime ». « Le coupable, déclare-t-elle, doit indiscutablement expier ses fautes, assumer son crime, être sévèrement puni. Peine de mort, enfermement à perpétuité, le châtiment s’impose. C’est l’unique moyen pour rendre justice. Un hors-la-loi doit impérativement être mis hors d’état de nuire, de récidiver, de menacer notre sécurité, et celle de nos enfants. Une justice d’expiation et de dissuasion s’avère indispensable dans notre pays, où la situation devient de plus en plus grave et inquiétante. »


« Ce crime crapuleux concerne toute notre société, ajoute Vola Achkar. Il est grand temps que nos responsables prennent les choses sérieusement en main. Je déplore la violence, le manque de sécurité et le laxisme de l’État dans la protection de ses citoyens. Des milliers de personnes se réfugient au Liban, s’installent dans nos quartiers, et ne tardent pas à accroître le chaos sécuritaire. Si le Liban n’accueillait pas tous ces étrangers sans limites et réglementait le “flux” de main-d’œuvre étrangère illégale, peut-être que bon nombre de vies auraient été épargnées, moins de cœurs brisés et de familles déchirées », achève-t-elle les larmes aux yeux.

 

(Pour mémoire : La belle leçon de Badinter)

Encore vivants mais déjà enterrés
 Grâce à une autorisation spéciale accordée par le procureur général près la Cour de cassation, le juge Hatem Madi, il a été possible d’aller à la rencontre d’un condamné à Roumieh, qui a accepté de témoigner « dans le couloir de la mort ». Ce n’est pas N.M.F. (23 ans) qui parle derrière les barreaux, à travers l’interphone. C’est un condamné à mort, coupable de meurtre et de vol à Saïda, qui erre dans le couloir de la mort, qui crie. Un cri de vérité sur la « justice » des hommes. Sur le lent processus qui fait que des êtres humains attendent l’issue fatale entre quatre murs. Sur un système qui tue à petit feu. Sur la violence au quotidien, qui fait mourir avant l’exécution de la peine. Le couloir de la mort, c’est le seul avenir d’un jeune homme qui a en vain tenté plus de cinq fois de se suicider. Un homme qui a aussi beaucoup de rêves, mais peu de chance de les réaliser. N.M.F n’excuse pas les criminels. Il reconnaît que « lui et certains hommes méritent d’être punis, mis à l’écart de la société et des personnes auxquelles ils ont fait du mal. Mais de là à être condamnés à mort ? ».


La question s’impose : éprouves-tu des remords ? « Quand j’y pense, je deviens fou, souligne-t-il. J’ai tout foutu en l’air. Sous l’effet de l’alcool, j’ai assené plusieurs coups de couteau à ma victime pour la voler, et venir en aide à mes parents dans la misère. Deux heures plus tard, j’ai été arrêté. J’ai tué, détruit une famille, qui désormais va vivre orpheline. J’ai brisé le cœur de ma mère qui ne me le pardonnera jamais. Savoir que je suis responsable de tout ça me met en colère. Non pas parce que je suis dans le couloir de la mort à attendre une mort certaine, mais parce que je suis cet être humain capable d’une telle monstruosité », s’exclame-t-il.


Le jeune homme considère quand même qu’il aurait pu être mieux défendu durant son procès. « Faute de moyens financiers, ma défense avait été assurée par un avocat désigné par l’ordre, indique-t-il. La procédure était trop rapide, expéditive, politisée même. Si j’avais bénéficié d’un procès équitable, j’aurais peut-être écopé d’une simple peine de prison. »


À la question de savoir s’il a bénéficié d’un quelconque soutien depuis son emprisonnement, il répond : « Complètement démunis, mes parents n’ont même pas les moyens de venir au Liban pour me rendre visite. Je dois me contenter occasionnellement d’un appel téléphonique, dû à la générosité d’un codétenu. Psychologiquement, affectivement, il n’y a que le désespoir : la machine à broyer l’homme prend ici impitoyablement le pas. »
Derrière les barreaux, N.M.F. dit avoir « réalisé ce que “liberté” voulait dire ». « Elle m’a filé entre les doigts : j’ai compris sa valeur, déclare le condamné. Sans aucun espoir de libération, de lendemains, je préfère en finir une fois pour toutes, au lieu de crever à petit feu. La dureté des conditions de détention, la durée excessive de l’enfermement et l’angoisse de vivre sous le coup d’une condamnation à mort sont autant de raisons de souffrance, de sentiments d’impuissance et de révolte. Des phases de dépression et d’occasionnels espoirs, de confusion mentale, de somnolence ou d’agressivité, voire de folie, de peur, nous envahissent. Une peur dévastatrice qu’on nous impose pendant des mois ou des années, encore plus terrible que la mort », ajoute-t-il.


Sur les conditions de sa détention, le jeune homme affirme que « les condamnés à mort, une soixantaine, sont détenus avec les autres ». « Le principal problème de surpopulation engendre d’énormes difficultés, précise-t-il. Les personnes en détention préventive subissent les lenteurs de la justice, attendent leur procès ou parfois leur acquittement pendant des périodes allant de plusieurs mois à plusieurs années. Cela engendre évidemment des problèmes d’hygiène, de manque de matelas, de couvertures, d’installations sanitaires. La prise en charge médicale est insuffisante. Les cellules sont mal ventilées, mal chauffées. Il est évident que le côté humain est négligé au profit de la gestion des problèmes sécuritaires plus immédiats. Le risque de règlements de comptes, de menaces de mort et de crimes existe à l’intérieur même de ces murs. Les visites se déroulent dans des conditions humiliantes tant pour les prisonniers que pour leurs familles, puisqu’elles sont collectives, dans un couloir séparé en deux par un vitrage et des grilles, à travers un interphone. »
Si tu as l’opportunité de changer quelque chose à ta vie, que ferais-tu ? « J’entreprendrais des études, répond N.M.F. J’aurai pu aller sûrement plus loin avec un diplôme qu’avec un casier judiciaire. Mais la vie ne m’a pas fait de cadeaux. Elle n’a jamais été facile pour moi. À 10 ans, j’étais tenu de travailler pour survivre. »
Et d’ajouter : « Quand je regarde le ciel à travers la petite fenêtre de ma cellule, je rêve d’aller loin, très loin d’une pauvreté qui a ravi mon enfance, d’une misère qui a volé mes illusions et m’a conduit en prison. Je referais ma vie, une nouvelle vie “clean” dans l’anonymat. J’ai tellement honte. »


Selon lui, « la prison à perpétuité est un châtiment plus cruel que l’exécution capitale. Je préfère la mort ».

 

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La peine de mort, une justice qui assassine ?

 

Généralement, la peine de mort est abolie à une époque où la criminalité est en baisse et, le plus souvent, dans un contexte marqué par une amélioration des conditions politiques, économiques et sociales dans un pays.
N’est-il pas irréaliste de lancer un mouvement contre la peine de mort au Liban, dans un pays où des individus sont tués presque tous les jours ? Un pays qui subit...

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