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À La Une - Droits de l’homme

La peine de mort, une justice qui assassine ?

La peine de mort reste l’un des plus anciens châtiments de l’humanité. Elle suscite les débats et soulève les passions. Partisans ou adversaires, efficace ou non, légale ou pas, la controverse provoque des réactions impulsives et des arguments rationnels qui divisent l’opinion publique, au Liban plus qu’ailleurs.

Le Liban fait partie des 58 États qui appliquent toujours la peine capitale, en dépit des pressions exercées sur lui par l’Union européenne et les associations, locales et internationales, de défense des droits de l’homme pour l’abolir. Pas plus tard que mercredi dernier, le premier juge d’instruction militaire, Riad Abou Ghida, a requis la peine de mort contre l’ancien ministre Michel Samaha, accusé de planification d’actes terroristes et de transport d’explosifs.

 

Parallèlement, près d’une soixantaine de personnes attendent aujourd’hui dans « le sentier de la mort », mais sans que cela signifie qu’elles seront exécutées. Et pour cause : l’opportunité de cette sanction extrême divise, non seulement l’opinion publique, mais les officiels également. Chacun avance sa propre argumentation pour défendre son point de vue. Même les magistrats, contraints d’appliquer rigoureusement les lois, ne partagent pas les mêmes vues concernant le bien-fondé de la peine capitale. Certains, dit-on, n’hésitent pas à avoir recours à de véritables acrobaties juridiques pour essayer de ne pas rendre leurs verdicts sur base d’articles du code pénal prévoyant la peine de mort.


Face à l’insécurité qui règne au quotidien, les Libanais vivent avec la peur au ventre : peur d’être agressés dans la rue, d’être attaqués dans leurs maisons ou leurs commerces. Des enlèvements, des vols à l’arraché, des vols de voitures, des meurtres et des viols sont commis en plein jour. Les faits divers alimentent les conversations au cours desquelles beaucoup se prononcent pour la peine de mort, présentée comme étant une sanction dissuasive. Mais l’est-elle vraiment ? Rien n’est moins sûr, selon le ministre de la Justice, Chakib Cortbaoui. Au contraire, il s’agit bel et bien d’un outil d’intimidation, estime l’ancien ministre de la Justice Bahige Tabbarah.


Infligée à une personne reconnue coupable d’un crime passible d’une condamnation à mort, la peine capitale est, techniquement, une sanction pénale ordonnant la suppression de la vie d’un condamné. Au terme d’un procès, l’application et l’exécution sont menées par des fonctionnaires, en conformité avec les lois de l’Etat, qui s’autorise à mettre fin à l’existence d’une personne. En d’autres termes, qui s’octroie le droit de disposer du citoyen jusqu’à lui retirer la vie. Châtiment barbare, cruel, inhumain, ou moyen efficace « civilisé » de dissuasion, de prévention, de rendre justice ? Les réponses sont multiples. En 2004, alors que certains pays abolissaient la peine de mort, le Liban, lui, procédait à des exécutions capitales après cinq années d’un moratoire officieux, suscitant ainsi de fortes réprobations.


Depuis la proclamation de l’indépendance du Liban et la promulgation de la peine de mort en 1943 (article 43 du code pénal) jusqu’en 1983, une trentaine de personnes ont été condamnées à la peine capitale et exécutées. Il y a eu ensuite une sorte de moratoire qui a duré onze ans, jusqu’en 1994. À partir de cette date et jusqu’en 1998, ce châtiment devait de nouveau être appliqué. En quatre ans, 14 prisonniers l’ont subi. Puis de nouveau, les exécutions devaient cesser, notamment grâce à l’intervention du Premier ministre de l’époque Sélim Hoss qui, opposé à la peine capitale, refusait catégoriquement de signer les décrets d’exécution.


Rappelons qu’au Liban, toute condamnation à mort doit être approuvée à la fois par le président de la République, le Premier ministre et le ministre de la Justice. Aujourd’hui encore, Sélim Hoss exprime son opposition à cette mesure : « Toute condamnation à mort est un meurtre. Et je ne suis pas un meurtrier. La peine de mort étant contraire à mes convictions, j’ai refusé de signer tous les ordres d’exécution. Cette peine constitue une atteinte à la dignité humaine, et son application est une violation des droits de l’homme. Or, l’État a la responsabilité de protéger la vie des citoyens », déclare-t-il, avant d’ajouter : « Il y a d’ignobles assassins, dira-t-on, dont les actes sont épouvantables et qui méritent les châtiments les plus sévères. Mais cela ne justifie pas l’engagement du gouvernement dans un choquant bras de fer, dont l’enjeu est la vie d’un être humain. Tuer un être humain, fût-il même un assassin, c’est commettre le même crime pour lequel il a été condamné à mort. Certes, les criminels ne doivent en aucun cas rester impunis, mais il existe des peines très sévères, comme l’emprisonnement ferme à perpétuité, qui sont tant expiatoires que dissuasives. »

Le combat continue contre la peine de mort
Le Liban réussira-t-il à amender ses lois et à suivre la tendance mondiale abolitionniste ? À l’heure où les atteintes aux droits de l’homme et la criminalité ne cessent de croître, où les ingérences extérieures continues dans les affaires libanaises et la détérioration des relations communautaires font craindre une guerre civile, il y a lieu de se demander si ce débat est d’actualité. Ne plaidons-nous pas une cause perdue dans une société civile divisée et marquée par l’insécurité ?

 

(Pour mémoire : La belle leçon de Badinter)


« La société libanaise, à l’instar de bien d’autres, est partagée à ce niveau, souligne le ministre de la Justice, Chakib Cortbaoui. L’opinion publique n’est pas complètement libérée du tribalisme, ni de la loi du talion. Toutefois, un grand nombre de Libanais réclament l’abolition de la peine de mort, même s’ils restent minoritaires par rapport à leurs compatriotes favorables à cette peine. » À la question de savoir s’il était personnellement en faveur de la peine capitale, la réponse ne se fait pas attendre. « Qui suis-je pour signer un décret de mort, pour ôter la vie, don de Dieu, à un être humain ? Si, au nom de la justice, nous tuons un assassin, quelle différence y aura-t-il entre lui et nous ? » s’interroge-t-il. Albert Camus aurait dit : « Mais qu’est-ce donc l’exécution capitale sinon le plus prémédité des meurtres auquel aucun forfait criminel, si calculé soit-il, ne peut être comparé ? »


« En s’opposant à la peine capitale, poursuit le ministre de la Justice, je ne cherche en aucune façon à minimiser ou à excuser les crimes crapuleux, ni à nier la réalité des souffrances des familles, pour lesquelles j’éprouve la plus grande compassion. Mais du fait de son caractère irréversible et cruel, la peine de mort ne réduit pas le nombre de crimes, pas plus que l’abolition ne l’accroît. Au Liban, les exécutions, même publiques, n’ont pas été dissuasives parce qu’il a été établi que des meurtres ont été commis sur le sol libanais parfois quelques heures après une exécution. Les meurtres sont souvent commis sous l’influence de la drogue ou de l’alcool, lorsque l’émotion domine la raison. Quant à ceux qui commettent des crimes prémédités, ils pensent toujours pouvoir agir avec la conviction qu’ils ne se feront pas prendre. Aucune étude scientifique n’a d’ailleurs réussi à démontrer que le cadavre d’un condamné à mort a un effet dissuasif pour les délinquants. Pour un effet dissuasif, le châtiment le plus efficace serait que le coupable soit jugé, sévèrement puni et privé de sa liberté à vie : emprisonné dans des « prisons bien tenues » où l’on pourrait réformer l’individu, voire même le « remodeler » . Une peine ne doit plus seulement être intimidante, expiatoire, éliminatrice », insiste M. Cortbaoui.


Et le ministre d’attirer l’attention sur le fait que récemment, « le Conseil des ministres, en accord avec le ministre de l’Intérieur, a décidé de confier la gestion et l’administration des prisons au ministère de la Justice, qui se chargera avec des magistrats spécialisés et un personnel qualifié de s’acquitter de cette tâche peu facile ». « Par ailleurs, se demande-t-il, quel État pourrait prétendre que sa justice est parfaitement infaillible, à l’abri de toute erreur judiciaire ? Même dans un système juridique des plus stricts, il existe toujours la possibilité qu’un déni de justice aboutisse à l’exécution d’une personne innocente. Une justice parfaite n’est qu’à l’au-delà bien faite. »
Il y a lieu de rappeler dans ce contexte le cas d’Antoinette Chahine, une jeune Libanaise qui n’avait que 23 ans lorsqu’elle avait été arrêtée. C’était en 1994. Étudiante à l’Université libanaise, elle avait été mêlée malgré elle aux activités de son frère, impliqué dans un meurtre. Ce dernier ayant quitté le Liban, la police cherchait un coupable. Ce sera Antoinette, injustement condamnée à mort. Un verdict qu’elle avait accueilli en s’évanouissant. Quelques années plus tard, son procès inéquitable ayant été dénoncé, la jeune femme avait été finalement innocentée. Aujourd’hui encore, elle se bat pour que son histoire ne se répète plus. Car si Antoinette est libre aujourd’hui, elle n’oublie pas qu’elle a injustement perdu 5 années de sa vie.


Pour le ministre Cortbaoui, « la peine capitale reflète l’échec de la justice ». « L’État qui veut juguler la violence ne doit pas en faire preuve inutilement, souligne-t-il. Il doit au contraire s’intéresser à l’amélioration des conditions sociales, politiques et économiques de la population, principales sources de la délinquance, ainsi qu’aux conditions de réparation du préjudice subi par la victime ou ses proches. Je ne peux que souhaiter l’abolition juridique de la peine de mort », ajoute-t-il, avant d’avouer qu’il n’aimerait pas avoir à signer un arrêté de condamnation à mort. « Je ne le ferai certainement pas, et je n’hésiterai pas, si le cas se présente, à démissionner », insiste Chakib Cortbaoui.

Que prévoit la loi libanaise ?
Tout être humain a un droit inhérent à la vie et ce droit doit être légalement protégé. Mais ce droit n’est pas toujours inviolable. Le principe fondamental du droit international des droits de l’homme, selon lequel « nul ne devrait être arbitrairement privé de sa vie », sous-entend que les États peuvent supprimer une vie humaine s’ils respectent la loi et suivent les procédures. Ainsi, la peine capitale continue à être légale et pratiquée dans un certain nombre de pays.
« Au Liban, en vertu de la loi 302/1994 du code pénal, les homicides prémédités, la tentative d’homicide, la collaboration avec Israël, le terrorisme, les actes d’insurrection et de guerre civile sont autant de crimes passibles de la pendaison ou du peloton d’exécution », explique le juge Tannous Mechleb, président de la cour d’appel des délits.
Selon les lois libanaises, la peine capitale ne peut être prononcée que pour les crimes les plus graves, commis par des personnes âgées de plus de 18 ans. Elle ne peut être appliquée qu’en vertu d’un jugement définitif rendu par un tribunal compétent, civil ou militaire, conformément à la législation en vigueur au moment où le crime a été commis.
La sentence ne peut pas être appliquée les dimanches, les vendredis et les jours de fête nationale ou religieuse. Une femme enceinte ne peut être exécutée que 10 semaines après l’accouchement. Le mode d’exécution adopté au Liban est la pendaison ou le peloton d’exécution, pour les crimes militaires. Le juge Mechleb rappelle dans ce cadre que les décrets d’exécution au Liban sont signés sur base de l’avis de la commission de grâce, par le Premier ministre, le ministre de la Justice puis en dernier lieu par le président de la République.
Seul le chef de l’État a le pouvoir d’accorder une grâce à une personne, même si le Premier ministre et le ministre de la Justice ont la possibilité de bloquer le processus en refusant de signer. Partisan de la peine de mort, le juge Mechleb défend avec force ses arguments : « Il est primordial de respecter le droit des victimes et de protéger la société, à défaut de quoi, les familles des victimes se feront justice à elles-mêmes et se chargeront de défendre leurs propres droits par leur propres moyens, en appliquant la loi du talion » (œil pour œil, dent pour dent). Mais pour que « la peine capitale soit efficace et produise son effet dissuasif », le magistrat estime qu’il est « impératif que le délai entre le prononcé de la sentence et l’exécution soit rapproché, alors que le souvenir du crime est encore vif dans la mémoire de l’opinion publique. Les prisonniers ne devraient pas êtres exécutés après des durées de détention particulièrement longues », souligne-t-il.

Faire mourir : « outil d’intimidation »
« La police de la circulation menace d’une forte contravention le chauffeur qui gare sa voiture là où il est interdit de stationner. Elle réussit le plus souvent à lui faire peur. Il en est de même pour ceux qui émettent des chèques sans provision. Ces derniers seraient sans doute plus nombreux s’ils ne savaient pas qu’ils s’exposaient à de lourdes peines. Pourquoi alors la peine de mort, qui est pourtant la plus rigoureuse de toutes les peines, manquerait-elle son but ? » C’est en ces termes que l’ancien ministre de la Justice Bahige Tabbarah, un des signataires des décrets d’exécution de janvier 2004, argumente sa position en faveur de la peine de mort au Liban. Et d’ajouter: « Pourquoi tous les citoyens s’efforceraient-ils d’éviter une contravention, de peur de se voir imposer une amende pécuniaire, alors qu’aucun ne serait intimidé de se voir privé de la vie en commettant un meurtre ? »


En 1994, un crime crapuleux a été commis dans la région de Baalbeck où une mère et ses enfants avaient été tués pour motif de vol. Ce crime couronnait à l’époque une série de meurtres et d’attentats qui avaient ensanglanté le pays en 1993 et constitué un véritable cauchemar au sein de la société libanaise, notamment l’assassinat en plein jour du premier secrétaire de l’ambassade de Jordanie et l’attentat contre une église à Zouk. À l’époque, les meurtres avaient fait au total 265 victimes. Plus grave, relève le ministre Tabbarah, « le crime de Baalbeck avait suscité une émotion populaire telle que, selon les traditions tribales dans cette région, les familles des victimes et du jeune meurtrier s’étaient entendues pour appliquer la charia » (loi islamique). « En février 1994, l’auteur du crime a été ainsi jugé et exécuté par les tribus. Plusieurs personnalités parlementaires, politiques et autres avaient protesté contre la carence des procédures judiciaires et la trop grande indulgence des lois en vigueur. Ce qui, d’après eux, aurait poussé la population à se faire justice à elle-même », ajoute M. Tabbarah en expliquant que la loi n˚ 302 (abrogée actuellement) avait alors été promulguée « pour répondre à la vague d’indignation populaire, et en même temps pour protéger les magistrats, contraints à une sévérité excessive conformément au texte, d’une éventuelle réaction des familles des condamnés ». La loi n˚ 302-1994 prévoyait la peine capitale pour tout homicide volontaire, sans laisser aux tribunaux la possibilité de prendre en considération les circonstances atténuantes.

L’effet dissuasif
Le ministre Tabbarah évoque ensuite les statistiques concernant « l’effet dissuasif » de la peine de mort : « En 1993, le total des meurtres avait atteint un chiffre record de 275. Il est tombé à 137 en 1994, soit une baisse de 50% par rapport à l’année précédente après la promulgation de la loi. »


Qu’en déduire alors ? « Notre système judiciaire, avec les voies de recours qu’il offre aux inculpés et le droit de grâce dont peuvent bénéficier les condamnés à mort, présente autant de freins, de rectificatifs et de garde-fous contre toute possibilité d’erreur judiciaire », estime l’ancien ministre, soulignant qu’une législation, « surtout en matière criminelle, ne peut faire abstraction de la mentalité des gens auxquels elle est destinée ». M. Tabbarah confirme qu’une « loi ne saurait être trop “en avance” par rapport à la mentalité des gens, aux traditions, ni « très en retard » face à l’évolution de la société. « C’est la raison pour laquelle il n’existe pas de textes valables en tout lieu et pour tous les temps. Une illustration de cette vérité a été fournie par la peine de mort elle-même, qui fut plus d’une fois supprimée puis rétablie dans un même pays européen, avant d’être complètement abolie en Europe depuis quelques années », indique M. Tabbarah.


Est-ce à dire que l’abolition de la peine de mort représente un pas en avant réalisé par l’humanité dans sa marche vers le progrès ? « Je ne me hasarderai pas à émettre un jugement de valeur en cette matière, répond M. Tabbarah, pas plus d’ailleurs en d’autres matières du même genre. Tout ce que je peux me permettre de dire, c’est qu’il appartient à chaque pays d’adapter sa législation pour la mettre en conformité avec l’échelle des valeurs qui y prévaut, avec les impératifs de l’époque qu’il vit . Autant les nations sont en droit de promouvoir leurs propres valeurs, autant il est anormal, et même indécent, de les imposer aux autres comme étant des vérités sacrées », conclut M. Tabbarah.

 

Prochain article : Les victimes vs les meurtriers

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