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À La Une - CES JEUNES LIBANAIS DE LA DIASPORA QUI FONT PARLER D'EUX

Soraya Umewaka, briseuse de clichés, caméra au poing

La jeune Libano-japonaise a consacré son dernier documentaire au Liban.

Soraya Umewaka vient de terminer son dernier film documentaire "Tomorrow we will see", dans lequel elle a recueilli le témoignage d'une dizaine d'artistes libanais qui s'expriment sur l'art et la création dans un pays instable.

Quand le Proche rencontre l’Extrême-Orient, cela donne Soraya Umewaka. Une jeune réalisatrice libano-japonaise de 29 ans, qui explore l’humanité dans ses documentaires, aux quatre coins du monde, ou presque. Elle vient de terminer son dernier film, « Tomorrow we will see » (Bokra minchouf), un documentaire de 76 minutes dans lequel elle explore l'impact de l'instabilité chronique qui sévit au Liban sur le travail de dix artistes libanais.

 

Le Liban est d'abord le pays de sa mère, Madeleine Abdel Jalil. Un pays que cette dernière quitte à 15 ans, lorsque la guerre éclate en 1975. Originaire d'Achrafieh, Madeleine Abdel Jalil trouve refuge au Japon, où sa sœur a suivi son mari, un banquier japonais qu'elle at rencontré alors qu'il effectuait un voyage d’affaires au Liban.

 

C'est au Japon que Madeleine va rencontrer son mari, Naohiko Umewaka, gardien de la tradition du théâtre Nô.

De leur union naîtra une fille, Soraya et un garçon. A ces deux enfants, Naohiko Umewaka transmettra son art, sans aucune discrimination de sexe, alors que dans la famille Umewaka, la tradition du théâtre Nô se transmettait exclusivement de père en fils, et ce depuis 600 ans.

 

Soraya représente la 14e génération d'acteurs de théâtre Nô de la famille. Dès ces trois ans, elle commence à se produire sur la scène du théâtre national. Et même si sa dernière représentation remonte à plusieurs années, la jeune femme souhaite continuer à se produire. « Grâce à cette formation vraiment continue, une formation de toute une vie, j’ai affiné mon sens de l'observation des nuances, des subtilités et du symbolisme de l'expression figurant dans les arts », explique Soraya.

 

Soraya et son père, en costume de théâtre Nô.

 

Très proche de sa mère, Soraya porte en elle les deux cultures et sent qu’elle « peut s’adapter à beaucoup d’autres ». Son enfance marquée par de nombreux voyages au long cours n'est probablement pas étrangère à cette capacité d'adaptation.

 

Toute jeune déjà, Soraya chausse les bottes de sept lieues. Entre 7 et 11 ans, la voilà avec sa famille en Angleterre. Puis retour au Japon. Après le lycée, elle part aux Etats-unis étudier la politique comparée à l’Université de Princeton dans le New Jersey. Elle y décroche une bourse et se lance dans l'analyse de la manière dont la nature du gouvernement au Cambodge et au Laos affecte les enfants des rues. Elle filme tous ses entretiens.

En 2003, direction l’Afghanistan. Avec la petite caméra que son père lui a offerte, elle tourne « Afghanistan unveiled », un film sur les orphelins de guerre et l’influence des talibans sur les familles. A son retour à Princeton, elle réalise qu'elle a attrapé le virus du documentaire. « Cette expérience (en Afghanistan) a changé mes intérêts académiques et ma vision de la vie. »

 

En 2005, c'est au Liban, un pays où elle a passé quelques vacances d'été, qu'elle tourne. Elle y réalise un petit film de cinq minutes sur les enfants des rues.

 

De retour à Princeton, elle consacre sa troisième année d'étude à approfondir ses recherches documentaires sur l’enfance et la rue. Elle obtient une nouvelle bourse pour travailler comme stagiaire dans un centre pour les enfants des rues à Quito, en Equateur. « Street Witness » (témoin de la rue), récit de son expérience, sera projeté au Festival international du film de Miami, puis au Festival international du film documentaire de Belgrade. Soraya est lancée.

 

Son diplôme en poche, elle est la lauréate d’une nouvelle bourse qui lui permet de passer un an au Brésil dans une ONG. A Rio de Janeiro, elle rencontre les protagonistes de son nouveau film, des danseurs de samba, mais aussi des femmes de ménage, des policières, un artiste graffiti, un danseur de hip hop… « Je voulais faire un film sur les enfants des rues drogués mais c’était trop dangereux, explique-t-elle. Alors j’ai changé mes plans et je me suis penchée sur le talent et l’humanité qui existent dans les favelas. Lors du tournage, je ne me suis pas focalisée sur le bonheur. C’est au montage que le film m’est apparu plus puissant centré sur cette notion ». Le résultat, « Eu Sou Feliz » (Je suis heureux) a été présenté dans de nombreux festivals.

 

 

La bande-annonce de "Eu Sou Feliz"

 

Soraya fait ses films toute seule, de A à Z. Avec sa caméra, elle tente de casser les préjugés et les clichés, et de mettre en lumière l’humanité où qu’elle soit.

Les préjugés, Soraya connaît bien, en tant que Libano-japonaise, elle en est souvent victime. « Au Japon, au premier abord, les gens me prennent pour une Sud-asiatique ou une Latino. Ils ne peuvent deviner que je suis à moitié libanaise. Au Liban, on me prend pour une domestique philippine. Cette culture de "la bonne" qui existe au Liban me révolte. Ce sera peut être le thème d’un prochain film, » glisse-t-elle.

 

Pour trouver ses sujets, la jeune femme s'inspire de ce qui est dit dans les medias mainstream, puis cherche un angle différent. « Pour le Liban par exemple, on entend constamment parler de terrorisme et de fanatisme religieux, alors je me suis concentrée sur l’art et la créativité. »

 

Dans son dernier documentaire « Bokra minchouf », Soraya s’intéresse donc aux artistes libanais et à l’incertitude. Des architectes, un poète, un peintre, une illustratrice, un chanteur, une chorégraphe, une comédienne, représentant autant de disciplines artistiques, d’âges, de confessions et de classes socio-économiques, évoquent face à la caméra la manière dont l’instabilité chronique du pays affecte leur créativité. « Ils sont tous très talentueux et critiques vis-à-vis des divisions du pays. » Son film a bénéficié d’une bourse dans le cadre du programme libanais Bader pour les jeunes entrepreneurs et a été produit par sa mère.

 

Soraya Umewaka, accompagnée de sa mère, lors du festival du National Geographic à Washington DC. 

 

La première du film a eu lieu à Washington en septembre 2012, lors du festival du National Geographic. Et il semblerait que la jeune réalisatrice ait atteint son objectif, briser les clichés. « Une Libanaise d’Australie présente dans le public et ayant fui la guerre s’était promis de ne jamais remettre les pieds au Liban. Après avoir vu le film, elle a changé d’avis et a décidé d’y retourner, rapporte Soraya. Une autre personne d'origine libanaise, présente dans la salle, m’a dit que dans l’esprit des gens, elle était toujours associée aux attentats du 11 septembre, alors ça lui a fait du bien de voir la beauté du Liban. »

 

Bande-annonce du film "Tomorrow we will see" 

 

 

Le film va maintenant voyager avec Soraya au gré des festivals, dans le monde entier. Et qui sait, peut-être sera-t-il projeté au Liban en avril prochain, lors des Docudays, le festival du film documentaire de Beyrouth ? C’est en tout cas ce qu’espère Soraya. En attendant, la jeune femme planche déjà sur un nouveau film, sur le Japon cette fois.

 

 

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