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À La Une - Vatican

Benoît XVI et les « signes des temps »

Un artiste travaillant sur un portrait du pape. Photo AFP

Un pape qui renonce à sa charge est un événement suffisamment grave pour mériter que l’on s’arrête longuement sur sa portée. Tout occupés à saluer le « courage » de Benoît XVI et sa « modernité », dirigeants politiques et médias occidentaux n’ont pas pris la pleine mesure de ce geste lourd, très lourd de signification pour le monde dans lequel nous vivons. L’ensemble des réactions s’est focalisé sur l’état de santé de Benoît XVI, le précédent qu’il vient de créer dans l’histoire du Saint-Siège, et la suite, c’est-à-dire l’élection de son successeur. Personne ne se demande quelle est la responsabilité du monde, de ses dirigeants et de ses élites (classe politique, médecins et chercheurs scientifiques, intellectuels et médias notamment, pour ne pas parler des intrigues de cour au sein du Vatican) dans la lassitude, très visible, du souverain pontife, et dans ce qui peut être perçu, par beaucoup de fidèles, comme un abandon de poste.

 

Dans une société pressée, qui consomme l’information pour l’oublier aussitôt, il serait bon, avant de passer à autre chose (autrement dit un nouveau pape), de prendre la mesure des événements et d’essayer de lire, dans la décision de Benoît XVI, les « signes des temps », en cette période de carême qu’il a choisie pour annoncer son retrait.

 

(Portrait : Le pape théologien confronté aux scandales de l’Église)


La surprenante annonce du souverain pontife, considéré comme le vicaire du Christ sur terre, est certes, dans la forme, un acte de liberté et de vérité, deux principes qui lui sont chers. Mais sur le fond ? Un pape ne démissionne pas, comme le ferait le PDG d’une entreprise ou un responsable politique (encore que rarement a-t-on vu partir de leur plein gré ceux-là mêmes qui devraient le faire). À qui remettrait-il sa démission ? Au Bon Dieu qui lui a confié son troupeau ? Le successeur de Pierre n’est-il pas le « Saint-Père », le pasteur ? Un père abandonne-t-il ses enfants, un pasteur ses brebis, uniquement parce que « la vigueur du corps et de l’esprit s’est amoindrie » en lui ? Or, Benoît XVI, en théologien précis, a pesé ses mots, étudié sa sortie et en a clairement formulé les termes, lui qui a si bien médité le mystère du Logos et prêché « la culture de la parole ». Le verbe « renoncer » est brutal, direct. C’est pourtant le seul verbe auquel peut recourir un pape qui abandonne sa charge pontificale. En langage moderne, cela équivaut à « jeter l’éponge ».


Mais à quoi donc a renoncé ce pape pourtant inébranlable dans ses convictions et ses orientations, qui a pris le risque de l’impopularité en choisissant d’être le gardien inflexible du dogme, contre tous les vents libertaires qui soufflent sur le monde ? À sa mission, tout simplement. Non pas celle, générale, liée à sa qualité de chef de l’Église catholique apostolique, mais celle, plus précise, centrée, ciblée, qu’il s’était fixée au moment où il avait choisi son nom, après son élection, celui de saint Benoît, patron de l’Europe, fondateur de l’ordre bénédictin et du monachisme occidental, qui a eu une influence majeure sur la civilisation européenne médiévale. En ce faisant, Benoît XVI annonçait son programme : la réévangélisation d’une Europe en rupture avec sa culture chrétienne. Il n’a pas hésité à cet effet à créer un Conseil pontifical pour la nouvelle évangélisation dont il a renforcé les compétences récemment encore, en janvier 2013. Et ce n’est pas un hasard si le dernier synode à Rome, en octobre 2012, portait sur la « nouvelle évangélisation ».


Cette lourde tâche, à laquelle s’était astreint également Jean-Paul II avant lui, meurtri par le refus des rédacteurs de la Constitution européenne de reconnaître les « racines chrétiennes » du Vieux Continent, s’est donc, jusqu’à nouvel ordre, avérée une mission impossible. Le pape théologien s’est heurté à une sécularisation poussée des sociétés européennes, dont le corollaire est l’indifférence religieuse.

 

(Lire aussi: Le processus d’élection d’un nouveau souverain pontife)


Mais est-ce bien de l’indifférence ou plutôt une résistance passive qu’opposent les sociétés occidentales à un message qui les dérange ? En voulant recentrer son ministère pétrinien sur l’essentiel, c’est-à-dire la foi, qui est le chemin vers la vérité, et une pratique religieuse conséquente, en rappelant que l’amour sans vérité « devient une coque vide susceptible d’être remplie arbitrairement » au gré du relativisme ambiant (Caritas in veritate), Benoît XVI a été porteur d’une exigence spirituelle et culturelle à laquelle le monde moderne semble réfractaire. En effet, l’homme « postchrétien » d’aujourd’hui voudrait une religion façonnée à son image, en conformité avec ses désirs et représentée par un pape « cool ». Ne plus faire d’efforts pour être en phase avec les exigences de la religion, mais modeler une religion en phase avec les exigences de l’individualisme, d’une sexualité libre à tout-va et d’un relativisme accommodant l’égoïsme de l’homme moderne.


Remise en cause de la conception traditionnelle de la famille, inscrite dans la nature humaine depuis l’aube des temps et commune à toutes les religions, vote du « mariage gay », apparition de la théorie du genre pour remplacer la différence des sexes, nouveaux défis de la bioéthique et procréation assistée : la société occidentale est en proie à une mutation radicale, qui touche aux réalités anthropologiques et non plus seulement aux croyances religieuses. Aux yeux de Benoît XVI, l’humanisme occidental qui exclut Dieu, qui se détourne de toute transcendance, et qui se concentre sur la seule notion des droits sexuels à tous crins, est un humanisme qui détruit l’homme. Or, la rupture du lien avec Dieu menace l’homme dans sa propre humanité. « C’est l’oubli de Dieu et non pas sa glorification qui engendre la violence », a-t-il répété en janvier, devant les ambassadeurs accrédités auprès du Saint-Siège.


Que l’on approuve ou pas son geste inédit et « démissionnaire », et quelle qu’en soit la cause directe, « l’humble ouvrier dans la vigne du Seigneur » a posé ses outils de travail et a choisi de se retirer dans la prière et la méditation, après s’être confronté douloureusement à l’arrogance de l’homme moderne, qui croit se substituer à Dieu. D’un côté, l’homme qui se veut « areligieux », imbus de science et des avancées de la technologie médicale et de la génétique, cède à la tentation de jouer au démiurge, créateur d’une nouvelle humanité, déshumanisée, où la vie et la mort seraient décrétées sur ordonnance. De l’autre, l’homme qui se dit « religieux » prétend parler et surtout châtier au nom de Dieu, d’Allah ou d’une révélation qui lui est propre. Véritable défi que représente, pour la génération actuelle, ces « deux pôles que sont, d’un côté, l’arbitraire subjectif, de l’autre, le fanatisme fondamentaliste », pour reprendre les termes de Benoît XVI.

 

(Lire aussi : Jean Paul II, Benoît XVI : deux papes, deux décisions)


Dans son combat culturel et spirituel contre le matérialisme, le relativisme moral, l’individualisme et la perte de sens, mais aussi contre l’extrémisme sous toutes ses formes, le pape théologien s’est fait l’avocat passionné de l’alliance entre la foi et la raison. La foi sans la raison serait de l’illuminisme, la raison sans la foi serait du positivisme, où la science est tout et le souci de l’éthique absent. Dans une conférence remarquable devant le monde de la culture, au Collège des Bernardins à Paris (12 septembre 2008), il rappelle les fondamentaux de la culture européenne (culture du travail et de la parole, ora et labora, les deux préceptes du monachisme) et il met en garde l’homme moderne contre la tentation de se prendre pour Dieu lui-même : « Le travail et la détermination de l’histoire par l’homme sont une collaboration avec le Créateur, qui ont en Lui leur mesure. Là où cette mesure vient à manquer et là où l’homme s’élève lui-même au rang de créateur déiforme, la transformation du monde peut facilement aboutir à sa destruction. »


Benoît XVI s’est exprimé et a poursuivi sa route. Le pape « conservateur » a eu des accents prophétiques dans ses écrits, or les prophètes ont toujours été perçus comme étrangers à leur temps. Le successeur de saint Pierre a-t-il pour autant le droit de renoncer à veiller sur les brebis qui lui ont été confiées ? S’agit-il purement d’un choix « moderne », celui de se retirer à temps, avant le déclin des forces physiques et mentales ? Ne faut-il pas lire aussi, dans le désistement de Benoît XVI, un signal d’alarme qui doit nous alerter sur les dérives de ce monde, les dangers qui guettent une humanité livrée à la violence, au sexe et à l’argent, et les « fautes contre l’unité de l’Église et les divisions du corps ecclésial », qu’il évoquait encore le mercredi des Cendres ?


Qui a dit que le pape devait seul porter le fardeau des âmes et le salut du monde ? Cette responsabilité n’est-elle pas aussi celle de tous les hommes, de chacun, chaque jour, à son propre échelon ? Plus que jamais, l’humanité a besoin de retrouver l’espérance, cette vertu théologale. Et pour cela, réapprendre, avec humilité, à s’incliner devant son Créateur.

 

 

Dossier

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