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À La Une - L’éditorial de Issa GORAIEB

Démocratie maison

Faut-il s’en féliciter ou en pleurer ? Notre belle démocratie, celle-là même qui nous a tant servi à regarder de haut les sociétés arabes environnantes, c’est, tout compte fait, de la pâte à modeler.

 

Malléable, façonnable, elle s’adapte en effet à n’importe quelle circonstance, elle peut être accommodée à toutes les sauces. Elle a en somme les qualités et les défauts de ce citoyen libanais tout à la fois exigeant et incroyablement résigné, un citoyen acceptant par exemple de se voir privé de courant électrique par une longue lignée de ministres corrompus, pourvu seulement qu’il puisse continuer de se fournir auprès du générateur de quartier...


À sa fruste manière, la démocratie à la libanaise est une des plus innovantes du genre. Elle a vu des Premiers ministres en désaccord avec le chef de l’État entrer en bouderie et se calfeutrer durant des mois chez eux, sans se décider pour autant à rendre leur tablier. Au sortir de la guerre de 1975/90, elle a produit des députés non point élus mais platement désignés sous la jalouse supervision de la puissance occupante.

 

Elle a secrété une troïka présidentielle congénitalement vouée à la paralysie, ce qui requérait en permanence l’arbitrage du même occupant. Et on lui doit l’hérésie des ministres dits opposants, en ce sens qu’ils avaient toute latitude de contrecarrer, du dedans, les initiatives de leur propre gouvernement, sans faire cas de la règle de la solidarité ministérielle.


En matière d’élections, notre démocratie n’est guère plus reluisante. Depuis l’indépendance, l’argent coulant à flots sans le moindre contrôle a souvent parlé plus fort que la volonté populaire. Et le chantage aux armes miliciennes aidant, une majorité élue s’est vue qualifiée de fictive par les vaincus. C’est aujourd’hui cependant qu’aberration et inconséquence sont à leur comble : ce qui, après tout, est paradoxalement normal, à l’ombre d’un gouvernement qui se dit neutre face aux événements de Syrie, mais dont la principale composante guerroie ouvertement aux côtés des forces de Bachar el-Assad.


Le projet de loi électorale approuvé hier par les commissions parlementaires, et qui pourrait faire l’objet de plus d’une requête en invalidation, n’échappe pas au délire ambiant. Sous prétexte de réparer une injustice effective et déjà vieille, à savoir la représentation peu fidèle des chrétiens à l’Assemblée, il verse dans la supercherie, le sacrilège et l’hypocrisie.


• La supercherie consiste à faire accroire que l’on aurait réglé le problème en portant chacune des communautés religieuses libanaises à élire exclusivement ses propres députés, et cela en base d’un scrutin proportionnel à circonscription unique. Or on n’aurait fait en réalité que privilégier les blocs constitués et laminer les candidats indépendants. Cette communauté d’intérêts étroitement partisans est parfaitement illustrée d’ailleurs par les surprenantes retrouvailles intervenues, autour de ce texte, entre les trois principales formations chrétiennes du pays. Le contrecoup en est l’affront ainsi fait au premier des chrétiens, le président Michel Sleiman, qui s’était déclaré irréductiblement opposé au projet dit orthodoxe. Non moins regrettable est la fragilisation qui risque de frapper le sunnisme modéré incarné par le courant du Futur, qui a déjà fort à faire pour contenir les mouvances salafistes. Il en va de même, au demeurant, pour le leadership d’un Walid Joumblatt dont l’audience électorale a traditionnellement transcendé les barrières communautaires.


• Le sacrilège, c’est bien entendu l’atteinte portée à la philosophie même du système démocratique – lequel fait de tout élu le député de la nation – mais aussi, et surtout, à l’essence même du Liban.


• Hypocrite, le projet l’est enfin parce qu’il tend à consacrer formellement le Liban en tant que confédération de communautés libanaises, mais sans aller jusqu’à briser les vieux tabous. Sans aborder le complément logique, l’incontournable pilier d’un tel concept : à savoir une décentralisation géographique répondant aux particularismes socioculturels des diverses régions libanaises. Il n’est pires desseins que ceux qui n’osent décliner leur nom.

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

Faut-il s’en féliciter ou en pleurer ? Notre belle démocratie, celle-là même qui nous a tant servi à regarder de haut les sociétés arabes environnantes, c’est, tout compte fait, de la pâte à modeler.
 
Malléable, façonnable, elle s’adapte en effet à n’importe quelle circonstance, elle peut être accommodée à toutes les sauces. Elle a en somme les qualités et les défauts...

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