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À La Une - Criminalité

A Montréal, un pâtissier franco-libanais face à la pègre

Un pâtissier franco-libanais venu chercher amour et fortune à Montréal s’est acheté un gilet pare-balles, a embauché un garde du corps et installé huit caméras de sécurité au-dessus de ses vitrines pleines de croissants et sablés : il avait refusé de payer la « taxe de sécurité » demandée par la criminalité organisée.

De Gaulle Hélou posant dans sa pâtisserie à Montréal. Photo Michel Viatteau/AFP

À côté de la « grande corruption » impliquant entreprises, partis politiques et mafieux, dévoilée depuis des mois par une commission d’enquête, il existe au Québec une zone d’ombre de même nature qui touche les petits commerçants et artisans. Ce sont de petites histoires de milliers et non plus de millions de dollars, de petits « soldats » de la pègre, de coups de barre de fer plutôt que de coups de revolver. On n’en parle presque pas. Est-ce son prénom peu ordinaire – De Gaulle, choisi par son père, grand admirateur du général français – qui le pousse à affronter la pègre montréalaise ? Le pâtissier franco-libanais De Gaulle Hélou a été menacé, agressé, les pneus de sa voiture crevés. Tout a débuté en France où il réussit comme pâtissier, jusqu’au moment où, pour suivre une Québécoise, il franchit l’Atlantique en 2006. Bientôt, il reprend un magasin franchisé rue Saint-Sauveur, dans un quartier branché de Montréal.


Après quelques mois, d’étranges surprises commencent, raconte-t-il. On lui présente de fausses factures pour des travaux jamais effectués. Il refuse alors de les payer. « Je ne savais pas que c’étaient des voyous et que les pâtisseries servaient à blanchir de l’argent », pense-t-il aujourd’hui. Alors, le détenteur de la franchise lui propose de reprendre un autre magasin dans un centre commercial. Hélou accepte, signe un autre contrat et s’endette. Mais il voit un huissier débarquer pour le compte d’une banque : le propriétaire de ses deux franchises en a vendu une autre – pour le même magasin – à un inconnu qui a pris un gros crédit avant de disparaître. De Gaulle parvient néanmoins à s’en sortir et continue à travailler pour son propre compte. Il n’empêche, il fait faillite en 2009, rattrapé par des dettes qu’il impute, encore, au propriétaire de son ancienne franchise, un Italien proche de la mafia, selon les médias canadiens. Finalement, une Québécoise l’aide à rebondir et Hélou devient son associé.


C’est alors que qu’en avril 2010, deux hommes noirs l’attaquent à l’ouverture du magasin, le frappent avec un démonte-pneu puis partent sans rien demander. Puis les pneus de sa voiture sont crevés et les vitres du magasin cassées. La police lui conseille de cesser d’être « paranoïaque ». Mais il ne compte pas en rester là. Il renvoie ses trois enfants à Paris, achète un gilet pare-balles, installe un dispositif de sécurité dans sa pâtisserie. Les commerçants du quartier, quant à eux, lui conseillent de verser la « taxe de protection » dite « pizzo ». « Tu paies les boys et tu es tranquille », lui lance-t-on.

 

La pâtisserie de De Gaulle Helou, rue Saint-Sauveur, dans un quartier branché de Montréal. AFP PHOTO / Michel VIATTEAU

 


Dans ce melting-pot de nationalités qu’est le Canada, la mafia est d’origine italienne, haïtienne, canadienne, plus rarement russe ou irlandaise. Selon un livre Mafia Inc. écrit par deux experts, André Noël et André Cédilot, 600 commerçants de la ville environ acceptent de payer le « pizzo ». Pour le professeur à l’Ecole de criminologie de l’Université de Montréal, Carlo Morselli, ce chiffre est intéressant, mais difficile à confirmer. « Je ne sais pas par quelle méthodologie ils y sont arrivés », observe-t-il. En fait, dit-il, « la mafia est une industrie de protection ». Des tenanciers de bar paient pour un service réel : « La sécurité s’améliore, il y a moins de vols. Et la clientèle augmente. »
Mais ce n’est pas le choix de De Gaulle Hélou. Et entre-temps, les médias s’intéressent à lui. Le présentateur de l’émission « Enquête » de Radio-Canada, Alain Gravel, souligne encore aujourd’hui le courage de De Gaulle, qui avait accepté de parler devant la caméra, alors que deux autres franchisés, rencontrant des problèmes similaires, ont préféré se taire. Maintenant que la presse s’est penchée sur son cas, la police est plus diligente. Des inconnus viennent à nouveau et demandent au pâtissier de « payer sa protection ». La police l’incite à leur tendre un piège.


De cette façon, cinq « simples soldats » sont arrêtés en avril 2011. Mais il en assez et décide, bon gré mal gré, de rentrer à Paris et n’attend plus que de vendre le magasin. « En France, jamais des gens ne sont venus me demander de l’argent », explique-t-il excédé. « Au Québec, la justice n’est pas assez sévère avec les voyous, elle les tolère », rumine-t-il encore.

 

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