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À La Une - Éclairage

Le choix de la loi électorale et l’humeur sunnite

Les chrétiens ont beau être mis en avant aussi bien par le courant du Futur que par le Hezbollah, nul n’ignore que la véritable bataille sur le projet de loi électorale se joue en réalité ailleurs, sur la scène sunnite en particulier. En effet, en dépit des déclarations visant à mobiliser l’opinion publique, les instituts de sondage estiment qu’en gros, les rapports de force au sein de la communauté chrétienne, de la communauté druze et de la communauté chiite n’ont pas vraiment changé depuis 2009. C’est, par contre, la scène sunnite qui serait en plein changement, notamment en raison de la montée en puissance des forces islamistes à la faveur des changements dans le monde arabe. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le courant du Futur est la formation libanaise la plus hostile au mode de scrutin proportionnel, mais aussi au projet de loi dit grec-orthodoxe, les deux formules étant de nature à lui faire perdre son quasi-monopole sur la représentation sunnite au Parlement.


En 2009, le courant du Futur était la formation sunnite majeure et il avait, après de longues négociations, contraint la Jamaa islamiya à accepter une alliance avec lui à Saïda, à Beyrouth et à Tripoli, moyennant un seul siège parlementaire dans la capitale qui est revenu à Imad el-Hout. Étant un pendant des Frères musulmans, la Jamaa islamiya faisait à l’époque profil bas. Bien qu’ayant un bon paquet de voix, elle ne pouvait pas se permettre de présenter aux élections des candidats indépendants, surtout selon la loi en vigueur, dite de 1960, qui favorise les grandes formations au détriment des petits partis ou groupes.


Aujourd’hui, le courant du Futur se trouve confronté à une nouvelle réalité sur le terrain où on constate l’émergence des groupes islamistes, qu’ils évoluent dans la mouvance des Frères musulmans ou qu’ils soient dans celle de salafistes. C’est ainsi que la Jamaa islamiya a pris en charge, dans la plus grande discrétion, le dossier des déplacés syriens au Liban-Nord, privant le courant du Futur de cette base qui peut être très utile sur le plan électoral. Forte de la prise du pouvoir par les Frères musulmans en Égypte et en Tunisie, avec une certaine connivence occidentale, la Jamaa islamiya est désormais plus active au grand jour, même si elle agit au Nord, sous le couvert de plusieurs ONG islamistes. Cette organisation n’est certes pas dans la confrontation, mais elle pense avoir son mot à dire sur le plan électoral. En même temps, les mouvements islamistes à tendance salafiste se multiplient au Nord, au point que le mufti de la République, cheikh Mohammad Rachid Kabbani, a nommé récemment un nouveau mufti pour le Akkar, cheikh Zayd al-Bakkar, appartenant à la mouvance salafiste. Ces mouvements aspirent à avoir leur propre représentativité et s’ils n’ont pas encore décidé sous quelle forme ils comptent participer aux élections législatives, ils n’en constituent pas moins une force avec laquelle il faut désormais compter. Leur force est d’autant plus importante qu’elle n’est pas seulement politique. Elle se prolonge dans le domaine éducatif (ils ont des écoles religieuses dans les mosquées) et social avec l’ouverture de dispensaires, voire d’hôpitaux qui portent leur enseigne.

 

(Pour mémoire : Pourquoi le projet dit orthodoxe est (franchement) mauvais)


Le courant du Futur se trouverait donc aujourd’hui dans une situation plutôt inconfortable : s’il se rapproche trop des salafistes, il perd son image d’islam moderne qui lui vaut l’appui de l’Occident et s’il se rapproche trop des Frères musulmans, il pourrait perdre l’appui de l’Arabie saoudite, qui combat cette mouvance sur son territoire. En même temps, il doit composer avec ces différentes forces, à Tripoli, à Beyrouth et à Saïda où il doit en plus tenir compte de cheikh Ahmad el-Assir qui commence à se tailler une place au sein de l’électorat de la ville.

 

En parallèle, il partage la carte de l’islam modéré avec le Premier ministre Nagib Mikati, lequel commence sérieusement à bénéficier de l’appui de l’Occident qui l’a vu à l’œuvre au cours des derniers mois et a pu apprécier son habileté à marquer des points aussi bien sur ses rivaux que sur ses alliés, sans se livrer à des confrontations coûteuses et frontales.

 

Le choix de mettre en avant l’appui à l’opposition syrienne comme unique politique actuelle par le courant du Futur est donc une arme à double tranchant, puisque tout en lui donnant une légitimité populaire, elle permet aussi à d’autres groupes plus actifs et plus extrémistes de gagner du terrain sur le plan populaire. D’autant qu’en Syrie même, et selon tous les rapports diplomatiques et médiatiques, ce sont les groupes islamistes qui sont les plus actifs sur le terrain, non l’ASL et l’opposition laïque. Dans un contexte aussi incertain, où il est difficile d’évaluer le poids réel de chaque groupe, le courant du Futur, qui reste malgré tout la force sunnite la plus importante, n’a donc aucun intérêt à modifier la loi électorale actuelle. Si elle est maintenue, il pourra conclure des accords électoraux avec les autres forces au sein de la communauté, qui ont besoin de lui pour faire élire leurs candidats. Par contre, le mode de scrutin proportionnel ou même le projet dit grec-orthodoxe ouvrirait les appétits des forces émergentes et c’est là que réside le véritable nœud de ces élections.

 

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