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À La Une - Peine de mort

La belle leçon de Badinter

Dans une interview accordée à « L’Orient-Le Jour » à la Résidence des Pins, Robert Badinter, légende de la justice française et fervent défenseur des droits de l’homme, explique pourquoi le Liban doit abolir la peine capitale.

Robert Badinter. Archives AFP

Il est à l’origine de l’abolition de la peine de mort en France, en 1981. Il était alors ministre de la Justice. Il avait salué l’Assemblée nationale par un tonitruant : « Demain, grâce à vous, la justice française ne sera plus une justice qui tue. » Robert Badinter est en visite au Liban, à l’invitation des mouvements abolitionnistes, pour poursuivre son combat contre la peine capitale et « promouvoir la lutte pour son abolition ».


« Nul ne saurait être condamné à mort ni exécuté. » C’est sur l’article 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la déclaration des droits de l’homme de l’UE, que s’appuie l’ancien président du Conseil constitutionnel français. L’homme est fort de son humanisme, mais aussi du « militantisme ardent de l’UE et de la France, sur la scène internationale, en faveur de l’abolition universelle de la peine capitale ».


C’est d’ailleurs dans ce cadre qu’il se trouve au Liban. « Je ne conçois pas et ne comprends pas pourquoi un pays comme le Liban, si cultivé, où les valeurs ont une telle importance, n’est pas déjà abolitionniste », lance l’avocat, également professeur universitaire. Il excuse pourtant le pays du Cèdre, « les tensions multiples », « les années difficiles » qu’il traverse. Autrement, « ce serait fait depuis longtemps », « ce serait acquis, culturellement ». Robert Badinter en est persuadé.

Le Liban, prisonnier du passé
Le Liban n’applique-t-il pas un moratoire sur la peine capitale, depuis l’année 2004, date à laquelle ont eu lieu les dernières exécutions ? L’ancien sénateur objecte. « Est-ce bien un moratoire sur la peine de mort, lorsqu’on prononce des condamnations à mort ? Certainement pas. » Que la dernière exécution remonte à 2004 ne permet pas encore au Liban d’être compté, selon les normes, parmi les pays abolitionnistes de fait. Dix années sans exécution capitale sont nécessaires pour cela. « Le Liban se doit d’aller au-delà de la décision individuelle, noble certes, de ne pas signer d’ordre d’exécution. Il doit se débarrasser de ce symbole sanglant du passé, observe M. Badinter. Car conserver la peine de mort signifie être prisonnier du passé. »


L’avocat est formel. « Le pays du Cèdre doit absolument abolir la peine de mort s’il veut bâtir un avenir fraternel. » Et de renchérir : « Dans les pays où on pratique encore la peine de mort, on retrouve tous les vieux démons à travers l’usage de la peine capitale, comme les préjugés raciaux, les haines communautaires, les différences sociales. » L’homme politique se base sur l’exemple « très instructif » des quartiers des condamnés à mort dans les prisons américaines. « Ce n’est pas sans raison, note-t-il, que la proportion de noirs ou de latinos est infiniment supérieure à la proportion de blancs. De même, on y voit les plus pauvres, mais jamais les fils de banquier ou d’avocates. »
Mais comment alors prévenir les crimes terroristes et les grands crimes ? Robert Badinter ne peut s’empêcher de revenir sur l’histoire de l’humanité, sur le mythe fondateur de Caïn qui tue son frère. « Une vision peu optimiste », mais « un mythe riche de sens », selon lui. « L’homme tue, mais nous ne devons pas le tuer », explique-t-il, assurant que « l’abolition de la peine de mort est, en terme moral, une victoire de l’homme sur lui-même ». « Car avec ou sans abolition, il y aura toujours de grands criminels », reconnaît-il.

L’abolition en augmentation dans le monde
Robert Badinter soutient ferme que l’abolition « n’entraînera jamais, nulle part, un accroissement de la criminalité ». De même, « l’évolution du crime n’est pas liée à la sanction ». C’est ce que constatent les pays abolitionnistes. « Si c’était le cas, il y aurait eu des pays qui auraient rétabli la peine de mort, assure-t-il. La preuve en est aussi acquise par la dynamique abolitionniste, de plus en plus étendue. » Il note avec satisfaction que l’abolition est aujourd’hui majoritaire dans le monde et que des continents entiers sont vides de la peine de mort. Il observe à ce propos qu’une centaine d’États ont aboli la peine de mort dans leurs législations et une cinquantaine d’autres sont abolitionnistes de fait. « Une majorité, sur les 193 États que comptent les Nations unies », indique-t-il. En 1981, lorsque la France a aboli la peine de mort, elle était le 35e État abolitionniste du monde, rappelle l’ancien ministre. « Jamais je n’aurais cru que les choses iraient si vite en trente ans », lance-t-il.


Quant à la volonté de certains de brandir la peine de mort pour arrêter le terrorisme, il estime que c’est « une illusion ». « La peine capitale sera alors un facteur de promotion du terrorisme », assure-t-il, affirmant qu’il y aura toujours des personnes « mues par le désir de vengeance ».


Mais à l’heure où les atteintes aux droits de l’homme sont légion au Liban, dans différents domaines, comme dans les prisons, certains ne peuvent s’empêcher de se demander si ce débat est d’actualité. Pour M. Badinter, « les droits de l’homme ne se divisent pas. C’est la raison pour laquelle il faut lutter sur tous les fronts ». C’est ce qu’a fait ce fervent défenseur des droits de l’homme, tout au long de sa vie, dans sa lutte pour les droits politiques et sociaux, pour l’amélioration des conditions carcérales des adultes et des mineurs, pour la réinsertion des détenus, mais aussi pour le droit à la vie.


L’ancien garde des Sceaux français, qui va d’ailleurs être reçu par les trois présidents Sleiman, Berry et Mikati pour discuter de ce dossier, a fait d’ailleurs part de sa profonde conviction que « le Liban va abolir la peine capitale plus vite qu’on ne le croit ». Car « l’abolition est facteur d’apaisement et apparaîtra comme une nécessité ». Et l’universitaire de rappeler que « la mise à mort de tel ou tel membre d’une communauté ne peut mener à une société fraternelle ». Bien au contraire, cette décision sera un « facteur d’injustice, de règlement de comptes confessionnel ».
Alors, à quand une justice libanaise qui ne tue pas ?

Il est à l’origine de l’abolition de la peine de mort en France, en 1981. Il était alors ministre de la Justice. Il avait salué l’Assemblée nationale par un tonitruant : « Demain, grâce à vous, la justice française ne sera plus une justice qui tue. » Robert Badinter est en visite au Liban, à l’invitation des mouvements abolitionnistes, pour poursuivre son combat contre la...

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