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À La Une - Feuille de route

Décadence

Il est triste de commencer 2013 par une série de parodies grotesques, comme s’il était d’ores et déjà convenu que l’année n’allait être qu’une pâle caricature de la précédente, déjà assez ubuesque.


La palme de la bouffonnerie, sanglante de surcroît, donc infâme, revient sans conteste à Bachar el-Assad qui a, encore une fois, prouvé qu’il est un cas désespéré aussi bien pour la psychanalyse que pour la justice. C’est à peine si, au fin fond des neuf cercles concentriques de l’Enfer, Lucifer accepterait de lui ouvrir une aile spéciale pour lui et ses amis « minoritaires » qui continuent de prier je-ne-sais-quel faux démiurge pour sa victoire virtuelle et fantasmatique.


Le statut, l’état « minoritaire », que cela soit dit une bonne fois pour toutes, constitue une situation psychique de repli sur soi et d’anéantissement du moi en raison d’un complexe existentiel, d’un état de frustration qui a trop duré ou d’une angoisse insurmontable de mort qui pousse à envisager toujours l’avenir avec des sueurs froides. Il s’agit, en outre, d’un état d’esprit transcommunautaire, et ces « minoritaires » n’appartiennent jamais à une communauté précise ni même nécessairement à un parti politique déterminé.


Si au Liban, nos chers « minoritaires » ne pourront jamais atteindre le talent de leurs confrères assadistes en matière de cruauté – quand bien même, depuis l’anéantissement de Hama en 1982, cet archétype du despotisme communautaire en fit fantasmer plus d’un du côté de chez nous, comme le rapportait déjà Michel Seurat, à l’époque, dans ses travaux –, ils savent se rattraper, en revanche, par d’autres moyens : la décadence morale et/ou la médiocrité.


Un premier exemple peut être trouvé dans le verbiage indigeste qui nous a été servi ces derniers jours par l’inénarrable ministre de l’Énergie. « Le Liban n’est pas un dépotoir, un vide-ordures », a affirmé ce ministre, en évoquant le dossier particulièrement dramatique des réfugiés syriens et palestiniens du Yarmouk. En d’autres termes, des êtres humains fuyant la barbarie d’un régime, soutenu aveuglément par le courant auquel appartient ce ministre, ont donc été assimilés à des « ordures », sans circonlocutions. En Conseil des ministres, le même ministre a proposé, selon Waël Bou Faour, de bouter tous les Palestiniens et les Syriens hors du pays, tandis que son camarade de route, le ministre des Affaires étrangères, Adnane Mansour, a suggéré, par une formulation lyrique imagée, un « nettoyage ». Pas étonnant, du reste, pour quelqu’un dont le camp politique avait déjà donné un exemple d’humanité, par le passé, avec la guerre des camps contre les Palestiniens.


Mais revenons au discours flamboyant de racisme du gendre-histrion de la République. Il est évident que, pour gagner les élections, le Courant patriotique libre veut réveiller, comme toujours, les moindres instincts primitifs qui sommeillent dans les bas-fonds de chaque chrétien, surtout à l’heure où la région passe par une période de transition particulièrement critique, maintenant que la boîte de Pandore fermée depuis un demi-siècle a été rouverte, et où il peut leur faire avaler, pour mieux leur faire passer la pilule iranienne, que les barbus sunnites vont venir les manger tous crus. Certes, les arguments politiques ne manquent pas pour montrer comment le CPL est devenu grotesque dans ses positions paradoxales – pourquoi refuse-t-il de désarmer les milices palestiniennes extramuros ; comment peut-il assimiler les réfugiés palestiniens qui ont fui la barbarie israélienne aux réfugiés syriens qui fuient les massacres menés par le Baas, tout en se réclamant de la résistance, etc. Mais le problème est ailleurs : comment encore discuter de politique avec une logique et un discours aussi décadents, pire encore que le langage injurieux, primaire, basique retransmis tous les mardis sur le petit écran ?


Après le Liban-refuge de Michel Chiha, le Liban des droits de l’homme de Charles Malek, le Liban-message de Jean-Paul II, le Liban-laboratoire du dialogue entre les religions de Michel Sleiman, le Liban de la paix de Benoît XVI, voilà que l’école aounienne nous affuble du bien peu rutilant Liban-dépotoir ; qui plus est, alors même qu’il continue de soutenir l’agresseur syrien dans son délire paranoïaque et de conspirer contre les victimes réfugiées chez nous en voulant les renvoyer à la mort. À ce rythme, l’on attend encore le jour où le CPL va troquer ses drapeaux orange contre les uniformes du Ku Klux Klan et défiler en procession dans les rues en distribuant des étoiles jaunes. C’est oublier que Bassil, son beau-père et leurs partisans sont ceux qui ont le plus souffert de l’injustice de l’exil, face aux mêmes bourreaux, de surcroît. Fallait-il que la France, Chypre et tous les pays d’accueil ferment leurs frontières pour ne point les accueillir ? C’est oublier aussi que les ancêtres du général Aoun, auquel, comble du grotesque, il rendait hommage à Brad, en Syrie, il n’y a pas si longtemps, sont eux-mêmes des réfugiés. En souhaitant qu’Assad tombera bien vite, contrairement aux souhaits aounistes, et que ces réfugiés pourront tous rentrer chez eux rapidement.


Mais tout ce verbiage xénophobe, démagogique et populiste est risible. Continuer à vouloir jouer sur l’image de saint Élie qui, l’épée à la main, tranchera le cou des infidèles et obtiendra la vengeance fantasmagorique historique des chrétiens sur l’Empire ottoman, c’est très bien pour la propagande interne. Mais cela ne construit rien, en définitive, et la surenchère chrétienne ne débouchera que sur une chose : marginaliser encore plus les chrétiens à un tournant où ils ont plus que jamais besoin de se montrer modernes et de mener la lutte démocrate-libérale contre l’extrémisme.


C’est justement dans ce cadre qu’il est de plus en plus question d’une loi électorale appelée à tort d’« orthodoxe », puisqu’elle a été proposée par un club de personnalités acquises à l’alliance des minorités irano-baassistes et qui ont usurpé sans aucune consultation préalable la référence à la communauté. La loi dite « orthodoxe » est une bien mauvaise plaisanterie, balancée sur le marché électoral par un des fidèles lieutenants d’Assad, pour semer la confusion au sein du 14 Mars et détruire l’alliance islamo-chrétienne effectuée le 14 mars 2005. À court terme, cette loi désagrégerait immédiatement la coalition politique en entités communautaires, défaisant l’union qui avait été, un 14 mars 2005, génératrice de souveraineté contre l’occupation syrienne. À plus long terme, elle sèmerait un climat sécessionniste, favorisant l’émergence de petites entités communautaires à même de conforter les deux mythes communautaro-nationalistes des deux côtés de la frontière : sioniste et alaouite. La petite boutade d’Élie Ferzli a cependant fait du chemin, puisqu’elle a chatouillé ce chauvinisme chrétien toujours en quête du Graal qui lui permettra de surmonter l’indécrottable ihbat... généré par les guerres fratricides, puis par l’occupation syrienne à partir de 1990.


Mérite-t-elle la moindre mention cette loi anticonstitutionnelle qui cloisonne l’individu comme un sujet de sa communauté, au lieu d’avancer vers la citoyenneté ? Mérite-t-elle la moindre discussion ? Qu’en auraient pensé les pères fondateurs du Liban ? Tous les constitutionnalistes sérieux rencontrés vous répondront d’une même voix qu’elle leur fait honte ; tous les esprits sensés aussi, et une grande part d’orthodoxes en pense autant. Les chrétiens ont-ils décidé de rompre avec le Liban, dans une sorte d’anticonférence du Sahel, sécessionniste, à l’heure pourtant où, malgré les apparences, le monde arabe commence enfin à prendre un visage qui devrait plus leur ressembler, à condition qu’ils contribuent activement au changement sans se replier dans leurs angoisses existentielles et sans continuer à servir de bouclier humain pour les dinosaures-tyrans en voie de disparition ?


Si le Liban a véritablement fait son dépôt de bilan, pourquoi ne pas le dire tout haut ? Pourquoi se réfugier dans cette hypocrisie, ce trompe-l’œil légaliste qui cherche à nous ramener encore plus à l’état de tribus, comme si nous n’étions pas suffisamment en dehors de l’histoire, alors que la planète mondialisée à outrance a consacré l’individu, la personne humaine, comme finalité absolue ?


Nous sommes tombés bien bas, bien bas, en ce début 2013. En attendant enfin qu’un miracle – mais lequel ? – vienne nous relever de ce marasme intellectuel dans lequel nous n’avons cesse de sombrer.

 

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