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À La Une - Tribune

Les milices contre l’armée régulière en Libye

Un soldat libyen lors du défilé marquant l'indépendance de la Libye, le 24 décembre 2012 à Tripoli. REUTERS/Ismail Zitouny

Alors que les États-Unis se battent pour comprendre l’attaque de septembre dernier contre leur mission diplomatique à Benghazi, qui a coûté la vie à quatre Américains dont l’ambassadeur des États-Unis, Christopher Stevens, une enquête officielle n’a pas été ouverte en Libye et ne le sera probablement jamais. Les dirigeants du pays font face à de multiples défis (d’un mouvement fédéraliste influent dans l’Est, visant à usurper les prérogatives du gouvernement central, à une vague d’assassinats visant des responsables de la sécurité), ce qui leur laisse peu de ressources à consacrer à une affaire qui ne cause aucune menace immédiate pour leur statut national.


Les dirigeants se concentrent plutôt sur la reconstruction de l’État détruit par l’ancien dirigeant Mouammar Kadhafi. Ils sont aux prises avec la nécessité de créer des institutions administratives efficaces, afin de favoriser un système judiciaire indépendant. Alors que le Conseil national de transition (CNT), l’organe intérimaire qui a remplacé le régime de Mouammar Kadhafi, n’a pas réussi à jeter les bases d’un État moderne, il est trop tôt pour porter un jugement sur le leadership des autorités qui ont pris le pouvoir en novembre 2012.


Le test décisif portera sur les avancées en matière de sécurité. L’attaque de Benghazi et le défaut d’une réponse libyenne crédible ont prouvé que le pays n’est pas encore régi par un État de droit ni en mesure de l’imposer. Le nouveau gouvernement doit changer cette situation en démantelant les milices et en intégrant leurs membres aux forces de sécurité libyennes officielles.


Tout d’abord, le gouvernement doit cesser de choyer les milices et se concentrer sur la constitution de l’armée nationale, ce que le CNT a négligé. Bien sûr, persuader les milices de transférer leur loyauté à l’État ne sera pas facile, en particulier à cause des liens idéologiques souvent forts entre les combattants et leurs unités. Mais cette étape est cruciale pour rétablir l’ordre et assurer la légitimité du gouvernement nouvellement élu. Des brigades en Libye orientale ou en Cyrénaïque, par exemple, sont fortement enracinées dans une idéologie islamiste traditionnelle. Les combattants dans cette région se sont organisés en puissantes unités, comme la Brigade des Martyrs du 17 février, une grande force alliée au gouvernement affectée à la protection de la mission des États-Unis dans Benghazi, et la Force du Bouclier libyen, une coalition largement déployée de milices qui ont aidé la mission des États-Unis pendant la nuit de l’attaque. En revanche, les milices en Libye occidentale ou en Tripolitaine tendent à émerger dans différentes villes, avec les brigades les plus puissantes basées dans Misrata et Zintan. Ces groupes souhaitent rejoindre les services de sécurité sous forme d’unités, plutôt qu’en tant que combattants individuels, afin de conserver leurs liens communs et aussi afin d’empêcher leur pleine intégration dans une armée nationale.
Pour sa part, le gouvernement a traité la création des forces armées nationales après coup. Pendant la révolution, les dirigeants du CNT ont canalisé les ressources et le financement des brigades islamistes avec lesquelles ils partagent une idéologie commune, plutôt qu’avec la toute nouvelle Armée nationale libyenne (ANL). Après que les combattants islamistes eurent tué le commandant en chef des forces rebelles Abdoul Fattah Younis en juillet 2011, l’armée a été mise à l’écart. En effet, le CNT a volontairement facilité la disparition de l’armée. Quand les désaccords tribaux ont éclaté dans la ville reculée du désert de Kufra au début de cette année, le Conseil a expédié la Force du Bouclier libyen, pas les unités de l’ANL, pour apaiser le malaise. En outre, l’armée reçoit un financement insuffisant, où les officiers sont contraints d’utiliser leurs fonds personnels pour acheter du carburant pour les véhicules militaires. Pendant ce temps, les gouvernements riches des États du Golfe financent directement les milices, ce qui leur permet d’acheter de nouveaux véhicules et de l’équipement de communication de pointe.


Les Libyens se plaignent que le nouveau gouvernement continue la politique du CNT visant à favoriser les brigades révolutionnaires par rapport aux services de sécurité institutionnels. Après l’attaque du 11 septembre à Benghazi, des Libyens déçus sont descendus dans les rues en criant des slogans antimilices. Dix jours plus tard, des manifestants ont envahi la base d’Ansar al-Charia, la milice islamiste soupçonnée d’avoir organisé l’attaque, dans le cadre d’un ratissage de raids sur des complexes de miliciens dans toute la ville. Seulement quelques heures après le début des manifestations, les autorités du gouvernement ont largement diffusé un tract invitant les manifestants à rentrer chez eux, en ajoutant que « la Brigade d’al-Sahati de Rafallah, la Brigade du 17 février et la Force du Bouclier libyen sont légales et placées sous l’autorité du personnel général (de l’armée) ». Le président Mohammad Magariaf a confirmé plus tard ce communiqué. En réponse, un ancien membre du CNT a déploré que le gouvernement ait « raté une occasion de supprimer toutes les milices », en indiquant que les groupes responsables sont soutenus par le Qatar et que le gouvernement ne voulait pas nuire à leur ordre du jour.


Un tel patronage se prolonge dans l’institution militaire elle-même. Le chef d’état-major Yousef al-Manqous est censé privilégier les milices de Cyrénaïque par rapport aux unités militaires placées sous son commandement, alors que des fonctionnaires se plaignent de l’absence d’une chaîne de commandement efficace. Par exemple, en juin, le ministre de la Défense, Osama al-Juwali, a attaqué le CNT pour avoir omis de consulter des responsables sur ses décisions, en précisant que son rôle avait été réduit à « signer les plans du chef d’état-major ». Grâce à un fort financement étranger et à un traitement préférentiel du gouvernement, les milices n’ont aucune incitation à se dissoudre. En outre, elles sont déterminées à détourner le commandement de leurs brigades vers les commandants militaires censés avoir soutenu Kadhafi ou qui, du moins, n’ont pas pu s’y opposer.


Bien que le nouveau gouvernement de Libye doive faire face à de nombreux défis, le démantèlement des milices doit être prioritaire. Dans le cas contraire, les aspirations qui ont animé la révolution anti-Kadhafi (la fin de la corruption, la stabilité et la prospérité partagée) ne seront jamais satisfaites.

© Project Syndicate, 2013. Traduit de l’anglais par Stéphan Garnier.

Alors que les États-Unis se battent pour comprendre l’attaque de septembre dernier contre leur mission diplomatique à Benghazi, qui a coûté la vie à quatre Américains dont l’ambassadeur des États-Unis, Christopher Stevens, une enquête officielle n’a pas été ouverte en Libye et ne le sera probablement jamais. Les dirigeants du pays font face à de multiples défis (d’un mouvement...

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