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À La Une - syrie

« Notre mission ? Tuer par la parole »

Le témoignage de journalistes syriens réfugiés à Paris.

Lama el-Khadra (à gauche), Kamal Jamal Beck (au centre) et Baddour Abdel Karim se trouvent désormais à Paris. Pierre Verdy /AFP

Lama el-Khadra résume son travail à Radio-Damas d’une phrase : « Notre mission était de tuer par la parole. » Avec deux autres responsables de cette radio officielle syrienne, elle a fait « défection » à Paris et rejoint le camp de l’opposition au président Bachar el-Assad. « C’est difficile de toujours porter un masque, ne rien montrer, penser, parler comme eux, les hommes du régime », dit-elle après la lecture solennelle d’une « déclaration de défection » dans l’arrière-boutique d’une librairie du centre de Paris. Pendant des mois, cette responsable des programmes politiques et culturels de Radio-Damas, la radio publique historique en Syrie, a dû « mettre des mots » sur les opposants au régime. « Il fallait se cantonner aux dépêches de SANA (l’agence officielle de presse syrienne) et dénigrer les opposants, ce n’est pas facile », assure-t-elle. Lama écrit alors « groupes armés » pour « manifestants », « complot » pour « contestation ». La journaliste décrit un climat de paranoïa générale dans la rédaction, où on n’ose regarder que les télévisions officielles : « Il était dangereux de regarder el-Jazira sans passer pour un révolutionnaire. » « Au sein des rédactions des médias officiels, beaucoup de journalistes vivent la souffrance du peuple », assure-t-elle.

 

(Pour mémoire : 2012 a été la plus meurtrière pour les journalistes depuis les années 90)


« Certains d’entre nous ont été convoqués par les services secrets », précise de son côté Kamal Jamal Beck, directeur des programmes de la radio et également patron du site Internet de la radio officielle, lui-même interrogé à trois reprises. Beck raconte l’action d’« experts iraniens en informations ». « À l’intérieur de la radio, un service a été créé avec ces experts iraniens parlant parfaitement arabe », affirme-t-il. Les journalistes « les plus zélés » ou les chabbiha, la milice de nervis du régime, sont formés par ces experts ou à Beyrouth auprès de la chaîne de télévision du Hezbollah, el-Manar. « Travailler pour un média d’État en Syrie, c’est comme être dans une prison invisible », confesse Baddour Abdel Karim, ancienne patronne du service culture de la radio, décrivant une rédaction où « certains soutiennent le régime et ne s’en cachent pas, d’autres restent en place parce qu’ils n’ont pas le choix ».


Après l’enlèvement et l’assassinat par un groupe rebelle jihadiste en juillet de leur ami et collègue Mohammad el-Saïd, la décision est prise : partir. Les trois journalistes quittent la Syrie pour le Liban, avant de rejoindre cette semaine Paris avec l’aide des autorités françaises. « Pour nous, assoiffés de liberté, le départ est amer », disent-ils. Mais ils ne veulent plus rester en Syrie, « avec des balles dans la bouche ». Ils vivent désormais dans la banlieue sud de Paris et rêvent de lancer une nouvelle radio, « embryon d’une future radio publique de l’après-Assad ». « En l’absence d’un canal de transmission médiatique, il y a un fossé entre le terrain et les responsables de l’opposition à l’extérieur », estime Baddour Abdel Karim. Tous trois veulent, avec la Coalition nationale syrienne, la principale instance de l’opposition, créer une radio qui « prenne le pouls de la révolution syrienne » pour « renforcer l’union nationale entre les Syriens ».

 

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