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À La Une - Réfugiés

De Syrie au Liban, le second exil des Palestiniens

Quelque 10 000 Palestiniens de Syrie ont fui la guerre civile et se sont refugiés au Liban, principalement dans les camps déjà existants. Une cohabitation souvent délicate entre les habitants originels et les nouveaux venus.

Le petit Bassil, pris dans la tourmente de l’exil.

Dans l’exiguïté d’une pièce, à Aïn-el-Héloué, le plus grand camp de réfugiés palestiniens au Liban, situé en bordure de Saïda, Bassil (les prénoms ont été changés pour respecter l’anonymat), âgé de huit ans, insiste : « Maman, où est mon père ? Est-ce qu’il est mort ? » Assise dans un fauteuil émietté par l’usure, Layla, la quarantaine, esquive un sourire tendre mais gêné. Un mois qu’elle ne sait rien de son mari, resté à Deraa, dans le sud-ouest de la Syrie. Layla et ses deux fils, eux, ont fui alors que les combats s’intensifiaient entre les forces du régime et les rebelles. Selon des voisins qui les ont rejoints récemment, leur maison aurait été bombardée. Désormais, l’angoisse l’habite : elle « sent qu’il lui est arrivé quelque chose ».


Depuis juillet et le rapprochement des combats autour de Damas, quelque 10 000 réfugiés palestiniens de Syrie ont fui principalement le camp de Yarmouk, situé au sud de la capitale, abandonnant tout derrière eux. Comme Layla et les siens, ils ont gagné le Liban et ses camps, surtout ceux établis dans la Békaa et à Saïda. Leur second exil après celui de Palestine. Tous espèrent rentrer rapidement. Un, deux, trois mois, peut-être plus, le temps que cessent les bombardements. Mais à mesure que la guerre s’enlise, le provisoire prend une allure de semi-définitif. Et les quelques maigres économies s’amenuisant, leur situation empire.

Solidarité familiale
Bassil, tête ronde et cheveux courts, a la langue bien pendue. Il n’en finit pas de décrire l’unique pièce dans laquelle ils habitent tous les trois. « Et là, on dort », dit-il, en mimant de jeter un tapis au sol. « Ici, c’est la télévision. Mais c’est comme un tableau, reprend-il, elle n’a jamais fonctionné. » Avec sa mine dégoûtée, il désigne les murs. Les pluies d’automne perlent sur la ferraille armant le béton. Chargée de cette humidité âcre, l’air empeste. « Et bientôt l’hiver arrive », redoute Layla. « Je n’ai que ce pull pour le petit et aucune couverture », ajoute-t-elle. Somme toute, après les innombrables comparaisons entre sa maison en Syrie et celle d’ici, il n’y a au Liban que ses deux nouveaux copains, Ibrahim et Ayman, que Bassil affectionne.


C’est chez un oncle, locataire de la pièce du premier étage, qu’ils espéraient habiter. « La solidarité familiale est la principale raison pour laquelle ces réfugiés rejoignent le Liban », explique Yasser Daoud, directeur de l’ONG Nabaa, qui vient en aide aux réfugiés palestiniens. Mais son proche parent étant lui-même dans le dénuement, Layla a dû louer ce rez-de-chaussée : 20 mètres carrés d’abord pour 150 et puis 200$ par mois, une fortune pour elle. À quelques ruelles de là, d’autres familles s’entassent chez leurs parents. « On se retrouve avec des situations intenables où une vingtaine de personnes vivent dans deux pièces, sans l’hygiène adéquate », poursuit l’humanitaire.

Sentiment d’abandon
Parmi ces Palestiniens, un sentiment d’abandon domine. Hormis les aides ponctuelles d’ONG, « nous avons reçu quelques vivres des responsables du camp et d’associations caritatives religieuses », précise Layla. Après une pause, les mains jointes dans les plis de sa robe, elle finit par lâcher : « Mais après le repas, Bassil me dit qu’il a encore faim. » Silence.
De l’Unrwa, l’agence de l’ONU en charge de la protection des réfugiés palestiniens, elle ne connaît que les classes ouvertes les après-midi, après celles réservées aux enfants palestiniens du Liban. « Plutôt une garderie avec quelques jeux », corrige-t-elle. Bassil, s’il ne dessine plus, aime l’école par-dessus tout. Alors, quand il a appris qu’il n’étudierait pas de sitôt, il a été trouver seul le directeur de l’école. « Pourquoi tu ne m’acceptes pas ? C’est mon droit, je veux apprendre », lui a-t-il lancé avec l’audace de son jeune âge. Depuis, il s’assied tous les matins avec ses nouveaux camarades de classe.


Sous le feu des critiques pour son manque d’actions face à l’urgence, l’Unrwa « ne peut pas être blâmée », commente Yasser Daoud. « Ce problème relève de la communauté internationale. » Et cette dernière, depuis plusieurs années, n’a eu de cesse de diminuer les fonds alloués à l’agence onusienne. Pour affronter ce nouveau défi, l’Unrwa a lancé un appel à ses donateurs : « Nous espérons collecter 54 millions de dollars, dont 8 dévolus pour le Liban », détaille Hoda Samra, porte-parole de l’Unrwa au Liban. « Les autres seront affectés à la Syrie et à la Jordanie. »

Une adaptation difficile
Si la plupart des réfugiés palestiniens se gardent d’émettre des opinions quant à la guerre en Syrie, le petit Bassil a déjà un jugement bien arrêté. « Bachar, je le déteste, il tue tout le monde avec ses bombes », confie-t-il avec de grands gestes de la main. Cette haine, nourrie à ses débuts par la mort d’un ami de son frère, a lancé Bassil dans le sillage des rebelles. S’évanouissant dans la ville des journées entières, il y a découvert les horreurs de la guerre. De sa voix de chérubin, il les décrit longuement, avec minutie. Quelques croche-pattes aux soldats par ici, des jets de pierre par-là, Bassil, à son échelle, contribuait aux combats.


« L’impact des violences sur ces enfants, spécialement sur ceux de 10 et 11 ans, est dramatique », explique une psychologue qui travaille avec les réfugiés palestiniens de Aïn-el-Héloué. « Comportements agressifs, anxiété, hurlements, cauchemars, certains éprouvent de grandes difficultés à s’adapter à leur nouvel environnent. D’autres, comme Bassil, essayent de se mettre en avant pour cacher leur tristesse. Ils parlent pour oublier. »

« Tu es syrienne, toi... »
En sus, la cohabitation délicate avec les habitants originels du camp pèse sur le quotidien des nouveaux venus. « Souvent dans la rue, on me jette avec mépris : Ah, tu es syrienne, toi », s’exaspère une mère de famille. Une autre, indignée, ajoute : « Les gens parlent de nous comme si nous n’étions pas des êtres vivants. » Toutes dénoncent ce qu’elles nomment « un abus de faiblesse » : prix gonflés, loyers doublés... « Alors que je suis malade et que je ne peux pas travailler ! » s’emporte Layla, dont l’unique source de revenu provient des quelques dollars quotidiens de son fils de 17 ans, vendeur ambulant dans le camp.


Malgré ces difficultés, des réfugiés continuent d’affluer. « Le Liban demeure un asile enviable, comparé aux campements dressés à la hâte dans le désert jordanien. Bientôt nous pourrions affronter de sérieux problèmes de logement, les camps libanais sont déjà surpeuplés. » Un asile enviable, néanmoins invivable : « D’autres préfèrent rentrer et risquer leur vie, mais au moins mourir dans la dignité, nous disent-ils. Après la misère qu’ils ont endurée au Liban, ils refusent d’y rester plus longtemps. Il ne faut pas oublier qu’ici, 64 % des réfugiés palestiniens vivent en dessous du seuil de pauvreté, avec des restrictions quant à l’accès au marché du travail, à la santé, à la propriété ou à l’éducation ; une marginalisation qui n’existe pas en Syrie. »


Jusqu’à présent, « à condition qu’ils quittent le Liban pour retourner en Syrie, le gouvernement libanais les exempte de payer les 50 000 livres d’amende par personne pour avoir dépassé la durée limite de séjour », ajoute la porte-parole de l’Unrwa. Alors, dans l’exiguïté de cette pièce, à Aïn el-Héloué, Layla tente d’envisager l’avenir. Devant l’alternative, timidement, elle ose miser sur la chute rapide du régime, animée par l’espoir de retrouver sa vie d’avant. Quant à Bassil, il rêve de Palestine, cette terre « très jolie, plus jolie encore que le Liban ou la Syrie ». Mais d’abord, il rêve de retrouver son père... et de quelques sucreries.

 

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