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À La Une - Droits de l’homme

Cette intolérable discrimination qui vise les porteurs du VIH au Liban...

La Journée mondiale de lutte contre le sida, célébrée le 1er décembre de chaque année, est une occasion pour appeler encore une fois à plus de « tolérance » envers les patients.

Des bougies allumées formant le ruban rouge, signe de solidarité avec les victimes de VIH. Photo tirée du site columbuzz.net

« Pourquoi tu insistes à plaider la cause des personnes séropositives ? Je comprends bien que tu défends les droits d’un enfant malade. Mais les séropositifs ? »


Cette remarque adressée à un militant en faveur des droits de l’homme en dit long sur une société discriminatoire, qui manque de tolérance. Elle se conforte dans ses décisions, se complait dans le jugement d’autrui, sans chercher pour autant à comprendre. « Le VIH est une maladie chronique liée à la sexualité et au sang, sujet encore tabou au Liban, explique Karine Nassar, psychologue clinicienne et psychothérapeute au CMC et au SIDC. La société associe donc la maladie à quelque chose d’interdit, à l’effraction d’une loi. Elle porte même très loin son jugement au point de dire qu’il ou elle “l’a bien méritée” ! Dans le cas d’un homme, on va automatiquement penser qu’il est homosexuel parce que le VIH continue à être associé à l’homosexualité. Ce qui n’est pas vrai. Le virus est tout aussi présent chez les hétérosexuels. Dans le cas d’une femme, on va dire qu’elle a attrapé le virus parce qu’elle est une prostituée ou encore une femme facile. Or, dans de nombreux cas, la femme attrape le virus à son insu. »


C’est le cas de Théa, 28 ans. Cette jeune femme originaire de la Békaa a été contaminée par son mari, qui a eu des relations extraconjugales. « J’ai découvert que je suis porteuse du VIH, après avoir accouché de mon enfant, raconte-t-elle. Mon fils était tout le temps malade. Nous avions fait le tour des hôpitaux et sa situation ne s’améliorait pas. Finalement, un médecin que nous avons consulté à Beyrouth a pensé au sida. Il avait raison. Or je ne savais même pas que j’étais porteuse du VIH. Les examens que mon mari et moi avons effectués avant le mariage montraient “que nous avions le sang propre”. Mon fils est mort à l’âge d’un an. »


Affligée, Théa se sépare de son mari. « Mes parents m’ont soutenue, mais c’est la société qui m’a condamnée, confie-t-elle. Je travaillais en tant que vendeuse dans un magasin de vêtements. Jusqu’à aujourd’hui, j’ignore comment le patron a su que je suis séropositive. Il m’a congédiée en me disant qu’il ne voulait pas de gens comme moi chez lui, affirmant que je porterais préjudice à la réputation de son magasin et que je causerais sa ruine, parce qu’il va perdre sa clientèle. J’ai essayé de lui faire entendre raison. Je lui ai expliqué que le virus ne se transmet pas par les mains, que les clientes ne craignent rien et que d’ailleurs elles n’ont pas à le savoir. En vain. »


Théa pensait à tort que le corps médical allait être plus tolérant. « J’ai souffert d’une rage de dents et j’ai été voir le dentiste de la famille, se souvient-elle. Tous mes parents le consultent depuis plusieurs années. J’ai voulu être honnête avec lui afin qu’il prenne ses précautions. Je l’ai mis dans le secret et je lui ai demandé de ne rien dire à personne, même à son assistante. Au lieu d’être compréhensif, il a refusé de me soigner. Il m’a demandé de ne plus revenir chez lui, parce qu’il a peur que je n’affecte négativement son travail. Il a été très sévère au point de traiter d’immorale ! Il n’a montré aucune compassion ! Comme si j’avais cherché à contracter le virus ! »


Et Théa de reprendre : « Les gens ne veulent pas comprendre. Il leur est plus facile de juger. Une fois, j’ai été retirer les médicaments de la pharmacie centrale. La fonctionnaire appelait les patients par leurs noms. Elle a tardé à m’appeler. Lorsque je me suis levée pour lui demander quand mon tour viendra, elle m’a répondu avec dédain : “Vous n’en faites qu’à votre tête et puis vous venez quémander les médicaments !”.
Pour elle, le VIH chez une femme rime avec prostitution !
De quel droit me juge-t-elle ?
Elle ne sait même pas comment j’ai été contaminée ! Même si j’étais une prostituée, elle n’a pas à me condamner. Il y a des femmes qui sont obligées de se prostituer ou qu’on oblige à le faire. Ce n’est pas à la société de les juger ! »

Tout est permis...
« Le VIH continue malheureusement à engendrer beaucoup de discrimination dans les différents milieux, au travail, à l’université, au sein de la communauté médicale..., déplore Karine Nassar. Pourtant, le corps médical doit être le plus ouvert puisqu’il connaît les modes de transmission du virus et les moyens de protection. Malheureusement, ce n’est pas le cas. »


Et de poursuivre : « La discrimination au Liban est telle qu’une personne séropositive est obligée de vivre dans le secret de sa maladie. Or cette attitude a des répercussions très importantes sur le plan psychologique, puisqu’on est en train de déshumaniser les personnes vivant avec le VIH d’autant qu’on les rejette de la société. Dans mon cabinet, je rencontre des personnes déprimées et anxieuses, extrêmement inquiètes sur leur avenir professionnel et personnel. Ce sont des questions légitimes que se pose toute personne, qu’elle soit malade ou saine, mais qui sont beaucoup plus centrales chez une personne séropositive, d’autant que la maladie est souvent liée à la sexualité, donc à la procréation et à la transmission. »


La discrimination n’est pas propre à la société libanaise. « J’ai rencontré les mêmes abus à Paris, mais en France, les personnes séropositives sont protégées par la loi. Ce qui n’est pas le cas dans notre pays. C’est la raison pour laquelle d’ailleurs la discrimination est accentuée. En l’absence d’une loi, tout devient permis. »

Plus de tolérance... moins d’ignorance
Théa s’est remariée. Son conjoint est également séropositif. Elle est enceinte et doit accoucher dans les prochaines semaines. Si aujourd’hui, elle paraît sereine, c’est parce qu’elle était déterminée à surmonter son problème. « Au début, j’étais déprimée, mais j’ai reçu de l’aide et aujourd’hui j’accepte mieux ma situation, affirme-t-elle. Je vis toujours dans le secret de ma maladie, parce que je n’ai pas envie de subir le regard réprobateur des autres. Dans mon entourage, seules ma famille et celle de mon mari savent que je suis séropositive. Parfois, j’ai pitié de cette société ignorante. Un long travail d’éducation reste encore à faire. »


« Les personnes vivant avec le VIH reprochent à la société de ne pas les comprendre et d’ignorer la nature de leur maladie, fait remarquer Karine Nassar. Beaucoup d’entre eux vivent dans une culpabilité et une souffrance psychologique très intense. Ils n’arrivent plus à évoluer normalement dans notre société. Ils cherchent à se réinscrire dans la société, à avoir des amis, à fonder une famille... Ce n’est pas facile. Quand on a une maladie grave, c’est la projection dans le futur qui est entravée. Avec les personnes séropositives, nous essayons de reconstruire cela. »


Elle reprend : « L’ignorance tue. Il est important d’apprendre aux gens, notamment aux jeunes, comment se protéger des maladies sexuellement transmissibles, qu’il s’agit du VIH ou de toute autre maladie. Je ne dis pas qu’il faut trangresser les interdits, mais il faut savoir en parler sans choquer la jeunesse, qui a d’ailleurs ses expériences sexuelles, et sans rendre la sexualité sale, d’autant qu’elle fait partie de l’être humain. Il est impératif d’apprendre aux jeunes à se protéger. Je ne comprends pas qu’un jeune de 16 ans soit séropositif, parce que personne ne lui a appris à se protéger. C’est là où nous constatons une défaillance dans notre société. On doit apprendre à faire face à ces problèmes qui peuvent marquer toute une vie, d’autant que la société libanaise est surmoïque. Elle s’acharne contre ceux qui entravent ses lois et ses interdits. Et c’est là que se trouve la dangerosité du VIH. Il est vrai que médicalement on arrive à contenir le virus, mais sur le plan psychologique, ce sont plusieurs mois de thérapies avant que la personne n’arrive à se reconstruire, à faire face à ses angoisses de mort et d’anéantissement, comme à la déshumanisation qui s’est mise en place, d’autant plus que le VIH est une castration de la transmission de vie car la personne vit sa sexualité comme étant porteuse de mort et non de vie. Je ne demande pas à la société de tout accepter, mais d’être un peu plus tolérante et un peu moins ignorante. »

« Pourquoi tu insistes à plaider la cause des personnes séropositives ? Je comprends bien que tu défends les droits d’un enfant malade. Mais les séropositifs ? »
Cette remarque adressée à un militant en faveur des droits de l’homme en dit long sur une société discriminatoire, qui manque de tolérance. Elle se conforte dans ses décisions, se complait dans le jugement d’autrui,...

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