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À La Une - Le point

Les choix difficiles

Une arrivée qui se dispute aujourd’hui dans un mouchoir de poche, cela ne relèverait-il pas d’une tactique vieille comme le monde destinée à fouetter les indécis ? On pourrait le croire s’il n’y avait cette évidence : les derniers hésitants ont déjà fait leur choix, conscients que jamais l’Amérique n’a frôlé d’aussi près, ni aussi longtemps, l’abîme. Au pays où le gigantisme est roi, les chiffres affolent même les plus blasés. Entre 2009 et 2012, la dette publique est passée de 5 à 16,2 trillions de dollars, le nombre de demandeurs d’emploi atteint le chiffre de 23 millions et sur la pente ardue de la croissance, l’économie ahane, malgré les 800 milliards injectés par la présente administration. La tentation est grande de pointer du doigt le « prétendu responsable ».
Dans les dernières heures qui séparent du jour J, la côte est, encore groggy après le passage de Sandy, peine à se concentrer sur une issue aussi décisive qu’une présidentielle. Le désarroi est tel que les habitants du New Jersey – une région particulièrement touchée par l’ouragan – n’ont toujours pas compris les raisons qui ont poussé leur gouverneur, l’honorable Chris Christie, à entrer dans une de ces rages folles dont il a le secret et à apostropher en ces termes les journalistes qui le harcelaient de question sur le 6 novembre : « Si vous croyez qu’en ce moment je me préoccupe de cette foutue élection, alors vous me connaissez bien mal. » Puis de se lancer dans un vibrant hommage de l’actuel locataire de la Maison-Blanche, qu’il a remercié pour sa remarquable réaction à la tragédie, ses six coups de fil en trois jours, sa proclamation du New Jersey « zone sinistrée » et le fait qu’il a répondu, au plus fort de la tempête, à son appel téléphonique à minuit passé. Rappeler pour l’occasion que l’intéressé, hier encore républicain inconditionnel, joue sa réélection l’an prochain dans un État démocrate, relève de la pure médisance.
Le procès du président sortant a été fait un nombre incalculable de fois. Il a trop promis (on est prié d’oublier la fameuse tirade du « Yes, we can ») et a trop peu accompli ; rassembleur, il s’est révélé diviseur d’une société lasse de ses trop nombreuses fractures ; cet animal politique à sang froid a été désarçonné un long moment par la manière dont son adversaire menait sa campagne, avant de se ressaisir, tardivement, au lendemain de sa désastreuse « sieste » de Denver. On pourrait allonger la liste des faux pas de cet homme favorable au compromis mais confronté à un législatif qui jamais ne lui a laissé le moindre répit et qui s’est battu 500 jours durant pour faire valoir, en vain, son point de vue sur les grands thèmes de l’actualité, qu’il s’agisse de l’impôt, du système de santé, des inégalités criantes au sein de la société ou bien de la réglementation, des services financiers.
Face à un Barack Obama plutôt timoré, on a vu un Mitt Romney opérer, en l’espace de deux mois, la plus incroyable remontée de l’histoire de ces dernières décennies. Ce fut, s’est-on dépêché de l’accuser jusque dans son propre camp, au prix de quelques contorsions qui laissent pantois. Loin de toute idéologie, il a rapidement tourné le dos à son néoconservatisme des premiers jours de la campagne électorale pour se présenter en centriste bon teint, capable d’un rééquilibrage qui rassure l’adversaire sans pour autant inquiéter l’allié. C’est ainsi qu’il n’a cessé de balancer s’agissant de l’avortement, des émissions de dioxyde de carbone, de l’interdiction des armes, de ces 47 pour cent d’Américains qui vivent aux crochets de leurs concitoyens. Les professionnels du funambulisme politiques apprécieront la prouesse et ne pourront qu’en saluer le résultat.
Jusqu’au bout, les deux duellistes ont continué à ferrailler, pareils à ces gladiateurs qui, comme dans un état second, s’entêtent dans leurs gesticulations mécaniques. Encore et toujours les « swing states » dont le choix déterminera l’issue du scrutin. Les jeux sont (presque) faits pourtant, à tout le moins dans 34 États et dans le district de Columbia (la capitale) où 30 millions de personnes ont déjà voté. Certains résultats ne laissent pas place au doute, comme en Floride, dans l’Iowa, le Nevada, la Caroline du Nord où les premiers électeurs ont nettement opté pour les démocrates, contrairement au Colorado qui reste républicain.
Trop incomplets, ces résultats ne permettent pas d’augurer de l’issue de la confrontation. Dans la presse, les éditorialistes ont prudemment choisi d’observer le silence et cèdent la place aux analystes qui s’en donnent à cœur joie. Le temps des explications viendra plus tard. À l’heure – qui sait ? – « des pertes triomphantes à l’envi des victoires », comme le dit Montaigne.
Une arrivée qui se dispute aujourd’hui dans un mouchoir de poche, cela ne relèverait-il pas d’une tactique vieille comme le monde destinée à fouetter les indécis ? On pourrait le croire s’il n’y avait cette évidence : les derniers hésitants ont déjà fait leur choix, conscients que jamais l’Amérique n’a frôlé d’aussi près, ni aussi longtemps, l’abîme. Au pays où le...

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