Rechercher
Rechercher

À La Une - Le Perspective de Michel TOUMA

D’un ras-le-bol à l’autre

Deux petites phrases lancées durant le week-end dernier permettent de fournir des indices sur les tenants et les aboutissants de l’attentat de la place Sassine, vendredi dernier. Le Premier ministre Nagib Mikati, d’abord, a très clairement souligné, samedi, que dans la logique des choses, il était difficile de ne pas établir un lien entre l’assassinat du chef des renseignements des FSI et l’affaire Michel Samaha. En clair, cela revient à pointer du doigt le régime syrien qui aurait ainsi entrepris de faire payer à Wissam el-Hassan le prix de l’arrestation de l’ancien ministre, devenu proche collaborateur de Bachar el-Assad. Le président Michel Sleiman lui-même a d’ailleurs fait allusion à un tel lien lors de l’hommage qu’il a rendu au général el-Hassan au quartier général des FSI.
Seconde petite phrase significative : celle de Fouad Siniora qui a fait état dimanche, sans détour, d’une « aide » dans l’exécution de l’attentat, apparue dans le trajet pris par la victime entre l’aéroport de Beyrouth et Achrafieh. Cela revient à accuser, de manière à peine voilée, le Hezbollah de collusion dans la planification et l’exécution de l’assassinat du fait que nul n’ignore que l’appareil sécuritaire de l’aéroport est pratiquement contrôlé par le parti chiite, lequel dispose en outre d’un dispositif de surveillance tout le long de la route de l’aéroport, comme l’avait dévoilé Walid Joumblatt en 2008.
Que ces soupçons soient aussi clairement évoqués par le chef de l’État, le Premier ministre ou même le très prudent chef du bloc parlementaire du courant du Futur, cela signifie qu’ils sont très proches de la réalité. Force est d’admettre à cet égard que le Hezbollah fait effectivement office de suspect numéro un dans l’assassinat de Wissam el-Hassan. Comment pourrait-il en être autrement lorsque l’on sait que depuis 2006 le directoire du parti chiite et ses alliés locaux, plus précisément le général Michel Aoun, mènent une campagne assidue contre la branche de renseignements des FSI et contre les FSI, d’une manière générale. Au début de l’été 2006, déjà, un haut responsable du Hezbollah – devenu par la suite
député – se plaignait ouvertement devant nous du renforcement excessif des FSI, qu’il accusait de se transformer en « milice sunnite ». Et de manière plus précise, Wissam el-Hassan en personne était traité de tous les noms par le Hezbollah et son allié fidèle, sans compter la campagne médiatique haineuse et menaçante entretenue par une certaine presse et les chaînes du 8 Mars contre celui dont le « crime » était d’avoir mis en place patiemment le seul service de sécurité de l’État à échapper au noyautage du Hezbollah et du régime baassiste. Cette cabale contre le général el-Hassan est similaire à bien des égards à celle orchestrée contre Rafic Hariri à la veille du 14 février 2005...
Le parallèle entre les deux affaires ne s’arrête pas là. Les réactions enregistrées depuis quarante-huit heures à la suite du meurtre de Wissam el-Hassan ne sont pas sans rappeler, en les percevant sous l’angle de la psychologique de masse, celles dont le pays avait été le théâtre après l’attentat de 2005, mais évidemment sur une toute autre échelle. Dans les deux cas, les assassinats ont constitué le catalyseur à un vaste ras-le-bol populaire : en 2005, le ras-le-bol était dirigé contre l’occupation syrienne ; et cette fois-ci, nous assistons à un ras-le-bol non moins généralisé contre l’arrogance et le comportement hégémonique du Hezbollah.
Un rapide survol de la ligne de conduite du parti pro-iranien au cours de ces dernières années permet de comprendre les causes sous-jacentes des troubles d’hier à Tarik Jdidé, Mazraa et Tripoli, ainsi que la maladroite tentative de prise d’assaut du Grand Sérail, dimanche. Depuis pratiquement 2006, le Hezbollah se comporte en effet comme si le pays était sa propriété privée, en faisant preuve d’une arrogance érigée en style politique et d’un mépris insultant à l’égard non seulement des autres composantes du tissu social libanais, mais aussi des institutions étatiques, des responsables officiels et de la communauté internationale dans son ensemble. Les manifestations d’un tel mépris sont légion sur ce plan. Quelques épisodes permettent de les illustrer :
– En juillet 2006, le Hezbollah entraîne sciemment le Liban dans une guerre meurtrière et destructrice avec Israël. Au terme des combats, se basant sur le principe que la meilleure défense c’est l’attaque, il se lance dans une cabale implacable contre le Premier ministre de l’époque, Fouad Siniora, et le 14 Mars, accusés de collusion avec Israël, l’objectif étant d’éviter qu’une quelconque partie lui réclame des comptes au sujet de son initiative unilatérale de déclencher un conflit armé avec Israël.
– Le 7 mai 2008, le Hezbollah lance une offensive milicienne contre les quartiers sunnites de Beyrouth afin d’imposer manu militari l’annulation de la décision prise par le cabinet Siniora de limoger le responsable de la sécurité de l’aéroport (proche du parti chiite) et de démanteler le système de surveillance hezbollahi le long de la route de l’aéroport.
– En août 2008, le capitaine Samer Hanna est tué de sang froid à bord d’un hélicoptère de l’armée au-dessus d’une position du Hezbollah au Liban-Sud. Le milicien responsable du tir est livré à la justice, mais il est libéré au bout de... quatre mois d’incarcération (à l’évidence sous la pression du parti pro-iranien). Quatre mois pour le meurtre d’un officier dans l’exercice de ses fonctions... Et depuis, ce meurtre est relégué aux oubliettes.
– En juin 2011, le Tribunal spécial pour le Liban inculpe quatre responsables du Hezbollah dans l’affaire de l’assassinat de Rafic Hariri. Réaction des dirigeants du parti chiite : les quatre accusés sont des « icônes » et ne seront jamais livrés à la justice.
– En juillet 2012, une tentative d’attentat contre le député Boutros Harb est déjouée. Un cadre du Hezbollah est mis en cause par les caméras de surveillance. Jusqu’à présent, le parti chiite refuse que le cadre en question soit entendu par le juge d’instruction.
– Et plus récemment : le Hezbollah fait table rase de la politique officielle de distanciation à l’égard de la crise syrienne décidée par le Premier ministre et annonce sans ambages (alors qu’il constitue la pierre angulaire du gouvernement) qu’il mène une « mission jihadiste » en Syrie aux côtés du régime syrien. Et parallèlement, le parti balaye d’un coup de main le projet de stratégie de défense prônée par le chef de l’État en prenant la décision unilatérale de lancer un drone, « de fabrication iranienne », au-dessus du territoire israélien.
Il ne s’agit là que de quelques exemples qui mettent en relief le dédain systématique manifesté, dans les faits, à l’égard des autres factions libanaises, du président de la République, du Premier ministre, du gouvernement, des institutions de l’État, de la communauté internationale et de l’intérêt libanais en général, la priorité absolue étant accordée aux objectifs stratégiques de l’axe irano-syrien. Il a résulté d’une telle posture politique un profond sentiment de frustration sans cesse croissante qui a évolué en ras-le-bol allant crescendo.
Comme ce fut le cas en février 2005, ce ras-le-bol généralisé a éclaté au grand jour et s’est exprimé de manière ferme à la suite de l’assassinat de Wissam el-Hassan. D’où les réactions jusqu’au-boutistes et radicales enregistrées dans plusieurs milieux, mêmes les plus pacifistes, surtout parmi les jeunes. Et si le leadership du 14 Mars désire éviter des dérapages incontrôlés comme ceux enregistrés ces dernières quarante-huit heures, il se doit, aujourd’hui avant demain, de sortir du cycle stérile des déclarations lénifiantes et de retourner sans tarder au souffle du printemps 2005. Car face au langage des assassinats et des voitures piégées, le stylo et la bonne parole paraissent dérisoires. Au directoire du 14 Mars de faire preuve d’imagination et de prospecter, réellement, efficacement et surtout rapidement, les possibles voies non violentes susceptibles de constituer un réel contrepoids à la déraison meurtrière.
Deux petites phrases lancées durant le week-end dernier permettent de fournir des indices sur les tenants et les aboutissants de l’attentat de la place Sassine, vendredi dernier. Le Premier ministre Nagib Mikati, d’abord, a très clairement souligné, samedi, que dans la logique des choses, il était difficile de ne pas établir un lien entre l’assassinat du chef des renseignements des FSI...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut