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À La Une - Liban

Georgette, l'autre victime de la place Sassine

Georgette Sarkissian est morte vendredi dernier dans l’attentat qui a coûté la vie à Wissam el-Hassan et son compagnon. Sa mort a dévasté toute une famille.

« Elle est partie pour rien, Georgette. »

Dans le quartier bondé de Haret Sader à Bourj Hammoud, en ce lundi morbide qui a suivi l’assassinat du chef des renseignements des FSI, Wissam el-Hassan, la vie pourrait presque paraître normale. À l’école maternelle Saint-Joseph en bordure de l’église qui porte le même nom, les enfants en récréation s’attellent à imaginer qu’ici, dans leur cour de récré, les forces du mal sont interdites d’accès. Mais ces enfants aux rires dérisoires ignorent qu’au Liban ils côtoient la mort au quotidien, beaucoup plus proches d’elle qu’ils ne pourraient l’imaginer. Dans la cour de l’église où retentissent leurs rires, une vingtaine de personnes se sont réunies dans le deuil. Elles ont perdu vendredi Georgette, un être cher.


À 45 ans, Georgette travaillait à la banque BEMO à la place Sassine depuis plus de dix ans. Elle y servait le café aux employés. Troisième et dernière martyre de l’attentat contre Wissam el-Hassan, Georgette a laissé deux enfants, Hovig (15 ans) et Thérèse (21 ans), et son mari, Joseph, employé dans une compagnie d’assurances. Non, elle n’a pas fait un vol de cent mètres suite à l’explosion. Non, elle n’allait pas préparer le repas pour sa famille dans sa maison à Bourj Hammoud. Mais toujours est-il qu’elle n’est jamais revenue.


À l’église Saint-Joseph, le député Nadim Gemayel vient présenter ses condoléances. Hovig me raconte l’histoire qu’il tient de Thérèse, qui a survécu au drame avec quelques blessures au visage. « Ma sœur était partie raccompagner ma mère, qui ne conduit pas, à la maison. Elles étaient toutes deux à la banque en compagnie d’un autre employé. La plupart du personnel de la banque étaient déjà partis. Quand la voiture piégée a explosé, ma sœur Thérèse a reçu du verre sur le visage, mais elle est restée consciente. Elle a vu ma mère inconsciente affalée sur le sol, la tête gravement blessée. Elle l’a portée jusqu’à sa voiture, aidée par un homme qui passait dans la rue. Quelques instants après leur arrivée aux soins intensifs à l’hôpital, ma mère, déjà dans le coma, est morte. Moi j’étais de retour de l’école, à la maison à Bourj Hammoud. »

 

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Hovig essaie de rester serein. Il ne pleure pas. En fait, l’atmosphère au salon de l’église est des plus calmes, comme l’après-messe d’un dimanche matin. La femme de l’unique frère de Georgette ne dit qu’un seul mot : « Christ est ressuscité. C’est notre foi chrétienne. »


« Georgette a été enterrée samedi dans son village natal de Bkaatouta, comme elle l’aurait voulu », explique une proche de la famille. « C’était une femme très comme il faut, une vraie mère. Depuis qu’elle s’est mariée et a vécu dans notre quartier de Haret Sader, nous l’avons beaucoup aimée. Elle était très active à la paroisse Saint-Joseph, tout comme son mari et ses enfants. On arrive à peine à concevoir ce qui s’est passé, le choc est de taille », poursuit-elle.
De son côté, le cousin de Georgette, Mayzid, exhale sa colère. « Nous entendions toujours parler des attentats, des familles détruites, dit-il, nous n’aurions jamais pensé que cela puisse nous arriver un jour. Une femme qui a fait des sacrifices toute sa vie pour soutenir sa famille et m’aider personnellement quand ma mère n’était pas là, elle m’a fait grandir comme un de ses enfants, m’aidait à étudier... Qu’elle parte de cette manière n’est pas permis. Ce n’est pas la volonté de Dieu. Elle est partie pour rien, Georgette. C’est la dure vérité. Nous avons toujours soutenu une certaine ligne politique dans notre famille, celle du 14 Mars, mais aujourd’hui, la politique ne nous dit plus rien. Nous sommes dégoûtés, nous avons tout perdu. »


J’ai laissé Mayzid à ses idées de revanche. Il espère un jour pouvoir tuer les agresseurs de ses propres mains. Je me suis dirigé vers une petite ruelle non loin de l’église. C’est ici que Georgette a vécu : une demeure des plus modestes, dans un quartier des plus pauvres, aujourd’hui décoré de rubans blancs. La couturière du quartier elle aussi a consommé sa rupture avec la politique. Elle déplore le sort de Georgette, « cette femme qui ne cherchait pas les problèmes, qui venait à bout d’elle-même pour joindre les deux bouts, elle et son mari »...
Mais ici, au Liban, il n’est nul besoin de chercher les problèmes. Ils savent nous trouver, nous traquer, dans nos maisons comme dans celle de Georgette, la dernière martyre de l’attentat de vendredi, qui était innocente. Mais ne l’étaient-ils pas tous, d’ailleurs ?

 

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