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À La Une - En dents de scie

L’odeur du sang ne le quittait pas des yeux

Quarante-deuxième semaine de 2012.
La bête avait faim. Le dernier repas de la bête remontait à 2008. À l’époque, c’était un autre Wissam, Wissam Eid, un geek génial, un Einstein du renseignement, que la bête avait dévoré. La période avait été gargantuesque : de Rafic Hariri en 2005 à Antoine Ghanem en 2007, la bête, boulimique de naissance, était aux anges. Puis plus rien. La bête a commencé à crever de faim – enfermée dans un placard, quelque part à Damas, à Téhéran ou à Haret Hreik. La bête en pleurait. Mais peu importe : ses dompteurs étaient persuadés qu’ils n’avaient plus grand-chose à craindre. Que le Tribunal spécial pour le Liban allait finir dans le mur, dans ses illusions. Rassurés. Jusqu’au printemps (syrien) de 2011 : ils ont commencé à s’inquiéter ; la bête à espérer. Plus tard, surtout : l’hiver 2012. Puis l’été. Puis l’automne. Et hier, la bête a été lâchée. Pour se faire pardonner, ses dompteurs lui ont offert un festin de reine : encore un Wissam, mais d’un tout autre gabarit. Anéanti par la bête, Wissam el-Hassan était le cœur et les poumons des services de renseignements libanais. Biberonné au rifisme, Wissam el-Hassan était un cerveau d’une modestie, d’une timidité et d’une humanité au moins égales à ses compétences : gigantesques. Il était le cauchemar quotidien des terroristes et des collabos de tout poil, les prosionistes et les probaassistes, les (anciens) ministres et les exécutants/eurs lambda.
Les dompteurs ne sont pas seulement criminels. Ils sont grandement sots.


Sots parce que la bête ne s’est pas contentée d’égorger Wissam el-Hassan : elle a tué au moins deux personnes de plus et en a blessé, parfois grièvement, cent dix autres. Parmi ceux qui détestent le 14 Mars en général et le courant du Futur en particulier, une très grande partie était littéralement hors d’elle ; parmi ceux-là, une très grande partie sait pertinemment que ce ne sont ni les FARC, ni el-Qaëda, ni le Mossad, ni la mafia chinoise qui ont commandité l’assassinat de Wissam el-Hassan, qui l’ont suivi au corps, satellites probablement en appui, de l’aéroport jusqu’à l’heure de sa mort, comme ils l’avaient fait avec Gebran Tuéni. Une mort en un lieu éminemment symbolique, un placenta sacré : la place Sassine, celle de Bachir Gemayel, celle des libres, des amazones et des chevaliers, celle qui fait fantasmer heure par heure les Nicolas Sehnaoui, Massoud Achkar et autres Ziad Abs ; la place Sassine qui finit de sceller cette alliance devenue organique, vitale, entre chrétiens et sunnites du 14 Mars. Avec un petit détail macabre : la bête a assassiné Wissam el-Hassan à quelques mètres seulement de là où résidait le plus beau trophée du patron des renseignements : Michel Samaha, l’homme à tout faire de Bachar el-Assad, désormais en prison. Toute une symbolique. Jamil el-Sayyed et ses semblables ne riront pas longtemps.


Sots, tellement sots aussi, ces dompteurs, parce qu’ils pensaient, ils espéraient, en dynamitant Wissam el-Hassan, soit réduire en cendres ces services de renseignements, ce talent qui les terrorisait, soit s’en emparer. Oubliant que Wissam el-Hassan, ce somptueux trompe-la-mort (il aurait été tellement facile de faire comme Hassan Nasrallah : s’enterrer...), a pensé à tout, a tout transmis, a tout légué, a tout organisé. Oubliant qu’un homme est encore là : un homme à qui les deux Wissam et tous les autres braves et vaillants anonymes ou têtes pensantes des FSI doivent tant ; un homme aux cent et un défauts, certes, mais à qui tout le Liban doit et devra tant ; un homme meurtri par l’assassinat de son frère de combat(s) et qui n’épargnera probablement aucun effort pour, dans le cadre de la loi, le venger : Achraf Rifi.


Sots, tellement sots enfin, ces dompteurs, parce qu’ils ont sans doute réussi là où tout le monde échouait : ressusciter, fût-ce brièvement, ce 14 Mars bronchiteux et neurasthénique, formé de quelques magnifiques individualités mais au-delà du stérile en collectif; ce 14 Mars qui a vite fini de redevenir ce qu’il était atrocement sous le mandat Lahoud : une des oppositions les plus inutiles de la planète. Saad Hariri a là une occasion en or de revenir sur mille chevaux d’écume à Beyrouth, parce qu’entre la vocation au martyre et la nasrallahisation dans une demi-douzaine de bunkers, il reste un milieu juste à trouver ; une occasion en or de retrouver ses partisans, de leur serrer la main, de parler de son père, de se réincarner ; une occasion en or d’asséner le plus somptueux des doigts d’honneur à ses adversaires politiques ; une occasion en or de calmer la rue sunnite, de ne pas laisser les autres (l’autre ?) essayer de le faire à sa place, de la convaincre de ne pas tomber dans le piège baassiste, de la convaincre de ne pas copier ceux qu’elle méprise; de la convaincre surtout, cette rue sunnite, de ne pas tenter le diable, de ne pas rallumer les feux si mal éteints des guerres civiles de 1975-1990 et de mai 2008, et de ne jamais confondre la communauté chiite, ses frères, avec le Hezbollah.


Sots, tellement sots, ces dompteurs, parce que, en lâchant la bête contre Wissam el-Hassan et en pleine place Sassine contre l’iconique Achrafieh, ils viennent d’offrir une seconde naissance au 14 Mars : la possibilité de renaître en 19 octobre. Le cynisme en rêvait, la bête l’a fait : en mourant, Wissam el-Hassan a ouvert la saison de l’absolue chasse, il a ouvert la campagne électorale avec tambours et trompettes (de mort), et le 8 Mars est déjà (si) loin derrière.
Juste un petit problème : l’attentat d’Achrafieh a fait une victime collatérale. Et pas n’importe laquelle : Nagib Mikati. Qui n’a plus qu’une alternative. S’approcher de Rafic Hariri en dynamitant cette stupide distanciation qu’il a fait sienne jusqu’à la moelle et en rompant toute relation avec le gang Assad, ou tendre vers Omar Karamé, faire furieusement l’autruche et se voir obligé de démissionner et de quitter ce Sérail qu’il chérit tant comme un voleur. Pire : comme un complice d’assassinat.


Le Premier ministre est un homme bien que sa soif de pouvoir a poussé à s’allier avec la pire espèce politique que le Liban ait connue : le 8 Mars de Hassan Nasrallah, de Michel Aoun et de leurs alliés. Que la mort de Wissam el-Hassan l’aide au moins à s’en débarrasser. Tripoli s’en souviendra(it). Peut-être.

Quarante-deuxième semaine de 2012.La bête avait faim. Le dernier repas de la bête remontait à 2008. À l’époque, c’était un autre Wissam, Wissam Eid, un geek génial, un Einstein du renseignement, que la bête avait dévoré. La période avait été gargantuesque : de Rafic Hariri en 2005 à Antoine Ghanem en 2007, la bête, boulimique de naissance, était aux anges. Puis plus rien. La...

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