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À La Une - Un peu plus de...

Dis-moi où tu habites

Serions-nous complètement schizophrènes ? Totalement décalés avec notre histoire à la fois phénicienne, ottomane, française et autre ? Tellement désorientés que nous en aurions perdu le nord ? Au point de ne savoir ni le nom des rues, ni leur origine, ni le changement de leur appellation. Il faut probablement être un sacré érudit pour savoir de qui on parle sur cette plaque bleue et surtout pourquoi on en parle. Au Liban en général, et à Beyrouth en particulier, il y a le quartier, le secteur, le nom de la rue, la zone. Sur ces plaques on trouve de grands hommes, des Français, des martyrs, des couleurs, des numéros, des pays, des villes, des noms de famille. Une sorte de cocktail en somme, un achta/fraise/moz not shaken mais stirred. Avec des changements au gré des humeurs des uns et des autres. Arabisons, orientalisons, libanisons, narcissisons. Et au-delà de la désignation officielle de la rue, il y a la nomination populaire. Non, à Achrafieh, la rue ne s’appelle plus Trabaud mais Wadih Naïm, un ancien député pourtant originaire de Chiyah. Oui, mais les Achrafiotes, comme la plupart des Libanais qui empruntent cette rue, ne connaissent que le nom de Trabaud, gouverneur du Liban de 1920 à 1923. On a souvent troqué les noms français de l’époque du mandat contre des personnages plus libanais. Idem pour l’époque ottomane. Sé7et el-Bourj est devenue la place des Canons sous l’Empire ottoman, puis celle des Martyrs de 1916. Un 6 mai où furent exécutés des journalistes dont Abdel Wahab el-Inglisi qui donna son nom à la célèbre rue d’Achrafieh. Rien à voir avec le chanteur du même nom qui écrivit Inta Omri à Oum Kalsoum. Cette rue qui, pour les nostalgiques, commence là où il y avait Iznogoud. C’est là que réside notre confusion. Et c’est tout à fait légitime qu’elle existe. Entre un nom remplacé, un autre inexistant, une boutique décédée et un sens qui change au gré des humeurs de la municipalité, comment voulez-vous ne pas perdre la boule ? Tari2 el-Nahr s’est toujours appelée rue d’Arménie. Mais pour tout le monde, cette large rue s’appelle ainsi parce qu’elle nous mène vers le fleuve, même desséché. Follow the river.
Ce qui est beau dans l’usage populaire, c’est que souvent il a plus de sens que le nom de la rue elle-même. Et puis il a une véritable petite histoire libanaise et commune au lieu de n’appartenir qu’à une famille ou à un petit bout de l’histoire avec un grand H. Comment ferait-on sans Dfouni? Où irait-on ? Que ferait-on sans la SNA (place Gebran Tuéni), sans Cola, sans l’ex-KO la BDthèque, sans Soulier Gérard, sans Sodeco (rue Petro Trad) ? Des sociétés de construction, des traiteurs, des assurances qui ont prêté leur nom à des quartiers ou à des rues. Comment ferait-on pour indiquer son immeuble sans dire Mozart Chahine, Lebanese Canadian Bank, Sleep Comfort, La Cigale, Crepaway, beit’l’Hariri, quelle que soit la région où l’on se trouve ? Tu vois où est bineyét Bachir ? Tu continues et tu vas tout droit, j’habite à Mar Mitr. Ce ne doit pas être très drôle d’habiter (pour l’éternité) à Mar Mitr. Y a plus glam quand même qu’un cimetière ou le nom d’un martyr. Parce que pendant la guerre, on a souvent donné le nom de personnes tombées pour le Liban. Noms qu’on a effacés par la suite. Plus glam qu’un cimetière donc, il y a la France : Verdun, Clemenceau, Foch, Pasteur, De Gaulle, les fondateurs et enseignants de l’USJ, Monnot et Huvelin, le fondateur de l’AUB, Bliss. Il y a les villes européennes à Hamra : Madrid, Vienne, Londres (qui se prend à gauche comme dans la capitale éponyme). Il y a l’Amérique latine : Uruguay, Paraguay, Argentine. Il y a les familles Sursock, Joumblatt. Les présidents : Charles Hélou, Camille Chamoun, Béchara el-Khoury ou Élias Sarkis. Il y a la place de l’Étoile comme là-bas dans l’Hexagone. Il y a cette rue du Liban qu’on aurait pu penser immense et large telle une avenue ou un boulevard. Une rue qui porte le nom de son pays et qui, étroite, va dans deux sens, dont l’un vers le Zaroub el-Haramiyé. Les rues changent souvent de sens d’ailleurs. Un coup elle monte, un autre elle devient descente : Pharmacie Berty direction Sassine/ABC. On aime les montées et les descentes au Liban, tal3 el-Alexandre, nazlet Hôtel-Dieu, Basta Ta7ta, Basta Faou2a. Et puis il y a les jolies zones colorées, les bleues, les vertes, les roses et les rues 12, 5 ou 7 quand on sort de Beyrouth. Il y a aussi l’orthographe, une fois française, une autre anglo-saxonne. Achrafieh, Ashrafieh, Achrafié.
Et cette question assez intéressante. Pourquoi certains grands hommes n’ont-ils pas de rue en leur nom, alors que d’autres bien vivants et bien plus petits ont une avenue ou une place ? Allez savoir...
Serions-nous complètement schizophrènes ? Totalement décalés avec notre histoire à la fois phénicienne, ottomane, française et autre ? Tellement désorientés que nous en aurions perdu le nord ? Au point de ne savoir ni le nom des rues, ni leur origine, ni le changement de leur appellation. Il faut probablement être un sacré érudit pour savoir de qui on parle sur cette plaque bleue et...

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