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À La Une - Liberté d'expression

La Tunisie "étouffe" les artistes qui "pensent différemment", accuse HRW

Des sculpteurs risquent la prison pour des œuvres "insultantes envers l’islam".

Le portrait de Nadia Jelassi (au centre), entourée de photos d'internautes tunisiens solidaires avec sa cause. Image tirée de Facebook

Human Rights Watch (HRW) a appelé lundi les procureurs tunisiens à abandonner les poursuites contre deux sculpteurs accusés d'avoir produit des oeuvres "dangereuses pour l’ordre public et les bonnes mœurs". "Les poursuites pénales contre des artistes pour des œuvres d’art qui n’incitent ni à la violence ni à la discrimination violent le droit à la liberté d’expression", affirme dans un communiqué l’organisation internationale pour la défense des droits de l’Homme.

 

Selon HRW, Nadia Jelassi et Mohamed Ben Slama, dont les œuvres étaient exposées en juin 2012 à La Marsa, dans la banlieue nord de Tunis, pourraient écoper d’une peine allant jusqu’à cinq ans de prison s’ils sont reconnus coupables par la justice tunisienne. Jelassi avait présenté des sculptures de femmes voilées émergeant d’un amas de pierres, alors que l’œuvre de Ben Salma représentait une file de fourmis sortant d’un cartable d’écolier et formant le mot "Subhan Allah"(A la gloire de Dieu, ndlr).

 

"À maintes reprises, les procureurs se sont servis de la législation pénale pour étouffer l’expression critique ou artistique, accuse Eric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. Des blogueurs, des journalistes et à présent des artistes sont poursuivis pour avoir exercé leur droit de s’exprimer librement".

 

Au delà des deux artistes, c'est toute l'exposition "Printemps des Arts" à La Marsa qui avait suscité une controverse en juin dernier, les réseaux salafistes dénonçant comme impies et attentatoires "aux valeurs du sacré" plusieurs oeuvres qui ont été lacérées ou brûlées. S'en était suivie une vague de violences dans plusieurs régions du pays. Des salafistes en colère avaient mis le feu à des tribunaux, des postes de police et d’autres institutions publiques, rappelle HRW, alors que la mort d'un civil avait été rapportée.

 

Nadia Jelassi a affirmé à HRW avoir été contactée par la police quelques jours après les incidents. Le 17 août, elle s’est rendue au tribunal de première instance de Tunis, à leur demande, et le juge d’instruction du deuxième bureau l’a informée qu’elle était accusée de "nuire à l’ordre public et aux bonnes mœurs" selon l’article 121.3 du code pénal. Le 28 août, le juge d’instruction l’a interrogée.

"J’avais l’impression d’être au temps de l’Inquisition", a-t-elle déclaré à HRW. "Le juge d’instruction m’a demandé quelles étaient les intentions derrière les œuvres visibles à l’exposition, et si j’avais voulu provoquer les gens à travers ce travail".

 

L’article 121.3 du code pénal définit comme un délit "la distribution, la mise en vente, l’exposition aux regards du public et la détention en vue de la distribution, de la vente, de l’exposition dans un but de propagande, de tracts, bulletins et papillons d’origine étrangère ou non, de nature à nuire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs".

 

Depuis plusieurs mois, l'opposition et des représentants de la société civile tunisienne accusent le gouvernement dominé par le parti islamiste Ennahda de manquer de fermeté voire de faire preuve de complaisance envers les salafistes.

 

"De nombreux Tunisiens s’attendaient à ce que des lois répressives comme l’article 121.3 ne survivent pas longtemps au dictateur (Zine el-Abidine Ben Ali, ndlr) qui les avait fait adopter, a souligné M. Goldstein. Nous observons à présent que tant que le gouvernement provisoire ne se fixe pas comme priorité de se débarrasser de telles lois, la tentation est irrésistible de les utiliser pour réduire au silence ceux qui sont en désaccord ou qui pensent différemment".

 

En août, des fondamentalistes ont empêché la tenue d'au moins trois manifestations culturelles en pleine saison de festivals et de jeûne du ramadan.

 

Le 6 août, le responsable du festival de Gboullat, dans la région de Béja (nord), annonçait l'annulation de l'évènement en raison de pressions, notamment de la part de "salafistes".

Le lendemain, à Menzel Bourguiba (nord), d'autres islamistes radicaux ont bloqué la scène sur laquelle le célèbre comique Lofti Abdelli, qu'ils accusent d'offense à l'islam, devait jouer son spectacle "100% halal".

Le 8 août, c'est à Kairouan (160 km au sud de Tunis) que les membres du groupe iranien Mehrab ont été empêchés de se produire au Festival international de musique sacrée et soufie. Leur méfait : être chiites, ce qui est une atteinte au sacré selon des fondamentalistes sunnites.

 

A chaque fois, les forces de l'ordre tunisiennes, qui dispersent sans ménagement les mouvements sociaux ces dernières semaines, se sont montrées plutôt discrètes, n'annonçant aucune interpellation.

 

Dès lors, certains soupçonnent de complicité Ennahda, qui était déjà dans la ligne de mire de défenseurs des droits de l'Homme pour avoir déposé un projet de loi punissant de prison ferme l'atteinte au sacré.

 

Le chef du parti islamiste, Rached Ghannouchi avait expliqué en juillet chercher le dialogue avec les salafistes afin que la Tunisie ne retombe pas dans "l'oppression, la torture, l'emprisonnement" qui caractérisaient le régime du président déchu Ben Ali. "Les chasser et les pourchasser ne fera qu'augmenter leur exclusion et radicaliser leur engagement", jugeait-il.

 

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Human Rights Watch (HRW) a appelé lundi les procureurs tunisiens à abandonner les poursuites contre deux sculpteurs accusés d'avoir produit des oeuvres "dangereuses pour l’ordre public et les bonnes mœurs". "Les poursuites pénales contre des artistes pour des œuvres d’art qui n’incitent ni à la violence ni à la discrimination violent le droit à la liberté d’expression",...

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