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À La Une - Dossier

L’économie libanaise étouffe sous le régime confessionnel

Économistes et acteurs du secteur privé sont de plus en plus nombreux à dénoncer les conséquences ravageuses du système confessionnel sur l’économie libanaise. Selon des chiffres issus du budget 2012, les paiements directs aux tribunaux religieux représentent 16 millions de dollars, et 111 millions de dollars sont transférés aux écoles gratuites privées, soit 12 % du budget de l’ensemble de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur.

Le 7 mai dernier une « Laïque Pride » était organisée à Beyrouth. Les Libanais étaient invités à prendre la parole sur ce qu’ils souhaitent changer au Liban.

« Comment voulez-vous réformer l’économie d’un pays où même les fruits ont une religion : la pomme étant maronite, la vigne catholique, l’olive orthodoxe, l’orange sunnite, le tabac chiite et la figue druze ? » La question de l’économiste belge Van Zeeland fut posée au terme de la Seconde Guerre mondiale, ce dernier ayant été convié au Liban pour proposer des pistes de relance.


« Au-delà de la caricature, ce constat est d’une lucidité exceptionnelle, considère Nicolas Chammas, président de l’Association des commerçants de Beyrouth (ACB). Le régime politique étant figé autour du principe confessionnel, il entrave l’évolution même du système économique, empêchant ainsi toute tentative sérieuse de réforme de l’État, de modernisation des institutions, de refonte de l’administration ou du renouvellement des élites ». Par ailleurs, selon le président de l’ACB, le régime confessionnel étant par essence générateur de conflits, les répercussions sur l’économie libanaise s’avèrent souvent ravageuses, comme le prouve le désastre de la saison estivale de 2012. « Ces conflits ont beau être chauds (1975-1990) ou froids (2005 à ce jour), leurs conséquences, quoique d’intensité et de fréquence variables, agissent de façon dramatique sur le tissu socio-économique du pays », dénonce-t-il. Selon lui, une transition douce vers un système politique civil et déconfessionnalisé, voire laïc, accompagné d’une large décentralisation administrative, contribuerait sans doute à unifier la nation.


« En évacuant de la scène nationale les sujets politiques causant le plus de clivage, la collectivité libanaise pourrait enfin, avec plusieurs décennies de retard, se pencher, et agir sur les thèmes plus porteurs et plus rassembleurs de l’économie. » Cet avis est également partagé par l’économiste Jad Chaabane. « Le régime confessionnel entrave la concurrence permettant et légalisant l’existence de plusieurs monopoles, explique-t-il. Il va à l’encontre même des lois du marché, des droits de l’homme et de l’efficacité gouvernementale. Le pays demeure dans une logique autodestructrice, car le régime confessionnel pèse lourd sur l’économie. »


Selon les derniers calculs de l’économiste issus des chiffres du budget 2012, les paiements directs aux tribunaux religieux représentent quelque 16 millions de dollars, tandis qu’un mariage civil obligatoire permettrait à la société d’économiser 5,6 millions de dollars par an. En outre, 111 millions de dollars sont transférés aux écoles gratuites privées, soit 12 % du budget de l’ensemble de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur , tandis que 96 % du budget du ministère des Affaires sociales est alloué à des ONG. Au total, ces chiffres représentent 242 millions de dollars uniquement en transferts directs, soit 1 % du PIB.


Par ailleurs, dans une étude publiée l’année dernière, l’économiste avait démontré que chaque année, le système coûte en moyenne 114 000 dollars à chaque Libanais. Ainsi, selon ses recherches, près de 3 milliards de dollars, soit 9 % du PIB, sont dépensés chaque année pour couvrir les coûts liés au système confessionnel. Dans le secteur public, Jad Chaabane considère que « 16 % des fonctionnaires représentent un fardeau supplémentaire engendré par le système confessionnel ». Ces fonctionnaires « superflus » coûteraient 396 millions de dollars par an. De plus, les politiciens exercent des pressions pour éviter que leurs partisans, de la même confession, ne payent leurs factures. Les pertes engendrées à ce niveau s’élèveraient ainsi chaque année à 67,5 millions de dollars dans le secteur de l’eau et à 150 millions de dollars dans celui de l’électricité. Pour atteindre ces résultats, l’économiste a agrégé les coûts causés par des facteurs aussi divers que la prévalence du système confessionnel dans le système éducatif et au travail, l’absence de mariage civil dans le pays, le système des quotas dans l’administration ou encore les habitudes communautaires sur le marché de l’immobilier...

Le Liban aura-t-il aussi son printemps arabe ?
Dans un tel contexte, il est alors intéressant de se poser la question de l’immobilisme de la société libanaise et de savoir pourquoi les Libanais ne se révoltent pas. Pour Jad Chaabane, la réponse réside dans le système d’imposition du pays. « La plupart des recettes de l’État sont le fait de taxes indirectes, explique-t-il, provenant ainsi de la consommation des ménages essentiellement, dont la TVA. Il ne s’agit pas d’un impôt direct sur le revenu comme dans d’autres pays, où une hausse de ce type de taxe mobiliserait directement la population. »

Des alternatives possibles
Mohammad Hamdane est un jeune ingénieur et membre de « Haqqi alayyi », mouvement né dans la foulée des révolutions arabes et réclamant la chute du système confessionnel libanais. Près d’un an plus tard, l’initiative a donné naissance à un véritable groupe de travail se penchant sur l’ensemble des grands dossiers libanais (réforme du système de santé, de l’éducation, des droits sociaux...). Pour lui, peu importe le dossier, « la guerre est la même : la chute du système confessionnel, même si les batailles sont multiples », ce dernier affectant l’ensemble de la vie quotidienne des Libanais. « Les faits sont là : le régime confessionnel a échoué, insiste-t-il. C’est un système qui a anéanti le secteur public, créé un surcoût économique évident tout en générant des conflits. » « Un système laïc est la seule voie possible, c’est une conviction, poursuit le jeune homme. Éducation, santé, salaires... selon le jeune militant, l’ensemble des grands dossiers est victime du système. » « Prenez l’électricité par exemple, il n’existe aucune logique de rentabilité économique dans la construction d’usines et dans la distribution. L’un des principaux blocages du dossier de l’électricité réside dans une histoire de conflits d’intérêts afin de maintenir un certain équilibre entre les différentes minorités confessionnelles. »
Pour Jad Chaabane, sur le court terme, seul un choc majeur comme une flambée des prix du pétrole pourrait vraiment faire bouger les choses, en affectant directement les transferts au Liban et ainsi le système.

« Comment voulez-vous réformer l’économie d’un pays où même les fruits ont une religion : la pomme étant maronite, la vigne catholique, l’olive orthodoxe, l’orange sunnite, le tabac chiite et la figue druze ? » La question de l’économiste belge Van Zeeland fut posée au terme de la Seconde Guerre mondiale, ce dernier ayant été convié au Liban pour proposer des pistes de...

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