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À La Une - Liban

Le scandaleux vol Paris-Damas-Larnaca-Beyrouth d’Air France

L’avion d’Air France venant de Paris, qui a été dérouté mercredi soir vers Chypre, via Damas, a finalement atterri hier à l’aéroport de Beyrouth. Familles et passagers crient à l’aberration et dénoncent la décision de la compagnie aérienne de transiter par la capitale syrienne en état de guerre plutôt qu’à Beyrouth où les autres vols ont normalement atterri.

L'aéroport de Beyrouth.

Atmosphère plutôt sinistre hier à l’aéroport de Beyrouth – alors qu’ il devrait grouiller de vie en cette période de l’année – au lendemain des manifestations qui ont bloqué la route de l’aérogare. Un tableau négatif qui fait malheureusement partie de la vie des Libanais, depuis quelques mois déjà.


Dans le terminal, une centaine de personnes, y compris les chauffeurs de taxi, attendent patiemment l’arrivée des voyageurs, des amis ou des membres de la famille venus passer quelques jours à Beyrouth. Au loin, un jeune adolescent, bouquet de fleurs à la main, fait les cent pas en parlant au téléphone. « L’avion devrait arriver dans une demi-heure », explique-t-il à son interlocuteur.


Il est 16 heures. Le jeune homme, Jean, attend sa copine, une Française de 19 ans qui effectue sa première visite au Liban. Elle était à bord de l’avion d’Air France en provenance de Paris et dérouté mercredi soir vers Chypre, en raison « de la dégradation rapide de la situation sécuritaire à Beyrouth », comme le précise un communiqué de la compagnie aérienne. Quelque 174 passagers étaient à bord, au nombre desquels l’ambassadeur de France Patrice Paoli et onze membres d’équipage.


« Je suis ici depuis hier (mercredi soir) », indique Jean, qui confie que c’est le deuxième bouquet qu’il achète à sa copine, le premier ayant flétri. « Sur le tableau d’affichage, on avait annoncé que l’avion était en avance, poursuit-il. Quinze minutes avant l’atterrissage prévu à 21h45, on a annoncé que le vol a été annulé. » Un sentiment de panique a ainsi envahi Jean ainsi que toutes les autres familles présentes.


« Ce fut un choc. On ne comprenait pas ce qui se passait, affirme Paul, qui attend son beau-frère. Nous nous sommes adressés au desk de la MEA qui nous a référés au bureau d’Air France. Au terme d’une interminable attente, on nous a expliqué que l’avion a été dérouté vers Amman “pour des raisons sécuritaires”. De retour chez moi, ma femme m’annonce que son frère a réussi à l’appeler. Pour lui dire que l’avion a atterri à Damas et que le personnel de bord leur a demandé de garder les cache-hublots fermés, d’éteindre les téléphones portables et les lumières. Lorsqu’on a pu lui reparler, plusieurs heures plus tard, il nous a expliqué que les membres de l’équipage leur ont même demandé de chercher dans leurs portefeuilles pour régler la facture du carburant et que pendant quelque temps, ils ont cru qu’ils étaient pris en otages. »


Pendant plusieurs heures, les familles et amis des passagers étaient dans une totale incertitude quant au sort de ces derniers. « En soirée, nous avons appelé la cellule de crise du Quai d’Orsay, explique Simon, qui attendait son frère. On nous a dit : “Ils sont à Damas. La situation est critique, mais on essaie de faire quelque chose.” Vers 2h, on nous a rappelés pour nous dire que l’avion s’est dirigé vers Larnaca à Chypre. »

Une pétition contre
16h25. Les yeux des familles sont de nouveau rivés vers le tableau d’affichage. Rien n’indique que l’avion est arrivé. « J’attends depuis 13h30, s’insurge Hélène. L’avion devait atterrir à 14h. Puis on nous a dit qu’il a eu du retard et qu’il arrivera à 16h25. Maintenant, on nous dit qu’il sera là à 17h30. Ce qui se passe n’est pas permis. On n’a pas le droit de traiter ainsi les gens. »


Des protestations s’élèvent aussitôt au sein du groupe, suivies d’une flopée de questions : « Comment dirige-t-on l’avion vers Damas qui est un pays de guerre et on interdit qu’il se pose à Beyrouth ? » « Pourquoi Damas alors que Beyrouth est à quelques kilomètres de la capitale syrienne ? » « Pourquoi seule Air France de toutes les autres compagnies a décidé de ne pas atterrir à Beyrouth au moment où les autres vols de l’Union européenne et même ceux des pays arabes ont bien atterri à l’AIB ? »


« Je pense que la situation au Liban a été exagérée et le mauvais choix a été fait, reprend Paul. Air France a mis la vie des passagers en danger ne serait-ce que pour l’atterrissage en urgence, sans parler de la situation à Damas. Les familles ont été choquées par le manque de professionnalisme de cette compagnie. »
Une remarque partagée par le petit groupe rassemblé au terminal. « Nous avons formé un groupe de cinquante personnes et avons adressé une pétition en ligne contre Air France, explique une femme ayant requis l’anonymat. Premièrement, la compagnie n’a pas daigné désigner des représentants pour tranquilliser les parents, au moment où une cellule d’urgence a été mise en place à New York pour aider les passagers au lendemain de l’éruption du volcan en Islande. Mais peut-être parce qu’alors il ne s’agissait pas de Libanais ? Deuxièmement, est-ce que le véritable risque entre le Liban et la Syrie qui est un pays de guerre a été mesuré ? Troisièmement, la MEA a un jumelage avec Air France. Donc normalement et légalement la MEA est responsable conjointement tout comme Air France. Or à la MEA ils ne sont au courant de rien. Ils disaient aux parents que l’avion a été dérouté vers Amman alors qu’en réalité il était à Damas ! »

SOS et atterrissage forcé en mer envisagé...
17h39. L’avion atterrit. Les familles peuvent enfin respirer. Une dizaine de minutes plus tard, les passagers commencent à sortir. Soulagés, heureux de retrouver leurs proches et amis, ils ne manquent toutefois pas de dénoncer à leur tour « le manque de professionnalisme d’Air France ». « On ne nous a pas fourni d’explications sur les raisons pour lesquelles on a atterri à Damas et pas à Beyrouth, déplore une passagère. Arrivés à Damas, on nous a demandé d’effacer les vidéos de nos portables, de garder ceux-ci éteints et de baisser les cache-hublots. »
« Ce qui s’est passé est aberrant, lance Chryssoula. Pendant un certain temps, nous avons cru à un détournement de l’avion. Arrivés à Damas, les membres de l’équipage ont d’abord fait un appel aux passagers de la classe affaires leur demandant de l’argent liquide pour payer le prix du carburant. Puis, l’appel a été étendu à l’ensemble des passagers avant de trouver finalement une solution alternative. À Larnaca, nous sommes restés dans le bus pendant plus d’une heure avant de nous retrouver enfin à Nicosie. Aucune explication ne nous a été fournie. D’ailleurs, jusqu’à la dernière minute, aucun représentant d’Air France ne s’est manifesté pour nous donner une quelconque justification ou pour présenter des excuses ! Aujourd’hui (hier), nous sommes restés plus de deux heures à Larnaca. Nous ne savions même pas à quelle heure l’avion allait décoller. »


« L’atterrissage à Damas a été mal perçu, explique pour sa part Amine Haddad, médecin. Le service de sécurité d’Air France a interdit à l’avion d’atterrir à Beyrouth et l’a dérouté vers Amman. Or avec l’interdiction de l’espace aérien syrien, il fallait faire un grand détour. Le commandant de bord a constaté qu’il n’avait pas assez de carburant pour traverser toute cette distance. Il a pensé faire un atterrissage forcé en mer. D’ailleurs j’ai pris part, aux côtés de quelques passagers, aux procédures de sécurité fournies, à cet effet, par les membres de l’équipage. Entre-temps, le commandant a pris la décision courageuse de lancer un “mayday” (appel pour signaler que l’avion est en danger, NDLR) demandant un atterrissage en catastrophe à Damas. Les autorités syriennes ont accepté, mais ont exigé une liste des passagers. D’ailleurs des véhicules militaires se trouvaient sur le tarmac. Nous avons su par la suite que le Quai d’Orsay est intervenu pour éviter que les Syriens ne montent dans l’avion, pour régler l’affaire du carburant et pour obtenir des autorités chypriotes l’autorisation d’atterrir à Larnaca. Le décollage de Damas s’est effectué dans une obscurité totale. » Et le Dr Haddad de conclure : « L’équipe d’Air France était remarquable, à la fois affable et ferme pour maintenir le calme. Mais ce qui était impressionnant, c’est le comportement des passagers. Il n’y a pas eu de débordements ni de crise d’hystérie. »

 

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