Racha Omrane, poétesse syrienne :"Les alaouites commencent à se dresser contre Assad"

Issue de la communauté minoritaire alaouite au pouvoir en Syrie, la poétesse Racha Omrane, figure de proue "intellectuelle" de la rébellion syrienne et auteur il y a quelques mois d’un vibrant appel aux alaouites, s’insurge contre l’inaction de la communauté internationale face au bain de sang dans son pays. En exil au Caire depuis début 2012, car menacée physiquement par les sbires du régime baassiste, elle milite par les mots pour la fin d’un pouvoir "sanguinaire". De passage au Liban, elle a répondu aux questions de L’Orient-Le Jour.

Vous sentez-vous menacée au Liban ?

Tout Syrien est menacé au Liban. J’étais confiante de voir les autorités libanaises défendre la neutralité du Liban dans la crise syrienne. Mais les événements des derniers jours, notamment l’enlèvement de ressortissants syriens par des groupes armés, montrent que la crise syrienne se prolonge au Liban. Ceux qui affirmaient que les deux pays ont la même destinée ont raison. La contagion syrienne n’est plus hypothétique mais une réalité.

Comment voyez-vous l’évolution de la situation en Syrie ? Bachar el-Assad va-t-il lâcher le pouvoir ?

La situation sur le terrain évolue en faveur de la révolution, mais le prix à payer reste très élevé. Nous pensions au départ que la crise serait résolue rapidement, à la libyenne, mais la réalité est toute autre. Aucun camp ne souhaitait au début du conflit une intervention militaire occidentale, mais au train où vont les choses, les Syriens veulent que le conflit finisse à tout prix.

A mon avis, le président Assad ne partira pas avant le début de l’année prochaine, si nous voulons être optimistes. Il ne s’agit plus d’un pouvoir, mais d’un groupe terroriste aux commandes qui répand la destruction et la mort sur tout le territoire syrien.

Le régime syrien est moribond, l’économie est exsangue, la Syrie se retrouve au ban des nations. Même les services de sécurité du régime se disloquent.

Pourquoi la crise syrienne est-elle bien plus longue que les crises égyptienne, libyenne ou tunisienne ?

En Egypte, il ne s’agissait pas à proprement parler d’une révolution du peuple, mais d’un coup d’Etat des militaires qui ont profité de l’ébullition de la rue. La Tunisie a quant à elle surprit le monde et le régime de Ben Ali a été lâché par ses plus proches alliés. En Libye, l’intervention de l’OTAN a été décisive et notamment motivée par les richesses en pétrole de ce pays.

La situation est plus délicate en Syrie, notamment en raison de la position géostratégique du pays et de la nature encombrante de ses voisins : Israël au sud, le Hezbollah à l’ouest, la Turquie au nord face à l’émergence des Kurdes. L’Europe est en crise, les pays du Golfe craignent la contagion et les Etats-Unis ne veulent pas se voir à nouveau pris dans un bourbier.

La communauté internationale accorde malgré elle encore des chances au régime Assad, notamment avec le plan Annan, puis avec la nomination d’un successeur à l’ancien médiateur de l’ONU qui a décidé de rendre son tablier.

Quel est le sentiment de la communauté alaouite aujourd'hui en Syrie ?

Un nombre impressionnant d’alaouites a fait défection de l’armée et des services de sécurité. D’autres ont eu le courage de distribuer des tracts appelant à la chute du régime. Des centaines ont été arrêtés et torturés. Les alaouites, qui ont été obligés de s’enrôler dans l’armée à cause de la pauvreté, commencent à se dresser contre Assad. De plus, la présence des alaouites aux manifestations de l’opposition a considérablement réduit les tensions confessionnelles. C’est le régime qui a instauré le clivage entre les sunnites et les alaouites, Rami Makhlouf (cousin du président syrien) allant même jusqu’à créer des marchés pour les alaouites afin d’éviter toute interaction avec les autres communautés, notamment à Tartous.

Michel Samaha (ancien ministre libanais pro-Assad arrêté jeudi 9 août) était quant à lui chargé de la propagande visant les chrétiens et leur avenir en cas de chute du régime.

Comment jugez-vous l’action de la communauté internationale ? Faut-il une intervention militaire armée ?

La communauté internationale a délivré à Assad un permis de tuer et de tout détruire. Israël aussi n’a pas levé sa couverture de ce régime. De même, aucune intervention militaire n’est en vue. Si elle avait dû avoir lieu, elle aurait dû être engagée il y a bien longtemps. D’ailleurs, à quoi servirait une intervention de l’OTAN, alors que l’infrastructure est complètement détruite et des villes entières sont en ruines…

Ce sont les multinationales occidentales et les entreprises du Golfe qui devraient se frotter les mains pour la reconstruction après la chute du régime.

Craignez-vous une partition de la Syrie ?

La partition est impossible. Elle ne peut se faire sur base confessionnelle ni sur base géographique. D’ailleurs tous les Syriens la rejettent. Plus de 70 % des alaouites, inconditionnels d’Assad, se retourneraient contre lui s’il évoquait un projet de partition. Que dire alors des sunnites et des chrétiens ?