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À La Une - Crise humanitaire

Ersal et les déplacés syriens : entre solidarité humaine et malaise socio-économique

Depuis que le village de Ersal, à majorité sunnite, accueille des déplacés syriens, chaque habitation recèle des secrets et des griefs : témoignages de « l’inimaginable violence » en Syrie, mais aussi plaintes liées à des conditions de vie
de plus en plus difficiles, autant pour les habitants que pour les déplacés.

Les réfugiés, pour la plupart des femmes et des enfants, souffrent d’une précarité de vie qui s’aggrave. Mohamed Azakir/Reuters

Les collines arides de Ersal (Békaa) sont garnies de maisons basses, aux murs de pierre à moitié nus, de constructions inachevées qui se raréfient au fur et à mesure que se rapprochent de la frontière nord-ouest avec la Syrie les étendues brunâtres assainies par des arbustes disparates. Dans une ruelle caillouteuse, sans piéton ni voiture, les façades délabrées, endurcies par le soleil ardent, et les quelques magasins au maigre achalandage dessinent, à la mi-ramadan, les marques figées d’une pauvreté aux prises avec l’afflux grandissant de réfugiés syriens (900 familles, selon les autorités locales).


Une petite porte en bois fêlé, sous le perron d’un immeuble en apparence désert, donne sur une cour cerclée de chambres où paressent des déplacés syriens, regroupés par quinzaines sur des espaces de 30 m2. « Nous avons un toit sur la tête, c’est déjà bien, grâce à Dieu », déclare Zeinab (tous les prénoms ont été changés), assise en tailleur, avec dix autres femmes, sur des matelas disposés aux quatre coins de l’une des chambres. Elle précise avoir « séjourné pendant dix jours dans un abri avant de nous fixer ici, depuis quatre mois, avec deux autres familles ». Sa pensée est soudain transportée vers les heures, « ô combien difficiles », où elle a fui avec sa famille le village de Qousseir.

« Ce n’est plus la mort qui nous effraie »
« Je veux dénoncer, ouvertement s’il le faut, les actes de Bachar, l’assassin, le traître, qui a fait pire que les sionistes ! » s’exclame-t-elle, d’une voix ferme et claire. Ses yeux s’aiguisent sur un visage blanc, que limite un foulard noir. « Lorsque l’on a vu à l’œil nu des têtes jetées à des dizaines de mètres du corps décapité, ce n’est plus la mort qui nous effraie, mais les atrocités d’ici-bas », ajoute-t-elle, se rappelant, avec une émotion contenue, « l’image de mon voisin, ce pauvre Abou Karim, qui habitait devant chez nous, et son visage déchiré par les obus de l’armée régulière, qui nous avait poursuivis jusque dans nos maisons pour nous éradiquer. Nous avons fui vers le village voisin, loin de quelque dix minutes à pied, mais que nous avons mis une heure et demie à atteindre ». Sans perdre son souffle, Zeinab raconte aussi « avoir accompagné ma petite à une manifestation de jeunes écoliers. Quelle ne fut notre surprise en voyant se diriger vers nous des tanks du régime ! Des tanks contre des enfants ! ». À cet instant, les autres femmes dans la chambre s’agitent et rapportent tour à tour les cas « d’enfants qu’on a massacrés en leur coupant la gorge », ou encore « ce nourrisson arraché au sein de sa mère et décapité devant elle ».

« L’Iran, seule force de l’armée régulière »
Révélant que son nom est sur la liste des opposants recherchés par le pouvoir (dite en arabe « la liste des noms »), Zeinab insiste sur « la destruction du mur de la peur dans les rangs des manifestants et des combattants ». « Ce sont les jeunes qui ont fait la révolte, nous ne pouvons plus reculer, souligne-t-elle. Face à la volonté de lutte des opposants », dont certains ont vendu leurs terres pour acheter aux soldats réguliers des armes (...), la force de l’armée de Damas repose aujourd’hui sur un élément : l’Iran, estime Hassan, un quadragénaire prenant part discrètement à la conversation. « Ce sont des Iraniens, des Russes et d’autres étrangers qui combattent pour le régime. Jamais un alaouite ne pourrait massacrer son frère syrien ! Nous avons grandi ensemble, tous dans des quartiers mixtes », affirme-t-il. Il tempère ainsi les propos amers de Zeinab, qui considère d’un même œil « les sunnites restés aux commandes de l’armée d’Assad et la communauté alaouite dans son ensemble ».

Malaise partagé
Près d’elle, Bouchra, jeune mère de deux enfants, s’inquiète surtout du présent. « L’étranger est par définition livré à l’humiliation », souligne-t-elle, déplorant l’attitude « parfois méprisante de certains habitants à notre égard ». Elle s’indigne surtout de « la distribution inégale des aides, en faveur d’autres familles syriennes, ou bien au bénéfice des habitants locaux ». « Ayant vent de la distribution d’aides par une association locale, je me suis rendue sur place, attendant ma part devant la camionnette chargée, indique-t-elle. À peine le quart de celle-ci distribuée à la foule, que le chauffeur a refermé l’arrière de son véhicule et rebroussé chemin », relate-t-elle, laissant entendre qu’une part des aides serait détournée par certains opportunistes parmi les habitants locaux. Interrogé sur ce point par L’Orient-Le Jour, un observateur sur le terrain précise qu’il se peut que ces aides ne soient pas entièrement destinées à la localité.
Un autre grief : Fatima, également mère de famille, affirme « payer un loyer de 200 USD par mois aux habitants qui l’accueillent depuis quatre mois, en plus des réparations que nous avons également prises à notre charge ». Vêtue d’une tunique brodée de fils dorés, elle explique que « c’est mon mari qui assure l’argent, en maintenant son travail en Syrie, où il continue d’effectuer des allers-retours réguliers ». Mais le maire de Ersal, Mohammad Hassan al-Hujeiry, assure que « seuls 10 % des réfugiés paient le loyer ». Entre les griefs des réfugiés et ceux des habitants, un abîme semble se creuser, au rythme parfois de malentendus, nourris par un profond malaise social.

Les collines arides de Ersal (Békaa) sont garnies de maisons basses, aux murs de pierre à moitié nus, de constructions inachevées qui se raréfient au fur et à mesure que se rapprochent de la frontière nord-ouest avec la Syrie les étendues brunâtres assainies par des arbustes disparates. Dans une ruelle caillouteuse, sans piéton ni voiture, les façades délabrées, endurcies par le...

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