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À La Une - Interview

Joumblatt : En Syrie, c'est un génocide ...

Le leader du PSP porte un jugement très sévère sur l’attitude des Russes, des Iraniens et même des Occidentaux au sujet de la révolution syrienne. Dans une interview à « L’Orient-Le Jour », il souligne que les Russes exècrent la révolution arabe, et traitent Damas et Alep comme si c’était Grozny, tandis que les Iraniens se vengent du monde arabe. Quant aux Occidentaux, Walid Joumblatt leur reproche leur passivité face au « génocide » et au nettoyage ethnique auquel se livre Bachar el-Assad.

Fleurir la tombe de Kamal Joumblatt. Un acte devenu hautement symbolique pour Walid Joumblatt. Photo Amer Zeineddine

Walid Joumblatt est de retour à Moukhtara. Et pas que pour des vacances. Comme du temps de l’après-révolution du Cèdre, la question sécuritaire pèse de nouveau de plus belle sur tous les adversaires du régime syrien et de ses alliés libanais. Mais le chef du Parti socialiste progressiste n’en fait pas toute une histoire. Il faut dire qu’il a les yeux rivés sur l’épopée que le peuple syrien écrit en lettres de sang depuis plus de quinze mois. Face aux sacrifices consentis par les révolutionnaires, tout est décidément relatif. Sauf l’indignation. L’apathie de la communauté internationale, l’ « hypocrisie » et la « lâcheté » de « l’Occident » face au génocide, au nettoyage ethnique et culturel perpétré par les gangs d’Assad le dégoûtent au plus haut point. Pour Joumblatt, un seul mot d’ordre qui vaille : il faut cesser de gloser et armer l’opposition syrienne.

Q.  À la veille d’un éventuel massacre que risque de perpétrer le régime syrien à Alep, quel message adressez-vous à la communauté internationale ?
R. La communauté internationale – lesdits « amis » de la Syrie – sont plus hypocrites que les Russes, les Chinois et les Perses. Soi-disant, ils ont tenu des conférences de Tunis à Paris, mais ce ne sont que des paroles. L’appui dont les rebelles et la population syrienne ont besoin, ce n’est pas une intervention militaire – cette dernière provoquerait un casus belli entre la Turquie et l’Iran –, mais des armes qualitatives, des Stinger antiaériens, des missiles antichars Milan ou HOT qui pourraient rééquilibrer un peu la donne et accélérer la chute d’Assad. Les rebelles font un effort incroyable, mais ils n’ont pas ces moyens. Plus on accélère la chute d’Assad et plus on évite la destruction massive de la Syrie, d’un patrimoine culturel unique, à Alep et Damas. Homs, l’antique Émèse, est déjà rayée de la carte, rasée. Et les Occidentaux ne font rien. Est-ce que cela découle d’une incapacité à comprendre ce qui se produit ? Je n’y crois pas. Y a-t-il quelque part un marché entre eux et les Russes qui s’établit sur les décombres du peuple syrien et de cet héritage culturel incomparable? Et de quel marché s’agit-il? Du bouclier antimissile en Turquie ? Je n’y crois pas. Il y a une lâcheté et une hypocrisie inimaginables. Bachar el-Assad est en train de se livrer, entre-temps, à un génocide, à un véritable nettoyage ethnique et culturel. Les Perses sont-ils en train de se venger du monde arabe ? C’est de la barbarie.

 

S’agit-il encore de défendre d’abord les intérêts d’Israël ?
Nous sommes effectivement peut-être face au retour de cette théorie d’Assad père menée par Rifaat et qui avait émergé au début de la guerre libanaise : l’alliance des minorités. Les Perses, les Russes et les alaouites au détriment de la majorité sunnite. Les Russes exècrent la révolution arabe en raison de son caractère sunnite. Que faut-il faire? Changer la confession des Égyptiens, des Yéménites ou des Tunisiens ? Les Russes ont plusieurs millions de sunnites chez eux : ils traitent actuellement Damas et Alep comme si c’était Grozny. En même temps, ils ne sont pas du tout anxieux d’avoir une révolution chez eux. Poutine se comporte comme un tsar qui n’a même plus la décence de se rendre à ses bureaux du Kremlin. Lénine, lui, avait un bureau simple au Kremlin. Les Iraniens sont encore plus hypocrites. Ils ont eu un embryon de révolte avec Karroubi, Mir Moussawi et Khatami. Ils l’ont écrasée. Certes, d’une manière moins sauvage qu’Assad. L’alliance des minorités n’a jamais pris fin. Vu que maintenant Assad fils va perdre lentement le pouvoir, il va se venger en détruisant tous les centres historiques de Syrie et en ramenant son pays à l’âge de pierre... avant de se réfugier dans les montagnes. Mais la volonté d’édifier un État alaouite provoquerait des guerres confessionnelles interminables. Un Proche-Orient disloqué. Par ailleurs, il y a peut-être aussi une volonté de laisser la Syrie, qui fut naguère un rempart à l’expansionnisme israélien, être détruite. La Palestine, elle, est complètement oubliée. Or ce qui se produit en Syrie – cet exode massif de la population civile – face à l’impuissance et au quasi-silence du monde peut se répéter demain en Palestine, avec le vieux rêve de la patrie de rechange en Transjordanie.

Craignez-vous pour le Liban dans ce contexte ?
Oui. Si certaines minorités, chez nous, pensent miser de nouveau sur l’alliance des minorités, il ne restera plus personne. Les chrétiens seront balayés. J’ai envoyé des messages aux druzes de Syrie pour leur dire qu’ils font partie de la majorité du peuple syrien et qu’il ne faut pas en revenir au temps du général Gouraud. Ils doivent se souvenir du chef de la résistance, Sultan Bacha el-Atrache.

Le Hezbollah serait-il tenté de s’inscrire dans ce projet ?
Je ne sais pas si le Hezbollah a la capacité de désobéir à l’empire perse. Il fait partie d’un système politique et sécuritaire beaucoup plus grand que lui. Il n’a pas de liberté d’action. Vu le dernier discours de Hassan Nasrallah, défendant l’un des gauleiters du peuple syrien – et du peuple libanais – Assef Chawkat... Décevant. Immoral, même, à la limite. Cela dit, il faut continuer à essayer de libaniser le Hezbollah et de s’adresser à la communauté chiite qui, au départ, était arabe et relevait de Najaf. Or même Najaf risque de finir par tomber sous le joug de Qom.

Comment expliquer alors ce retour à des tentatives d’assassinats politiques ? Akram Chehayeb contraint de se réfugier à l’étranger et vous de retour à Moukhtara?
Je ne veux pas parler de menaces personnelles. C’est risible face à ce que subit le peuple syrien tous les jours. Je ne veux pas non plus alarmer les Libanais, qui ont droit à vivre dignement et en sécurité. Les pannes de courant électrique, les blocages de routes, les pneus brûlés... c’est déjà trop. Il faut aussi un peu d’espoir. L’attentat contre Samir Geagea était cependant très sérieux et grave. L’attentat contre Boutros Harb aussi. Plus le régime syrien s’enfonce chez lui et plus il est capable de faire n’importe quoi au Liban.

L’absence de prestations sociales ne serait-elle pas liée à ce projet d’alliance des minorités ? Puisque ce sont dix ministres d’un certain bloc chrétien qui sont responsables ?
Les chrétiens sont divisés, en raison du bloc jusqu’au-boutiste de Aoun, qui fait partie de cette alliance syrienne.

Vous ne voyez pas d’issue proche à la crise syrienne ?
Non. L’empire russe est en train de peser de tout son poids. Il veut peut-être préserver sa base de Tartous. Mais l’on raconte aussi qu’il y aurait une importante quantité de gaz au large de la côte syrienne, comme en face d’Israël. Il y aussi le pétrole irakien, il ne faut pas l’oublier, dans le sud de l’Irak. En d’autres termes, nous allons probablement vers un effondrement de ce qui reste de Sykes-Picot.

Maigre consolation dans le lot : vous avez appris que l’un des chefs sécuritaires syriens qui ont péri dans l’attentat de Damas, Bakhtiari, avait un lien avec l’assassinat de votre père, Kamal Joumblatt.
Il semble qu’il faisait partie, à l’époque, de la sécurité de l’aviation, qui était dirigée par Mohammad el-Khaouli. Les quatre criminels qui ont tué mon père et ses compagnons sont allés de Deir Dourit à Sin el-Fil, là où il y avait Ibrahim el-Khoja. Mais face à la tragédie du peuple syrien, le cas de Kamal Joumblatt est insignifiant aujourd’hui. D’autres que Kamal Joumblatt ont été tués. Tant d’autres. Toute une élite politique et culturelle. Kamal Joumblatt a été tué parce qu’il avait été le premier à s’opposer au projet de l’alliance des minorités prôné par Henry Kissinger dans le but de détruire l’OLP et la gauche libanaise. Arafat était un leader sunnite face à l’alliance des minorités. Et Rafic Hariri a été tué dans le même contexte probablement. Mais maintenant, l’essentiel est de sauver le peuple syrien et ce patrimoine humain et culturel unique que Bachar est en train d’exterminer. Il faut armer l’Armée syrienne libre.

Walid Joumblatt est de retour à Moukhtara. Et pas que pour des vacances. Comme du temps de l’après-révolution du Cèdre, la question sécuritaire pèse de nouveau de plus belle sur tous les adversaires du régime syrien et de ses alliés libanais. Mais le chef du Parti socialiste progressiste n’en fait pas toute une histoire. Il faut dire qu’il a les yeux rivés sur l’épopée que le...

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