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À La Une - Environnement

Au Liban, on ne nage pas dans la mer, mais dans les eaux usées !

Quels sont les risques pour les baigneurs et pour l’environnement ? Quelles sont les plages les moins polluées ? Comment expliquer cette pollution ? Le point.

85 % des eaux usées domestiques du pays sont rejetées le long du littoral sans aucun traitement préalable. Photo Ahmad Mantach

Il est 18h. Comme chaque jour, à Ramlet el-Baïda, quelques centaines de personnes profitent de la plage. Les plus jeunes pataugent auprès de leurs parents, certains baigneurs s’éloignent du bord, le temps de faire quelques brasses, et d’autre s’immergent simplement pour se rafraîchir. L’ambiance et les températures sont agréables, mais la pollution vient noircir le tableau. Deux évacuations d’égout encadrent la plage, et les eaux déversées n’ont reçu aucun traitement préalable.


Le cas de la plage de Ramlet el-Baïda est loin d’être une exception au Liban. Pour Gaby Khalaf, directeur du Centre national des sciences marines (CNSM), un département d’étude du Centre national de recherche scientifique, « la situation est grave ». « 85 % des eaux usées domestiques du pays sont rejetées le long du littoral sans aucun traitement préalable, explique-t-il. Ces eaux viennent des égouts chargées de matières organiques qui se dégradent rapidement, mais restent nocives pour l’homme et pour l’environnement. »


Aucun cas de maladie n’a officiellement été déclaré, « mais les baigneurs risquent des infections oculaires, des éruptions cutanées, des vomissements... », avertit le chercheur du CNSM. À cela s’ajoutent les effets nocifs pour l’environnement. « La pollution organique augmente la quantité de nutriments disponibles en mer, ce qui favorise le développement de quelques espèces animales et végétales au détriment des autres. Cela réduit la biodiversité maritime et déséquilibre l’écosystème », ajoute Gaby Khalaf.

Éléments-traces métalliques
À la pollution organique s’ajoute la pollution aux éléments-traces métalliques (ou ETM, type plomb, mercure ou chrome). Ce sont les produits chimiques déversés en mer par les usines côtières, et les substances qui ruissellent des décharges sauvages pour terminer dans les cours d’eau libanais. « Au Liban, ce type de contamination est moins répandu que la pollution organique, car pour l’instant, nous avons peu de grosses usines, indique Gaby Khalaf. Mais le nombre d’usines et d’habitants installés en bord de mer est en pleine croissance. Cette tendance accroît la quantité d’ETM rejetés en mer, de la même manière qu’elle accroît les risques encourus par la population (baigneurs ou non). » « Le danger pour l’homme est limité, modère le chercheur, il faut être exposé durablement et quotidiennement (se baigner, se nourrir de poissons ayant ingurgité des ETM) pour développer une maladie neuro-dégénérative. » « En revanche, ce qui est inquiétant, c’est que seulement une toute petite minorité d’usines traitent ou recyclent les déchets qu’elles produisent », poursuit-il.


Tant que le problème du traitement des eaux n’aura pas été résolu, les baigneurs peuvent se baser sur les études du CNSM. Celles-ci répertorient Enfé, Chekka, Batroun, Jbeil, Tyr et Naqoura comme étant les plages où l’eau est la moins polluée.

Les stations d’épuration, élément-clé du changement
Le traitement des eaux usées (ménagères et industrielles) est l’élément-clé permettant de limiter la pollution du littoral libanais. Concernant les eaux industrielles, la responsabilité de leur traitement revient aux usines qui les génèrent. En revanche, l’assainissement des eaux usées ménagères relève de la responsabilité des municipalités.
C’est pour cela que depuis 1982, le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR), mandaté par le ministère de l’Énergie et de l’Eau, travaille sur la construction de stations d’épuration dans le pays, ainsi que sur les réseaux d’égouts auxquels les stations doivent être connectées.


Ce projet prévoit notamment la construction de douze stations de traitement des eaux usées le long du littoral libanais (Akkar, Tripoli, Chekka, Batroun, Jbeil, Kersouan, Dora, Ghadir, Jiyeh, Saïda, Sarafand, Tyr). Pour le CDR, ces infrastructures permettront de résoudre le problème du traitement des eaux usées de 65 % de la population à l’horizon 2020.


Comme l’explique Youssef Karam, chef du département des eaux usées et infrastructures au CDR et responsable du projet : « L’une des principales difficultés a été de négocier avec les municipalités l’emplacement des stations. Car la population craint que ces usines soient bruyantes et malodorantes. Mais les nouveaux procédés de traitement sont censés éviter ce genre de désagrément. C’est pour cette raison que certaines négociations ont duré plusieurs années. » Désormais le projet avance, « une station est en activité à Saïda, la construction de six autres est achevée (Tripoli, Chekka, Batroun, Jbeil, Ghadir, Jiyeh), et les cinq restantes sont en préparation », précise Youssef Karam. En revanche, tant que ces stations ne seront pas connectées aux réseaux d’égouts, elles demeureront inutilisables, donc inutiles. « C’est un autre chantier qui retarde l’ouverture des stations d’épuration, souligne-t-il. Car les prêts permettant de financer l’aménagement des réseaux d’évacuation ont été obtenus après ceux destinés à financer la construction des stations. »


L’aboutissement du projet est aussi freiné par le peu d’intérêt porté par les municipalités à ce problème. « Celles-ci commencent à prendre conscience de l’importance de la gestion des eaux usées, constate Youssef Karam. Nous estimons donc que le réseau de traitement des eaux sera totalement opérationnel d’ici à quatre ou cinq ans. »
D’ici là, les travaux se poursuivent, la sensibilisation à l’environnement progresse doucement et la pollution augmente. Mais, si l’on se base sur le dynamisme économique du secteur, les baigneurs continuent à apprécier la convivialité des plages libanaises.

 

Pour mémoire

Fin prête, la station d’épuration de Jiyeh attend depuis 5 ans d’être raccordée au réseau des égouts

 


Il est 18h. Comme chaque jour, à Ramlet el-Baïda, quelques centaines de personnes profitent de la plage. Les plus jeunes pataugent auprès de leurs parents, certains baigneurs s’éloignent du bord, le temps de faire quelques brasses, et d’autre s’immergent simplement pour se rafraîchir. L’ambiance et les températures sont agréables, mais la pollution vient noircir le tableau. Deux...

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