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À La Une - Interview

Aoun à « L’Orient-Le Jour » : La chute du régime syrien serait celle de la démocratie

Contrairement aux apparences, le général Michel Aoun peut être calme devant la presse et éviter les provocations. Il ne relève pas le commentaire ironique devant les « barazek » posés sur la table et refuse de polémiquer sur l’affaire des journaliers de l’EDL qui menace l’État et fait vaciller les alliances. Pour lui, l’heure est bien trop grave. L’ensemble de la région est sur la sellette, et dans ce contexte, les attaques contre lui et son courant ne sont, à ses yeux, que les critiques généralement adressées à une cause juste, celle de la lutte contre la corruption. Aux lecteurs de « L’Orient-Le Jour », il a voulu montrer une autre face, sans pour autant renier ses convictions... et aucune question ne parvient à le sortir de ses gonds.

Le député libanais Michel Aoun.

Q. : Avez-vous commencé à regretter vos options stratégiques ?
R. : Je ne regrette rien et je ne le ferai pas, quels que soient les développements futurs. Quand on fait des choix stratégiques, on peut gagner ou perdre. Si mon choix devait être perdant, c’est tout le Liban qui perdrait avec moi, sinon, c’est aussi tout le Liban qui gagne.

Commencez-vous à envisager la chute du régime syrien ?
Si le régime syrien devait chuter, il n’y aurait pas de gagnant. Ce serait plutôt la chute de la démocratie, et les chrétiens en seraient les premières victimes. Le 23 mai à Zahlé, j’avais évoqué dans mon discours la charte de Hezb el-Tahrir et j’avais précisé que celle-ci affirmait que la démocratie est contre la charia. Ce qui annule la liberté de croyance, les libertés politiques, le droit à la différence et la liberté de choix d’un mode de vie (s’habiller, boire, etc.). Deux jours plus tard, la réponse de Hezb el-Tahrir est arrivée par la voix du responsable du bureau de l’information à la « Wilaya du Liban » Ahmad el-Kassas. Dans son discours, ce dernier a déclaré textuellement : « M. le député accuse notre parti de vouloir islamiser le monde et appliquer la charia. À nos yeux, ce n’est pas une accusation, mais un honneur dont nous sommes fiers et qui nous pousse à relever nos fronts. Vous devez savoir que ce n’est pas seulement l’objectif de notre parti, mais aussi celui de l’islam lui-même, dans le sens qu’il est porteur d’un message de civilisation pour l’humanité entière (...) Quel est donc votre problème avec la charia ? Et qu’a donc apporté la laïcité à l’Église et à ceux qui la suivent ? ... » Voilà, c’est cela l’option qui gagnera si le régime syrien tombe...

On dit que vos alliés commencent à envisager cette hypothèse et à penser à l’après-régime...
Je ne sais pas si c’est le cas, mais je vous ai dit ce qui se passera si le régime syrien saute. C’est pourquoi nous sommes favorables à une démocratisation progressive.

Certains disent que Hezb el-Tahrir est un nom pour pas grand-chose, une sorte de paravent médiatique, sans structures derrière.
Je ne le pense pas. Au contraire, Hezb el-Tahrir est l’un des rares mouvements islamistes organisés et ayant une véritable présence dans le monde arabe et même en Occident, notamment à Londres, puisqu’il est né pendant la période de colonisation britannique dans la région.

Toujours concernant les islamistes, sur quoi vous êtes-vous basé pour affirmer qu’il y avait de l’alcool dans la voiture de cheikh Abdel Wahed ?
Sur des informations précises. Il y avait dans la voiture du cheikh une bouteille de whisky Double Black, une bouteille de vodka Grey Gouse et une bouteille de vin Clos Saint-Thomas. Les deux premières étaient entamées et la troisième fermée. Je ne me permettrais pas de dire de telles choses si je n’en étais pas sûr.

Mais même si c’était vrai, faut-il le dire ?
Oui parce que les gens ont le droit de savoir. En voyant les bouteilles entamées, le juge devait faire passer l’alcootest aux personnes arrêtées car l’alcool peut modifier les comportements et expliquer certaines attitudes, notamment face aux forces de l’ordre. Personnellement, je n’ai rien contre ceux qui boivent. Je savoure moi-même le bon vin et l’alcool en général.

Résultat : vous vous êtes mis à dos le mufti de la République qui pourtant s’est rapproché ces derniers temps de votre camp politique !
Je ne me suis pas mis à dos le mufti. Il voulait comprendre pourquoi j’avais dit cela et je lui ai répondu...

En faisant cela, vous ajoutez de l’eau au moulin de ceux qui vous accusent d’être contre les sunnites...
Nous devons choisir si nous voulons vivre dans un monde virtuel où nous cachons les vérités qui nous déplaisent et nous bâtissons nos opinions sur des données fausses ou tronquées, ou, au contraire, si nous voulons essayer de comprendre la réalité et éviter ainsi de faire des erreurs. Personnellement, j’ai fait mon choix. Même s’il peut déplaire à certains.

N’êtes-vous pas en train de devenir un poids pour vos alliés ?
Nous appuyons la résistance. C’est une constante. En même temps, nous l’avons libérée de notre poids dans la vie politique interne. La résistance a ses priorités, nous avons les nôtres. Pour nous, il s’agit d’abord de lutter contre la corruption et nous avons préparé des dossiers consistants. Certains ont été transmis à la justice, d’autres attendent encore d’être plus étoffés.

Concrètement, cela signifie qu’il n’y a plus d’entente entre vous et le Hezbollah ?
Bien sûr que si. Le document d’entente signé avec le Hezbollah comporte dix points, dont un qui porte sur la construction de l’État et la lutte contre la corruption. Au sujet des armes de la résistance, je voudrais rappeler que nous avions parlé en premier de la stratégie de défense et des armes palestiniennes. Ces deux points ont par la suite été repris autour de la table de dialogue et je ne suis pas responsable de la lenteur de ce dialogue.

Certains disent que vous avez réussi ce que les Américains et les Israéliens n’ont pas pu faire, c’est-à-dire diviser les chiites, en obligeant le Hezbollah à vous appuyer dans la crise des journaliers de l’EDL, alors que le président de la Chambre, lui, se rapproche des Kataëb.
C’est une fausse conclusion. Nous ne demandons à personne de se dissocier de ses alliés pour nous appuyer. Nous défendons notre plan de changement et de réforme. Nous restons le CPL, et eux restent le Hezbollah et Amal. Si, par ailleurs, le président Berry et les Kataëb se mettent d’accord, c’est tant mieux. Cela fera moins de parties en conflit au Liban.

Que pensez-vous de la position du président Berry au sujet des journaliers de l’EDL ?
Je ne veux polémiquer avec personne. Je peux avoir des conflits avec des parties sur des sujets déterminés, mais je n’ai pas de problème personnel avec qui que ce soit. Il est libre de ses choix.

Au cours d’une rencontre avec la presse, Berry s’était demandé s’il fallait désormais organiser des examens pour voir qui grimpe mieux sur les poteaux électriques, le travail des journaliers étant élémentaire et ne méritant pas une telle compétition...
C’est un peu simpliste. Celui qui grimpe sur les poteaux doit aussi savoir nouer les fils électriques et avoir beaucoup de connaissances techniques. Il ne faut pas simplifier pour rendre la chose ridicule car elle ne l’est pas. Les journaliers sont des techniciens.

Dans la situation actuelle délicate, la sagesse n’aurait-elle pas été de régler cette question au plus vite ?
La sagesse, c’est de défendre le droit pour tout le monde. Les décisions administratives fausses doivent être corrigées. De plus, dans notre projet, nous ne jetions pas les journaliers à la rue. Nous leur avions assuré du travail dans de meilleures conditions dans les « Service Providers ». La sagesse, comme vous dites, me pousse à ne pas raconter les dessous de cette affaire.
En soulevant tous ces dossiers, ne cherchez-vous pas en quelque sorte à cacher l’échec de ce gouvernement dans lequel vous avez dix ministres ?
Souvenez-vous de ce qu’a déclaré le député du PSP Akram Chehayeb : « Nous sommes entrés au gouvernement sur la base d’un accord avec le Premier ministre et le président pour freiner les projets de Aoun et de Bassil... »

Mais en fin de compte, vous n’exercez votre force que sur vos alliés...
Que ceux qui ont des documents sur des scandales nous le disent. Personnellement, je ne peux pas lancer des accusations à tort et à travers. Je pèse chaque mot et tout ce que je dis est basé sur des éléments concrets.

Que répondez-vous à ceux qui disent que le ministre Gebran Bassil est devenu un poids trop lourd ?
Je leur demande s’ils ne se rendent pas compte que ce sont les ministres compétents qui sont visés. De plus, chaque fois qu’on attaque Gebran Bassil, c’est le CPL et ma personne qu’on veut toucher. On a d’ailleurs commencé à l’attaquer parce qu’il est mon gendre. Heureusement, on ne parvient pas à l’attaquer sur son travail, alors on se rabat sur des détails. Bientôt, on l’accusera d’être responsable du climat... Gebran Bassil a peut-être un caractère qui peut déplaire. Toute personne utile peut être aimée par certains et détestée par d’autres. En général, ceux qui sont lésés par son action la détestent et les autres savent pourquoi ils l’aiment.

Vous ne comptez donc pas le lâcher ?
Non. Je refuse l’idée du bouc émissaire. Une véritable campagne médiatique est menée contre lui. Je ne peux pas lâcher une personne qui fait bien son travail. Je suis plutôt prêt à abandonner mes responsabilités. Il faut être juste avec ceux qui travaillent sans tenir compte des états d’âme de ceux qui se contentent de regarder. Au risque de déplaire, je vais dire que je voue ma vie aux gens. On va sans doute dire : voilà qu’il se prend pour un saint ! Je prends le risque. Après tout, être un saint, ce n’est pas si mal, même si c’est dit avec ironie.

On vous surnomme désormais le général des « bloqueurs des routes »...
C’est une appellation injustifiée. Le CPL a appelé à une manifestation civilisée près du musée. Pierre Raffoul a ensuite demandé à ceux qui y ont participé de rentrer chez eux. Notre manifestation s’est ainsi terminée. Mais les gens étaient en colère et en avaient gros sur le cœur. Il y a donc eu des réactions populaires spontanées. Les familles des militaires ont voulu exprimer leur mécontentement à leur manière...

Vous n’avez donc pas voulu retenir le président dans un embouteillage ?
Dire cela est une agression morale contre moi. Je ne savais pas que la route était coupée. Lorsque Jean Aziz m’a appelé au milieu de son programme télévisé pour me l’apprendre, j’ai aussitôt lancé un appel pour l’ouverture des routes et il a été heureusement entendu.

N’êtes-vous pas en train de nuire à l’armée en l’appuyant de la sorte ?
Ce n’est pas parce qu’il y a des gens lâches que tout le monde doit l’être et rester silencieux. Nous ne pouvons pas accepter que le pouvoir cède au chantage de la rue.

N’êtes-vous pas en train d’utiliser le même procédé ?
Il y a une différence entre attaquer l’arbitraire et le réclamer. Au lieu de se laisser distraire par les détails, que les gens nous écoutent et nous suivent pour sortir le pays de cette phase délicate.
Q. : Avez-vous commencé à regretter vos options stratégiques ? R. : Je ne regrette rien et je ne le ferai pas, quels que soient les développements futurs. Quand on fait des choix stratégiques, on peut gagner ou perdre. Si mon choix devait être perdant, c’est tout le Liban qui perdrait avec moi, sinon, c’est aussi tout le Liban qui gagne.Commencez-vous à envisager la chute du régime...

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